10/05/06 (B349-A) 10/05/06 – « La liberté consiste à choisir entre deux esclavages : l’égoïsme et la conscience. Celui qui choisit la conscience est l’homme libre ». Victor Hugo. (Article de Bouh Warsama)

Si dans le monde occidental on ne connaît plus directement et concrètement l’esclavage – hormis quelques cas ponctuels sévèrement punis à juste titre par les lois et c’est heureux qu’il en soit ainsi – mais nous ne pouvons pas pour autant l’oublier.

D’abord parce qu’en France, c’est seulement depuis 1848 que le décret du député français Victor Schoelcher a stipulé son abolition. C’est aussi seulement un siècle plus tard (soit en 1948) que l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme adopté par l’ONU, le condamne sous toutes ses formes, et ce sans réserve d’aucune sorte.

L’Angleterre, grande puissance industrielle et coloniale, abolit l’esclavage en 1833, suivie en 1848 par le secrétaire d’État aux colonies, Victor Schœlcher, qui va mener à cette époque et au sein du Parlement français un véritable « combat » et rédigera alors le décret proclamant son abolition.

Ces trois siècles passés résument à eux seuls ce fut l’horreur esclavagiste : un véritable génocide à très grande échelle, celui du peuple africain, que l’Occident chrétien et l’absolutisme royal – ont organisé durant cette période.

Symboliquement il sera évidemment remarquable qu’un siècle après Victor Schœlcher, l’ONU adopte l’article 4 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. »

À l’évangélisation va très tôt s’ajouter un calcul ; elle rationalisera le recours massif aux Noirs africains et le codifiera. La dimension de cet esclavage va s’accompagner d’un racisme conquérant, et va servir au renforcement des réflexes les plus ethnocentriques. Réflexes que l’on retrouve hélas encore de nos jours dans certains propos ou attitudes politiques : le pire étant qu’on y dépasse la dimension ethnique et de couleur de peau pour verser dans le « tribalisme primaire ».

Malgré le mouvement centrifuge, l’Occident chrétien renforcera sa position dominante et entamera un galop colonisateur. Les historiens estiment que, sur trois siècles, une vingtaine de millions d’Africains seront déportés, dans des conditions d’une totale inhumanité, vers des « destinations occidentales » qu’un très grand nombre n’atteindra jamais, destinations d’asservissement maximal et d’humiliation constante.

L’esclavage aujourd’hui

Pourtant, malgré la solennité et la rigueur impérative et prohibitive de cet article 4 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ayant valeur de loi universelle, les droits de l’homme sont encore bafoués du fait du développement de nouvelles formes d’esclavage.

La déshumanisation figure comme pilier fondamental de l’esclavage. Système où la personne, non par son travail ni par sa force de travail, mais elle-même, devient " objet ", " marchandise ".

La classe esclave se définit et se caractérise par l’uniformité de son état. Hommes, femmes et enfants sont tous identiques. Des " corps-outils ", achetés, vendus comme le fait impunément Kadra Mahamoud Haïd à Djibouti avec les enfants (notamment de familles réfugiées en provenance de Somalie) qu’elle vend.

Êtres sans défense, déplacés selon les besoins du commerce, les exigences, les caprices des acquéreurs et des utilisateurs. Rien n’a changé ou si peu : dans les grands centres urbains, sur la place du " marché aux esclaves " d’antan, on peut les voir, les choisir, les examiner, les palper comme des bêtes, évaluer leur prix. Ils sont mis aux enchères, aux surenchères de la vie, brisés psychologiquement : et pourtant on sait ce qu’il en fait et comment les « marchands d’enfants » agissent.

Plus aucun régime ne pouvant se réclamer du droit et en même temps inscrire ouvertement l’esclavage comme le trafic d’enfants dans son programme et sa pratique, tous en théorie l’abolissent. Oui mais en théorie seulement car les faits sont là pour en démontrer l’inverse !.

D’une certaine manière, ils tiennent parole, mais ceci nous semble être le trait le plus insidieux de l’esclavage actuel. En effet, même violents à l’extrême, même au comble de la corruption et de l’injustice, même lorsqu’ils pratiquent clandestinement la torture (mais que l’on sait exister et que l’on dénonce) ou l’extermination, les régimes les plus durs – tel que celui d’Ismaïl Omar Guelleh – persistent à déclarer qu’ils ont abandonné « officiellement » les formes traditionnelles de l’esclavage.

