25/03/99 (LIB 001) Maître AREF, prisonnier politique à Djibouti, a pu enfin nous écrire une première lettre, après un mois et dix jours d’incarcération dans des conditions effroyables.

Djibouti,
le 25 mars 1999
À Monsieur Jean-Loup SCHAAL
À Paris

 

Suite
à la formidable pression que vous avez tous très brillamment exercée, ma situation
carcérale vient de s’améliorer nettement.

Hier matin,
le représentant du CICR à Djibouti a annoncé sa visite à la prison, en précisant,
qu’il comptait me rencontrer du fait de mon « statut » de prisonnier politique.

Du
coup, les dirigeants de la prison se montrent sensibles aux courbatures multiples
et aux boutons dont je souffre constamment. Ils font venir un médecin (qui
est un ami) qui prescrit entre autres le transfert immédiat à ce que poétiquement
on appelle « l’infirmerie » où il existe deux petites cellules réservées d’habitude
aux prisonniers politiques.

La prescription
du médecin de la prison a été aussitôt exécutée au moment même où RFI diffusait
les propos honteux du Ministre français qui se prétendait bien renseigné sur
l’amélioration de mes conditions de détention alors qu’apparemment, il venait
une fois de plus de se faire berner par son ambassadeur qui semble plutôt
servir la tyrannie locale.

Je suis donc
(pour le moment) logé avec deux autres détenus, dans une pièce de 3 mètres
sur 3 avec W-C. J’ai occupé cette même cellule en 1991 pendant 1 mois, puis
en juillet 1992 pendant une semaine.

En outre
j’occupe un lit sur lequel j’ai pu dormir à peu près normalement depuis un
mois et dix jours.

Bien
évidemment, j’ai reçu la visite du représentant du CICR avec lequel, j’ai
eu un entretien d’une heure et demie. Je te demande donc de bien vouloir remercier
tous nos amis dont l’intervention me permet aujourd’hui de passer une nuit
à dormir à peu près normalement et de disposer d’un W-C à siphon. Pour combien
de temps ? J’avoue que je n’en sais trop rien.

En ce qui
concerne le Ministre français, il faudrait qu’il sache qu’il doit être la
risée au moins du personnel de l’Ambassade de France chargé de lui transmettre
les messages me concernant. Le régisseur de la Prison de Djibouti a éclaté
de rire hier matin en entendant le propos du Ministre français aux députés
français (la veille) rapportés par RFI alors qu’il s’apprêtait à peine à faire
procéder à mon transfert du hangar à l’infirmerie.

Au surplus,
il doit absolument savoir que depuis le 13 mars 1999, je suis légalement (article
358 du code djiboutien de procédure pénale) en liberté d’office et que par
conséquent depuis cette date, mon incarcération constitue le crime de détention
arbitraire prévu et réprimé de dix ans de réclusion criminelle et cinq millions
de FD d’amende par l’article 195 du code pénal djiboutien.

Car l’Ambassade
de France ne l’a certainement pas informé de cela malgré la publication de
nombreux articles dans ce sens par tous les journaux indépendants à Djibouti.

En ne
dénonçant pas le crime dont je suis indiscutablement victime, le Ministre
français donne l’impression qu’il l’approuve tacitement. Pourquoi ??

Rien aussi
sur le refus aux avocats français de plaider !!

Plus grave encore, les membres de l’Ambassade de France, y compris l’Ambassadeur
se pavane avec le candidat Ismaël Omar Guelleh présenté comme tel par la Radio
et la Télé djiboutiennes pour inaugurer chaque jour quelque chose de nouveau
(depuis une semaine) même une bibliothèque au Quartier 7 dans laquelle la
France n’a rien à voir.


Je ne sais pas si le Gouvernement et le Parlement français sont informés de
ce soutien manifeste à une tyrannie et celui qui désormais la représente officiellement
et qui est poursuivi pour tortures et crimes contre l’humanité à Paris.

Enfin, je
continue à t’adresser des témoignages d’actes de torture, rédigés par les
victimes, prisonniers politiques qui ont osé s’engager car beaucoup ont peur
des représailles.

Je
le comprends, car j’ai vu un détenu qui a encore un bras cassé et des fractures
aux doigts ainsi que des traces imprimées de coups de matraques.

Tu recevras
aussi un dossier par la Poste et qui étaye la plainte que tu as fait déposer
par Me R-V Calatayud.

Je te
laisse le soin de partager la présente ainsi que les témoignages avec mes
amis, dont R-V Calatayud, Anne Monseu, Amnesty, la FIDH, l’OMCT, la FNUJA,
Arnaud Montebourg et la presse, mais en ce qui concerne le contenu de la présente
et l’intégralité des témoignages. Toute ma gratitude à tous nos amis

AREF

P.S.

1
– Le représentant de Djibouti de l’Union européenne vient de remettre un chèque
de Deux Millions de US$ au régime pour, entre autres, payer des arriérés de
factures, alors que tout le monde sait qu’il n’existe aucu
ne
transparence ni contrôle budgétaire.

2 – Pourrais-tu
te renseigner sur les dates de déplacement à Djibouti du représentant dela
CIJ (mon ami Adama DIENG a écrit une lettre en ce sens) et l’Observatoire
International des Prisons dont la venu a été annoncée par le Ministre français.

3 – J’apprends
que la Commission des Nations Unies sur les Droits de l’Homme se réunit à
Genève. Nos amis de la CAPSH et de Femmes Africa Solidarité peuvent très
facilement obtenir une résolution condamnant le Gouvernement djiboutien. Dans
ce cas, qu’ils nous envoient le texte pour publication à Djibouti dans les
journaux indépendants. Idem pour Bruxelles, au niveau de l’Union européenne
qui est restée muette sur les crimes commis à Djibouti.