16/11/07 (B421) LIBERATION Le chaos somalien, entre rebelles islamistes et occupation éthiopienne

CHRISTOPHE AYAD

Est-ce la deuxième, la troisième ou la quatrième bataille de Mogadiscio de l’année en cours ? Plus personne ne compte, plus personne ne sait vraiment. Les habitants de Mogadiscio ont pris l’habitude de déménager au gré des offensives de l’insurrection d’obédience islamiste, qui a juré de chasser par les armes l’armée d’occupation éthiopienne. Ces deux dernières semaines, plus de 170 000 personnes ont fui Mogadiscio, en proie à de violents combats. L’insécurité est telle que le Programme alimentaire mondial (PAM) est dans l’incapacité de distribuer de l’aide.

Qui sont les insurgés ?

L’essentiel de la mouqawama (la résistance) est constitué de l’aile radicale des Tribunaux islamiques, notamment les Chebab (jeunes), la milice la plus extrémiste de cette coalition disparate qui régna sur Mogadiscio de juin à décembre 2006. Mais il serait faux de réduire la guérilla aux seuls Chebab. Les principaux clans de la capitale, apparentés au groupe Hawyie, ont rejoint l’opposition armée par hostilité au président Abdallah Yusuf, originaire du Puntland, et à ses alliés éthiopiens. Les principaux chefs politiques des Tribunaux islamiques sont réfugiés en Erythrée, principal ennemi régional de l’Ethiopie.

De plus en plus, les insurgés somaliens mobilisent sur un mode nationaliste et rallient tous ceux qui veulent en finir avec l’occupation de la Somalie – musulmane – par l’Ethiopie, l’«ennemi chrétien séculaire».

Que fait le gouvernement ?

En bientôt un an de pouvoir à Mogadiscio, le gouvernement fédéral de transition n’a jamais su imposer la loi et l’ordre, ni sa crédibilité. Le marché de Bakara, véritable poumon économique de la capitale, a été ravagé par les flammes lors de combats.

L’insurrection mène des attentats quasi quotidiens et n’hésite plus à décapiter les agents du pouvoir accusés de traîtrise. Les forces gouvernementales et éthiopiennes ne se privent pas de piller les quartiers vidés par les combats ou de rançonner les habitants aux barrages. Huit journalistes ont été assassinés depuis le début de l’année. Le pouvoir, qui a assiégé une radio pendant plusieurs jours, a même fait arrêter le représentant du Programme alimentaire mondial (PAM) pour des déclarations jugées déplaisantes.

Les Tribunaux islamiques avaient rétabli un calme sans précédent depuis le début de la guerre civile en 1991. Même la piraterie, dont les Tribunaux islamiques étaient venus à bout, est en plein essor : l’US Navy, qui patrouille dans les parages, ne parvient pas à en venir à bout.

Les institutions fédérales elles-mêmes traversent une grave crise. Le Premier ministre Ali Gedi, qu’une rivalité opposait au Président Abdallah Yusuf, a démissionné au début du mois. Le président du Parlement avait été démis en janvier pour sa sympathie envers les Tribunaux islamiques, malgré les protestations de la communauté internationale. Dans ce contexte, aucun projet de reconstruction ou de développement n’a été mené à bien, ni même lancé.

La Somalie est-elle un nouveau front de la guerre contre le terrorisme ?

Ce que dénonçait Washington est en train de se réaliser. En accusant, il y a un an, les Tribunaux islamiques d’être sous la coupe d’Al-Qaeda, l’administration américaine a travesti la réalité (moins d’une demi-douzaine de membres étaient hébergés et protégés par les Chebab) et donné un feu vert explicite à Addis Abeba pour envahir son voisin. Malgré les communiqués sur l’amélioration sécuritaire, l’armée éthiopienne est de plus en plus engluée dans un conflit qui ressemble par bien des aspects au fiasco américain en Irak. Plus le conflit dure et plus les radicaux, proches d’Al-Qaeda, s’imposent à la tête de l’insurrection.

A part l’Ouganda, qui a envoyé un millier d’hommes, régulièrement pris pour cible, aucun autre pays africain ne veut participer à l’Amisom, la force de paix de l’Union africaine quasi mort-née