21/11/04 (B273) Dans la série de nos enquêtes : cette semaine, l’interview (presque) imaginaire du Porte-Parole de l’Etat-Major de l’AND. (Humour) (*)

L’Observatoire :

Colonel, nous vous remercions d’avoir accepté de nous recevoir, ici,
dans votre bureau en votre qualité de Porte-Parole de l’Etat-Major
des Armées. Nous vous remercions aussi d’avoir facilité la délivrance
de nos visas.

Le Porte-Parole de
l’Etat-Major :

Mais c’est tout naturel. Notre bien-aimé, S.E. Le Président
Guelleh (qu’Allah lui accorde longue vie) a personnellement beaucoup insisté
pour que nous soyons absolument transparents dans toutes nos communications.
Il tient à ce que toutes les Djiboutiennes et tous les Djiboutiens
soient informés avec exactitude. Qu’ils sachent comment leur argent
est utilisé, au centime près. Il a même ajouté
qu’en cas d’erreur de notre part ou de découverte de pratiques inappropriées,
nous ne devrions rien cacher au Peuple.

L’Ob. :
Voilà des décisions que nous saluons. Elles vont faciliter notre
interview. Mais ne s’agit-il pas d’une rupture totale avec les pratiques précédentes
?

Le P.P. :
Pas du tout. La politique, de notre Guide incontesté S.E. le Président
Omar Guelleh, est cohérente, linéaire et invariable. Il a défini
une ligne droite qui montre le chemin et il la suit, sans aucune variation, ni grand écart. C’est
ce qui fait sa force. Cela nous facilite le travail, car nous connaissons ses priorités essentielles et ses deux centres d’intérêt. Prenons deux exemples qui illustrent bien la tenacité sans faille de notre Prince :

1°) Il a décidé d’être réélu. Eh bien,
quoiqu’il arrive, quelles que puissent être les difficultés, il saura franchir les épines de l’adversité. Ce nouveau mandat sera pour lui, l’occasion de préparer son troisième … et ainsi de suite …

2°) Il avait assuré qu’il deviendrait l’homme le plus riche de
Djibouti. Il l’est et de façon incontestable, puisque l’on estime que
sa fortune est deux fois supérieure à celle de son plus proche
rival : le très estimé et regretté, l’ex-général
Yacin Yabeh, décédé à la suite d’une longue maladie,
en dépit des soins attentifs qui lui ont été prodigués
par nos meilleurs infirmiers-mâtons dans le centre spécialisé de Gabode.

L’Ob. :
Nous reviendrons sur ce point si nous avons un peu de temps à la fin de l’interview. Mais si vous le permettez, j’aimerais que nous
puissions évoquer l’actualité. Deux de vos Généraux
sont assez malmenés par les média …

Le P.P. :
Excusez-moi de vous interrompre. Je puis certifier, les yeux dans les yeux,
qu’ils ne sont pas responsables de ce dont la rumeur les accuse. Affaire Borrel
: oseriez-vous imaginer qu’un Général, membre de l’Etat-Major,
ait pu être (même) informé d’une tentative d’assassinat
d’un fonctionnaire français en exercice ? Nous sommes des militaires
et si nous devons combattre, c’est debout, face à un ennemi, armé.

Jamais nous n’avons touché un seul cheveu d’un homme désarmé.
Pendant que vous y êtes, vous allez imaginer des militaires tirant dans le dos, la nuit, sur un individu désarmé. Impossible,
je vous le dis. Absolument contraire à l’honneur des Armées djiboutiennes.

L’Ob. :
Probablement vous avez raison sur ce point, mais en ce qui concerne certains massacres. La rumeur parle
:
– De 250 Issas exécutés et enterrés rapidement, lors
de l’affaire du « quartier de la poudrière », avant l’indépendance,
– De 70 victimes dont 60 tués de sang froid, tous de nationalité
Ethiopienne et originaires de la région Afar de l’Ethiopie,
– d’exactions avérées contre les civils à Bankoualé
et ses environs,
– de quarante morts à Arhiba,
– etc…

Le P.P. :
On ne gère pas un pays en se fondant sur des rumeurs. Il n’y a aucune
preuve et de toutes les façons, nos hommes auraient su les faire disparaître
…

L’Ob :
Vous voulez dire que les militaires ont fait disparaître des preuves
?

