08/04/2016 (Brève 739) Le Monde / En France, les femmes de Djibouti ont faim de justice (par Johana Bukasa-Mfuni)

Lien avec l’aticle original : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/04/08/en-france-les-femmes-de-djibouti-ont-faim-de-justice_4898665_3212.html

Allongées, serrées sur des lits d’appoint dans le local étroit de l’association Femmes solidaires à Arcueil (Val-de-Marne), elles n’ont pas mangé depuis quatorze jours.

Deux longues semaines à s’affamer pour dénoncer les viols commis dans leur pays par l’armée. Avant de fuir en France et en Belgique, où elles ont obtenu le statut de réfugiées politiques, ces neuf femmes vivaient dans les régions du nord et du sud-ouest de Djibouti.

Une centaine de rebelles armés du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD), un mouvement issu de l’ethnie Afar, y lutte depuis vingt-cinq ans contre le gouvernement.

Alors que leurs compatriotes se rendent aux urnes, ce vendredi 8 avril, pour une élection jouée d’avance – le président sortant Ismaël Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999, est presque certain d’être réélu – les neuf militantes réclament une enquête internationale sur plus de 200 cas d’agressions sexuelles qui visent les femmes afar. Leur peuple, présent dans toute la corne de l’Afrique (Somalie, Djibouti, Ethiopie et Erythrée), paie cher les tensions entre le régime et les combattants du FRUD.

246 cas de viols recensés
« Après ce que j’ai subi, ma place est parmi les grévistes de la faim », témoigne Fatou Bakari, une bergère d’une quarantaine d’années couverte d’un voile traditionnel. « J’ai été violé par trois soldats devant mon père, mon oncle paternel, ma mère et une de mes cousines. 

Mon père a fait un arrêt cardiaque quelque temps après. » Malentendante, sa voisine de lit Fatouma Abdallah croise les poignets : elle exige l’arrestation de ses bourreaux. Son père s’est battu pour obtenir justice. Mais sans succès.

Si Djibouti a signé la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, adoptée en 1993 par l’Assemblée générale des Nations unies, il est rare en effet que les autorités donnent suite aux plaintes des victimes d’abus sexuels.

Le Comité des femmes djiboutiennes, créé la même année, a recensé en tout 246 cas de viols par des militaires pour seulement une vingtaine de plaintes enregistrées par l’Etat djiboutien. Et il a fallu opérer dans la clandestinité pour recueillir ces données.

« Aujourd’hui, le combat que l’on mène, c’est de montrer que le pays ne respecte pas les conventions internationales qu’il a conclues », observe Sabine Salmon, présidente de l’association Femmes solidaires, mouvement pour la défense et le développement des droits des femmes et pour la parité et la solidarité internationale. « Les femmes djiboutiennes se battent sur le terrain pour la reconnaissance de ces viols comme crimes de guerre », ajoute-t-elle.

Djibouti, allié stratégique de la France

Le moment est bien choisi. Le 21 mars, la Cour pénale internationale (CPI) a condamné le chef de guerre congolais, Jean-Pierre Bemba pour « crimes de guerre » en raison des violences sexuelles commises par ses hommes en Centrafrique. « En 1995, les Etats membres (dont Djibouti) se sont accordés sur la nécessité d’améliorer la condition des femmes »,avait souligné le 16 mars à New York, Laurence Rossignol, ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes lors de la 60e session de la commission de la condition de la femme.

« La République de Djibouti, principale base militaire de l’armée française en Afrique, continue de bafouer les droits humains en toute impunité », poursuit Mme Salmon. Mais Djibouti est un allié stratégique pour Paris.

Ancienne colonie française située en face du détroit de Bab Al-Mandeb, quatrième passage maritime mondial pour l’approvisionnement énergétique, l’enclave abrite le plus gros contingent français sur le continent africain (environ 1 600 hommes actuellement). Américains et Japonais y ont également implanté des bases.

La Chine s’y prépare. Pour l’heure, aucune mesure n’a été prise : seul un hashtag (#stopvioldjibouti) a été lancé afin d’aider ce Comité de femmes à se faire entendre. Le gouvernement djiboutien dénonce, lui, « une campagne » coordonnée par« l’opposition politique ».