30/06/04 (B253) L’Indépendance, Ah ! Ce joli nom qui nous a tant leurré et si longtemps ! (Lecteur)

L’Indépendance,
Ah ! Ce joli nom qui nous a tant leurré et si longtemps ! Joyeux anniversaire,
diront certains, je leur répond : " où est la joie ? ".
Je la cherche toujours depuis 27 ans. Cette joie tant élusive, tant
virtuelle, cette chimère qui, au fil des années, se réduit
en une peau de chagrin !

Allons, m’ont dit des
amis, l’autre soir, levons un verre à la santé de notre chère
patrie !

Parlez pour vous, ai-je
répondu promptement, la joie n’est pas pour moi, je suis en deuil aujourd’hui.
Le drapeau, m’ont-il dit, le drapeau, cher ami lève toi, c’est l’hymne
national et toute la salle, explose en coeur. "Hinjineh…uu Sarakaca…."
certains emportés par la ferveur se mirent à l’entonner de toute
leurs forces. Beaucoup étaient émus, et s’inclinaient magistralement
devant le Drapeau djiboutien amené à l’estrade par une jeune
fille habillée avec le "Grays" traditionnel des Somalis.

A ce moment précis,
les sentiments se bousculaient dans mon coeur, ils étaient au sprint
pour le finish.

L’émotion du moment
pour moi, c’était seulement l’image d’un père héroïque
et stoïque, un simple djiboutien du quartier sept. Lui et ma mère
me racontèrent le jour en 1967, où il sortit de la maison familiale,
armé…d’une lance et d’un "Qolxad". Avec les hommes du quartier
ils étaient prêt à affronter, avec la bravoure traditionnelle
de notre peuple, les balles de la Légion étrangère. Derrière
eux, me racontait ma mère, suivaient les femmes du quartier, dans une
main les "kildhee" plein de thé, dans l’autre un jerrican
d’eau et des serviettes humides pour seule protection contre les gaz lacrymogènes.

Elles partirent, à
la queue leu leu, pour soutenir les hommes dans leur combat inégal,
du David contre Goliath. Le père de mon voisin Rachid fut la première
victime de ce combat suicidaire. Devant le poste de la gendarmerie du quartier,
à côté de l’ancien cinéma Le Paris, les Légionnaires
s’en donnaient a coeur joie. Le père de Rachid, un brave homme, vétéran
de la guerre des Blancs en Europe, savait comment utiliser le terrain pour
surprendre l’ennemi.

Sa maigre machette n’était
qu’un jouet inoffensif devant les mitrailleuses et les blindés légers
de la Gendarmerie française.

Ce sont de véritables
héros : ces citoyens anonymes sont ceux qui méritent mon respect.
Tous, sans distinction d’ethnie et de tribu, dans les traces de leurs illustres
prédécesseurs comme Harbi, Candholeh, Gashanleh, Iftin, Rabeh,
Omar Elmi, et tous les martyrs du FLCS. Tous ceux, qui ont fait acte de bravoure
et qui ont fait couler le sang de leurs ennemis pour abreuver ce drapeau,
méritent mon respect.

Cela expliquait les émotions
qui faisaient tressaillir mon cœur, face au drapeau et à notre
hymne, ce 27ème jour du mois de juin de la 27éme année.

En même temps, ce
spectacle haut en couleur réveillait ma colère.

Tout d’abord je me suis
tourné vers mon ami Bourhan et je lui ai présenté mes
excuses ; lui, il ne comprenait pas pourquoi. J’ai essayé de lui expliquer,
mais les mots n’arrivaient pas à exprimer mon émotion.
Je me disais au fond de moi même, 27 ans après que notre plus
illustre des héros de ce jour, Ahmed Dini, ait prononcé la fameuse
phrase à minuit pile, le soir fatidique "…La République
de Djibouti est née….", 27 ans après, qu’est devenue
la version Afar de notre hymne national. Bourhan et les autres chantaient
"Hinjineh uu Sarakaca…"

Je n’arrive pas a chasser
de ma tête une pensée lancinante : celle des Afar, privés
de tout symbole d’appartenance. Que pouvaient-ils bien ressentir à
ce moment précis

Ma colère, c’est
aussi d’être confronte a la réalité ! Ceux qui ont effectivement
participé activement à la lutte pour obtenir l’Indépendance
le 27ème jour de ce 6ème mois de l’année 77, sont les
grands perdants de l’histoire.