Le P.P. :
Pas du tout, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. C’est une simple
hypothèse d’école. Dans l’éventualité d’un évènement
semblable, les militaires n’auraient jamais laissé de trace. C’est
le b.a. ba du métier ! Mais il n’y a jamais eu de massacres sauvges, puisqu’il n’y a
pas de preuves. Si on vous montre des photos, sachez bien que ce sont des montages grossiers, qui étendent le voile du déshonneur sur leurs auteurs.

L’Ob :
Sur un autre domaine, on prétend qu’il se passe des choses curieuses
dans certaines unités de l’Armée.

Le P.P. :
Que voulez-vous dire ? Des actes de harcèlement, par exemple. Prenez
le problème dans le bon sens. Imaginez que nos Officiers soient sélectionnés
aussi pour leur prestance, pour leur bel allure et pour leur charme. Comment
ne pas en déduire que des femmes puissent nourrir une certaine admiration
à leur endroit, non seulement pour leur physique avantageux, mais aussi
pour leur réussite exemplaire et leurs promotions si rapides ?

C’est dans la nature de la femme et l’on ne peut pas empêcher
une femme, même militaire, de rêver au Prince charmant au cours de ses soirées. Vous dites en France  » le
prestige de l’uniforme  » ! C’est aussi simple que cela. C’est vrai que
nos Officiers sont parfois un peu .. comment dire  » assaillis  »
?  » submergés « , « encerclés’ ? … par des personnels féminins, agissant en groupe et en concertation (ça ne fait aucun doute),
mais cela n’a jamais été plus loin que de petites taquineries sans conséquence. On ne peut pas
parler véritablement du harcèlement systématique de nos officiers supérieurs.

Nos deux chefs ont du charme, de l’intelligence et de la prestance : ils plaisent aux femmes : voilà tout ! Ce sont des hommes mariés trés attachés à leur devoir de fidélité conjuguale et nul n’a jamais rapporté le moindre écart dans ce domaine.

L’Ob. :
C’est en effet, une autre vision, une manière intéressante de
renverser le problème. Parlons maintenant de vos relations avec les
militaires Français, si vous le voulez bien.

Le P.P. :
Rien n’a changé. Les Militaires français nous apportent toute
l’assistance possible : formation, subvention, carburant, matériel
et surtout des informations qui furent déterminantes lors des opérations
de nettoyage contre les insoumis du FRUD. Mais cela ne suffit pas à
nos yeux.

Ils devraient aussi faire taire les critiques qui sont courantes
dans la Presse française. On a l’impression, vu d’ici, qu’ils mettent
de la mauvaise volonté et qu’ils n’agissent pas efficacement contre ce fléau, qui est la cause d’une détérioration progressive, mais profonde
de nos relations bi-nationales. Un officier supérieur djiboutien a les moyens de
clore le bec de la Presse locale, lorsque son honneur et sa dignité
de soldat sont en jeu. Alors nous nous retournons progressivement vers les
Américains, je dois l’avouer.

L’Ob. :
Comment cela ?

Le P.P. :
L’Américain est moins agréable sur le plan relationnel. Mais
il est lucide, logique et efficace. Il ne s’embarrasse pas de formules dilatoires
ni de compromis. Il est présent sur notre sol uniquement parce qu’il
y a son intérêt national. Quand on a compris cela, il suffit
d’harmoniser nos attentes avec les leurs et cela fonctionne très bien : ils ont des moyens, de l’argent et ils savent payer quand il le faut.