C’est comme s’ils attestaient, par la débauche entretenue et la surdétermination de leur violence, qu’ils avaient déjà réduit en esclavage, par conditionnement et endoctrinement, tous leurs membres. Ils n’ont pas même à défendre, à revendiquer ou à justifier l’esclavage, encore moins à l’organiser puisque, de fait, et grâce aux ressorts de la propagande et du fanatisme qu’ils entretiennent dans leur entourage politique et qu’ils financent grassement, ils sont déjà à part entière, mais en toute discrétion et impunité, des mises en pratique de cette forme radicale d’oppression et d’exploitation.

Cette approche vaut éventuellement pour les systèmes réputés totalitaires, sous réserve qu’on accepte de caractériser l’esclavage par le fait d’annihiler la liberté et la volonté d’autrui à n’importe quel prix, y compris celui de son enrôlement et de son endoctrinement forcés, de son emprisonnement, de sa souffrance et de sa mort. Mais qu’en est-il des autres types de gouvernements, au premier chef de ceux du monde occidental dit « évolué », les régimes réputés de liberté, les démocraties modernes ?

La question se justifie d’abord parce que ces pays sont les concepteurs juridiques et politiques de l’autonomie du vouloir, de la liberté et de l’égalité. Ce sont eux qui ont décrété l’esclavage aboli. Nous sommes alors évidemment en droit d’attendre d’eux qu’ils donnent l’exemple, et notamment les preuves qu’en leur sein il n’y a plus trace du moindre esclavage et de caution apportée – politiquement et ailleurs – à un « esclavage moderne » sous toutes ses formes. Ensuite – mais ces raisons ne sont peut-être historiquement que conjoncturelles et donc très provisoires – ces pays sont ceux qui de nos jours triomphent, et le modèle de liberté qu’ils proposent semble toujours résistant et très vivace.

Or, qu’en est-il vraiment de l’esclavage dans les « grandes démocraties » ? Et hormis des cas totalement inégaux et clandestins de comportements esclavagistes envers des enfants ou des jeunes femmes étrangères réfugiées, n’y a-t-il pas des formes beaucoup plus détournées – perverties – de l’esclavage et de caution ?

À la grande différence de l’esclavage ancien et moderne, l’esclavage contemporain est donc condamné en droit. Se trouvant en pleine illégalité, il ne lui reste plus qu’à disparaître ou à se transformer. De nombreux signes attestent que c’est la deuxième issue qu’il a empruntée. Certes, cela met en jeu une certaine vision de la nature humaine, plutôt réaliste voire pessimiste, selon laquelle la violence subsiste au cœur de l’homme, et que le désir d’opprimer, de s’approprier et d’exploiter l’autre homme est toujours opérationnel et par trop vivace.

Si l’on veut bien retenir que l’esclavage commence par un processus discriminatoire, nous devons conclure que le sexisme, le racisme, la xénophobie en sont des manifestations « en puissance », pouvant produire en actes des situations apparemment éloignées de l’esclavage, mais en fait structurellement très proches. De même, si l’on considère l’élément constitutif de l’esclavage – le mépris de l’autre homme, parfois poussé jusqu’à l’humilier et lui refuser, en même temps que toute dignité, toute humanité et toute liberté -, nous devons tenir pour une de ses formes déviées le travail et le trafic des enfants, l’organisation industrielle de la production et de la consommation de la drogue, de la prostitution et de la pornographie.

Ce par quoi l’on dresse l’amer constat que l’article 4 de la Déclaration adoptée par l’ONU est constamment bafoué : précisément, l’esclavage n’a été aboli que sous certaines formes (et non sous « toutes », comme l’article le stipulait) et qui plus est, il s’est trouvé capable d’inventer de nouveaux moyens sophistiqués de développement.

Il n’en est devenu que plus redoutable, non pas qu’il produise de pires pratiques que celles commises par le passé (que pourrait-on imaginer et inventer de pire !), mais parce que, très sournoises, ces pratiques, même lorsqu’elles sont dénoncées (ce qui est loin d’être toujours le cas) continuent d’avoir cours (nous semblons y être habitués), sous prétexte qu’elles coïncident avec une certaine propension naturelle de l’homme à vouloir dominer son prochain par n’importe quel moyen.

En matière d’esclavage sous toutes ses formes, ce ne sont pas les chantiers qui manquent mais la volonté politique d’appliquer et de faire respecter toutes les lois. Certes !, mais le « politiquement ou diplomatiquement correct » ne consiste pas à faire taire les problèmes en les solutionnant dans le temps, mais à faire taire ceux qui les posent.