10/07/07 (B483) LE FIGARO / Nouvelles révélations dans l’affaire Borrel (ANGÉLIQUE NÉGRONI)
Deux heures avant la découverte officielle de la mort du juge Borrel, l’armée française était déjà au courant.
C’EST un mystère de plus dans l’affaire Borrel. Alors que la mort du juge français en 1995 à Djibouti n’est toujours pas élucidée et que des pressions politiques sont dénoncées par la partie civile, l’enquête rebondit. De nouvelles révélations ont été portées à la connaissance du juge d’instruction en charge de l’affaire, Sophie Clément, qui a demandé lundi dernier la levée du secret défense concernant une série de documents relevant du ministère de la Défense.
Information jamais divulguée : l‘armée française basée à Djibouti a été la première informée de la mort du juge Borrel, et non les gendarmes de la prévôté d’Arta comme cela avait toujours été indiqué. Jusqu’à présent, en effet, et comme cela figure dans tous les procès-verbaux, la gendarmerie était la première à connaître ce drame. Ce 19 octobre 1995, deux fonctionnaires de la prévôté, en patrouille sur une zone plutôt déserte du pays, s’étaient arrêtés en bordure d’une falaise car intrigués par la présence d’un véhicule stationné et inoccupé. En contrebas de la route, ils avaient trouvé le corps calciné de Bernard Borrel. Sur les pièces de la procédure, l’heure précise de la découverte avait été indiquée : 7 h 20.
« Pressions politiques »
Or, on sait désormais que dès 5 h 30, l’information circulait au sein de l’armée française. Tout d’abord, un membre de la direction de la protection sécurité publique avait alerté les responsables du deuxième bureau de l’état-major chargé du renseignement militaire. Puis vers 6 heures, le chef d’état-major des forces françaises stationnées à Djibouti, le colonel Patrice Sartre, avait aussi été mis au courant par un autre biais. Il avait été avisé par le colonel Godron, attaché de défense auprès de l’ambassade de France. À ce moment-là, tous savaient qu’il s’agissait du corps de Bernard Borrel. Pour certains déjà, il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’un assassinat.
C’est en décidant de reprendre nombre d’auditions que la juge d’instruction a découvert cette nouvelle chronologie de l’affaire. Les langues se sont ainsi déliées dans son bureau entre le 25 et le 27 juin où se sont succédé des représentants de l’armée et de la gendarmerie. Désormais, la juge veut savoir qui a informé l’armée française. S’agit-il des services secrets djiboutiens, tenus à ce moment-là par Ismaël Omar Guelleh, devenu ensuite l’actuel président du pays ? Si Borrel avait été tué parce qu’il avait découvert des trafics au sommet de l’État, il s’agissait ensuite de faire comprendre à la France qu’il ne fallait pas persévérer dans cette voie… Une information qui aurait alors tout d’un message d’intimidation.
Autre hypothèse : l’armée aurait été informée… par l’armée.
Dans ce pays qui abrite une importante base militaire française, il n’est pas impossible que, ce jour-là, des opérations militaires françaises se soient déroulées non loin du lieu où Bernard Borrel a été exécuté. Pour en avoir le coeur net, la juge a donc décidé de demander la levée du secret défense concernant des documents relatifs au mouvement des troupes françaises ce 19 octobre 1995.
Enfin, autre nouveauté dans le dossier : Sophie Clément a adressé un courrier à ses homologues parisiens, les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia, qui se chargent d’un autre volet de l’affaire Borrel, portant sur d’éventuelles pressions politiques exercées sur la justice. Dans une lettre du 21 juin, elle leur indique qu’elle souhaite être entendue comme témoin. Alors que la veuve du juge Borrel dénonce des « pressions politiques incontestables » et que des documents saisis révèlent que la France a tout fait pour protéger ses bonnes relations avec Djibouti, elle veut leur indiquer qu’elle n’a, pour sa part, subi aucune pression d’aucune sorte dans cette affaire.
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