Mais il ne faut pas se leurrer : au fond ce ne sont pas des négociateurs faciles et ils se soutiennent tous, entre eux. Prenez l’exemple de Mobil
qui ne veut pas céder au dictat qui lui enjoint de déplacer
ses installations presque centenaires vers Doraleh. Eh bien toute l’Armée
américaine, comme un seul homme, est derrière Mobil et exige
une indemnisation. On finira par la leur donner … mais en contre partie,
on augmentera le loyer annuel de leur base du même montant. C’est un
contrat gagnant-gagnant avec les américains, une véritable relation
de partenariat…

… Alors qu’avec les Français, c’est trop facile …
il suffit de leur dire qu’on va leur supprimer leurs bases, pour qu’ils rappliquent
avec des tonnes de cadeaux. Et ça marche à chaque fois ! En plus, ils se tirent souvent dans les pattes, ce qui nous simplifie encore le travail. Et comme notre génial Maître est un spécialiste de la division pour assurer son potentat incontesté, les Français n’ont aucune chance contre lui : ils cèdent ou ils décampent.

L’Ob. :
Puisque l’on parle d’argent, la rumeur, toujours elle, prétend qu’il
y aurait des fuites dans les flux de trésorerie au niveau du budget
national …

Le P.P. :
Comment voulez-vous que de l’argent soit détourné. C’est absolument
impossible. Nous avons un budget qui est voté de façon contradictoire
par l’Assemblée des représentants du peuple, élus de
façon démocratique.

Tout engagement de dépense, fait
l’objet d’un bon de commande manuel signé en double exemplaire : un pour le fournisseur et le double pour la corbeille (à papier ?). Si le montant est important,
nous pouvons décider de lancer un appel d’offre. Nous réunissons
alors nos fournisseurs attitrés et nous sélectionnons l’un d’entre
eux. On pratique la  » tournante « . Chacun son tour. C’est comme
cela que l’on a de bons fournisseurs, qui ne manquent jamais une occasion
de vous témoigner de la reconnaissance.

L’Ob. :
Qu’entendez-vous par reconnaissance ?

Le P.P. :
Peu de chose dans les faits, car le montant de la reconnaissance a beaucoup diminué avec la crise.

Par principe absolu et incontournable, tous nos Officiers refusent systématiquement tout cadeau personnel.

Cependant, il est d’usage au sein de notre Armée que les cadeaux puissent être acceptés, uniquement pour le compte d’un tiers. Dans ce cas, les cadeaux doivent être systématiquement distribués
parmi la population : les femmes, les enfants et les alliés de nos Officiers
sont le plus souvent choisis en raison de leurs inestimables mérites.

Ce sont
eux qui reçoivent le plus gros montant, lors de la distribution des témoignages
de reconnaissance offerts par nos fournisseurs nationaux et internationaux. Les cousins et les alliés ne viennent qu’en seconde position lors du partage.

Je tiens
à préciser que le montant de la reconnaissance est plafonné à 75 %
du montant des marchés et que par tradition nous versons toujours un
tiers (25 %) à l’inestimable et sublime épouse de notre bien-aimé
Guide. Tout dépassement de ce plafond serait intégralement reversé à notre sublime présidente, sans aucun bénéfice pour le négociateur.

Imaginez, toujours simple hypothèse de travail, qu’ils mettent en vente les excédents de carburant militaire dans des stations civiles (j’ai bien dit uniquement les excédents, car ils ne priveraient jamais nos soldats de leurs moyens d’intervention) : en aucun cas, ils ne conserveraient l’intégralité de la recette pour eux seuls.

Les Officiers supérieurs de l’AND ne sont pas de vulgaires commerçants. Dans l’avenir, s’ils étaient acculés à l’obligation de pratiquer ainsi, pour écouler des réserves inutilisées et que nous n’ayons pas les capacités de stockage – cela n’est jamais arrivé encore – ils distribueraient tous les profits autour d’eux : en privilégiant leurs femmes et leurs enfants.

Qoi de plus naturel ? Ce point est un choix de société que j’approuve complètement, pour l’avoir moi-même pratiqué, hier encore : quel homme, digne de ce nom, n’avantagerait pas ses plus proches parents et alliés ? Cela fait partie de notre culture et de nos traditions millénaires.

L’Ob. :
Je vous remercie de votre franchise et de ces précisions qui devraient
faire taire les rumeurs.


(*) Toute ressemblance avec une situation réelle ne serait que le
fait d’un concours de circonstance, indépendant de notre volonté.