26/04/07 (B392-B) LIBERATION / La Somalie, poudrière de la Corne. (Info lectrice)

Les
islamistes ripostent au déluge de feu éthiopien sur Mogadiscio
en frappant dans l’Ogaden.


Par Christophe AYAD

La guerre sans merci menée par l’armée éthiopienne
à la rébellion islamiste somalienne dans les rues de Mogadiscio
menace de s’étendre à toute la corne de l’Afrique. Le massacre
de 74 personnes (65 Ethiopiens et 9 Chinois) sur un site pétrolier
chinois dans l’Ogaden, une région éthiopienne frontalière
peuplée de Somali, est le dernier développement en date de ce
conflit.

A Mogadiscio même, c’est une véritable guerre qui fait rage depuis
huit jours.

La reprise des combats était prévisible après le premier
round fin mars, qui avait déjà causé un millier de morts
civils, selon Elman Peace and Human Rights Organisation, une ONG somalienne.
Ces combats sont les plus violents depuis 1991, lorsque les chefs de guerre
locaux se disputaient le pouvoir à l’arme lourde en plein Mogadiscio
après la chute du dictateur Siyad Barré.

Mais les protagonistes ne sont plus les mêmes : face à l’armée
éthiopienne, «invitée» par le gouvernement fédéral
de transition, impuissant à contrôler sa propre capitale, une
coalition d’islamistes et de miliciens claniques opposés au pouvoir.
Après la chute quasiment sans combats de Mogadiscio, fin décembre
2006, les combattants des tribunaux islamiques, qui avaient contrôlé
la capitale pendant sept mois, n’ont pas mis longtemps à se réorganiser
en petites cellules fortement armées et bien organisées.

Les actes de guérilla visant les armées régulières
somalienne comme éthiopienne se sont multipliés. Mi-mars, la
rébellion est passée à la vitesse supérieure,
s’emparant de larges portions de la capitale.

Camion-suicide.

L’armée éthiopienne a réagi par une guerre totale, bombardant
au canon et au mortier des quartiers civils où sont installés
les insurgés. En une semaine, au moins 323 personnes ont été
tuées dans la ville, dont 257 civils, toujours selon Elman Peace and
Human Rights Organisation.

De son côté, la Mouqawama («résistance», en
arabe) «s’irakise» en accéléré : mardi, un
camion-suicide a explosé à l’intérieur d’un camp militaire
éthiopien, tandis qu’une voiture piégée explosait à
proximité de l’hôtel Ambassadeur, où logent plusieurs
membres du gouvernement d’Ali Gedi. Ce dernier ne cesse de dépeindre
les insurgés sous les traits d’affidés d’Al-Qaeda. En fait,
les quelque 3000 combattants islamistes ­ dirigés par les Shebab
(«jeunes»), l’aile la plus radicale des ex-tribunaux islamiques
­ ont été rejoints par des miliciens appartenant au clan
des Hawiye très hostiles au président Abdallah Yusuf, un Darod
du centre du pays.

Depuis février et l’intensification des combats, plus du tiers du million
d’habitants de Mogadiscio a fui la ville. Un flot continu de déplacés
encombre la route d’Afgoye, à 30 kilomètres de là, où
s’entassent déjà 40 000 déplacés. Les fuyards
en sont réduits à camper sous les arbres, sans aide humanitaire
.

Le Programme alimentaire mondial s’est vu refuser il y a deux semaines l’accès
aux déplacés d’Afgoye par les autorités, qui ont rejeté
toutes responsabilités sur «les extrémistes» . L’ONU,
silencieuse malgré l’ampleur des crimes de guerre commis de part et
d’autre, a fini par demander lundi «la cessation immédiate des
hostilités et à la reprise du dialogue politique».

Mais l’appel du secrétaire général Ban Ki-moon, qui dénonçait
aussi «l’utilisation systématique d’armes lourdes contre des
zones à forte population civile, au mépris du droit humanitaire
international» est resté lettre morte.

Le Conseil de sécurité, qui soutient le gouvernement fédéral
de transition et ses alliés éthiopiens, ne semble pas pressé
de se réunir. Quant à la force de paix de l’Union africaine,
qui compte pour l’instant 1 500 soldats ougandais (sur 8 000 prévus),
ne prend pas part aux combats, laissant l’Ethiopie faire le «sale boulot».
Erythrée. L’administration Bush soutient aveuglément Addis-Abeba
dans ce qui est vu à Washington comme un front local de la «guerre
contre le terrorisme».

L’Ethiopie accuse en effet l’Erythrée, son ennemi juré à
qui l’a opposé un conflit frontalier de 1998 à 2000, de soutenir
et d’armer les insurgés somaliens. Si une telle influence ne faisait
aucun doute, à l’époque où les tribunaux islamiques régnaient
sur Mogadiscio, elle est aujourd’hui beaucoup moins évidente, comme
en témoigne l’épuisement des insurgés : tous les accès
de la capitale étant contrôlés par le gouvernement, ils
ne sont manifestement plus approvisionnés en armes.

Washington a jeté de l’huile sur le feu régional en
accusant Asmara de «financer, d’armer, d’entraîner et de conseiller
les insurgés».

Hier, Addis-Abeba a enfoncé le clou en attribuant la tuerie
de mardi dans l’Ogaden à l’Erythrée.

Pourtant, la tentation séparatiste somalienne est un phénomène
bien réel en Ethiopie. Tout comme la montée de l’islamisme chez
des ethnies musulmanes comme les Oromos, en lutte contre le pouvoir central
monopolisé par les Tigréens chrétiens.