Pour le mesurer, je vous
propose les quatre paradoxes réels de l’Indépendance:

Premier paradoxe: Cela
fait plus de 27 ans qu’aucun Djiboutien n’a pas participé à
un vote démocratique. En fait l’exercice de la véritable démocratie
dans le pays s’est terminé avec la colonisation. Depuis l’Indépendance,
la démocratie a pris sa liberté et elle a quitté les
Djiboutiens.

Deuxième paradoxe:
Cela fait 27 ans que les djiboutiens ont des institutions et des infrastructures
fonctionnelles. Force est de constater que l’ordre et l’organisation ont aussi
pris congé des Djiboutiens.

Troisième paradoxe:
Cela fait 27 ans que les djiboutiens devraient avoir un niveau de vie qui
leur permette de vivre convenablement de leur labeur. En fait l’économie
et la prospérité ont pris congé des Djiboutiens.

Quatrième paradoxe:
Cela fait 27 ans que les Djiboutiens ont combattu pour avoir leur ville et
leur pays. Qu’ont-ils obtenu : un pays poubelle où la situation physique
et morale des structures et de l’environnement ainsi que le cadre de vie se
sont dégradés au fil des années.


Célébrer, cependant aurait pu être juste et opportun.
Pour certains, natifs en majorité des pays limitrophes, pour d’autres
bien nés et bien apparentés, le moment ne pouvait être
mieux choisi pour célébrer 27 ans de miracle et de rêve
devenus réalité pour eux spécifiquement et sans partage.

Pendant que mon ami Bourhan
chante l’hymne national dans langue qui lui ait totalement étrangère,
l’Ethiopien assis deux tables plus loin nous expliquait que lui, sans l’avennement
du 27 Juin, n’aurait jamais reçu l’éducation ni réussi
sa carriére, comme il l’a fait. Le passeport et la nationalité
acquise lui ont permis de vivre dans un confort relatif jusqu’à ce
jour, en tout cas bien meilleur à ce qu’il aurait pu espérer
s’il était resté en Ethiopie.

Et il a raison, car sans
le 27 juin, il serait toujours en train de garder des chameaux dans son village.
C’est pour cela aussi que ces Officiers de l’Armée djiboutienne importés
directement de Somalie le 27 juin 1977 sont heureux.

Les cadres supérieurs
de l’Administration parlent dans leur ex-langue officielle, entre eux "
l’Amharique "; c’est le cartel du khat qui domine économiquement
le pays.

C’est aussi les collabos
et les lâches. En 1967, Cali Sidleh partait à la chasse aux Somalis
dans les quartiers, armé de son revolver. Ali Aref écrivait
les pages de l’histoire avec le sang, l’élite yéménite
détentrice des leviers économiques se ralliaient à Aref
et à sa clique. Cette même élite yéménite
méprisait les pedanis d’Ambouli qui, eux du moins, sympathisaient avec
les somalis victimes conjointes de la même répression.

Les Ali Coubeche et les
Marils, les Rhotari, Les Bies, et le milieu de la mafia économique
étrangère continuent à sucer le sang de nos héros
anonymes des bas quartiers et de leur descendants depuis 27 ans.

C’est aussi la fête
de ces anciens Sergents et Caporaux de l’armée française promus
Généraux et Colonels ; c’est ce vendeur de Khat, devenu Ministre
des Affaires étrangères et opposant de dernière minute
; c’est la fête de ces nouveaux riches qui roulent en 4X4 climatisés
ostentatoires, au milieu de la misère et de la destitution.

Ce sont ces villas rutilantes
qui coûtent des milliers de fois plus que pourraient le permettre le
salaire officiel de l’occupant.

Bref le 27ème jour
de la 27 année est un jour de deuil pour une grande majorité
des djiboutiens, qui ont été dépossédés
et de leur pays, de sa richesse et de sa mémoire.

Rien à célébrer
!