17/12/07 (B426) RUE 89 : Yémen: le calvaire silencieux des migrants africains (Info lectrice)

Par François-Xavier Trégan (Journaliste)

(De Sanaa) Il y a une tonalité quasi désespérée dans l’appel que vient de lancer le Parlement yéménite aux riches Etats pétroliers voisins de la péninsule arabique. En leur demandant de recueillir sur leur territoire les migrants africains, les députés soulèvent la question du partage de ce qui est devenu un lourd fardeau économique et social pour le pays.

Ils murmurent aussi, poliment, qu’aucun autre pays de la région n’a signé la convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés. Mais il y a surtout un côté désespérant et tragique dans la situation que vivent ces milliers de personnes, Somaliens, Ethiopiens, chaque mois plus nombreux à tenter de fuir les combats de la corne africaine pour trouver refuge au Yémen. Ils sont plus de 20 000 depuis le début de l’année.

La liste macabre des victimes de la périlleuse traversée du Golfe d’Aden n’en finit plus de s’allonger. Plus de 200 depuis le mois de septembre. Au moins 80 pour la seule journée du jeudi 29 novembre. Chaque semaine, des silhouettes sans vie sont retrouvées sur les jolies plages de sable blanc du Golfe. Charriées par la mer, anonymes jusqu’au bout de leur calvaire.

Traversée rythmée à coups de bâtons

Les passeurs d’hommes, eux, sont sans crainte. De septembre à mars, ils disposent d’une belle saison pour organiser leur trafic. Les conditions de navigation sont alors les meilleures. Ils entassent sur leurs fragiles embarcations des masses de clandestins. Rythment le trajet long de 300 kilomètres à coups de bâtons. La souffrance silencieuse des passagers dure de 3 à 5 jours et coûte de 50 à 100 dollars, sous l’autorité arrogante de celui qui, croient-ils, détient les clés d’une vie moins mauvaise.

A l’approche des côtes yéménites, pour esquiver les tirs dissuasifs des forces de sécurité, ils forcent les passagers à sauter à la mer. Sachant très bien que certains périront noyés. Ils sont sans crainte, les passeurs, car les rotations maritimes leur rapporteront toujours plus, aussi longtemps que le chaos dominera en Afrique de l’Est.

Pour les survivants débute une vie de misère. A cinq ou six familles entassées dans une chambre de 15 m2 à Basateen, dans les faubourgs d’Aden la métropole du Sud, sous un toit de tôle posé sur des parpaings mal ajustés. Impossible de travailler légalement. Reste donc à laver les voitures ou à trouver une place d’employé de maison.

Frontière saoudienne close

Un seul camp de réfugiés est actuellement disponible au Yémen, à Kharaz, au beau milieu de rien mais cerclé de beaucoup de poussières et assommé de beaucoup de soleil. La vie dans le camp, c’est la rencontre aléatoire avec la viande et les légumes. La misère les pousse alors sur les routes. Reste à tenter sa chance de l’autre côté, quelques centaines de kilomètres plus au nord. En Arabie Saoudite.

La frontière est close. Certains passent, bien sûr; d’autres sont refoulés. Mais le trafiquant terrestre, le clone du trafiquant maritime, vient d’achever sa besogne. Enfin presque. Car le plus souvent, il les a abandonnés en cours de route, au milieu de l’aride Tihama, la province occidentale, après avoir empoché les billets. Une vie de nomade et de célibataire s’organise alors, car souvent l’homme a abandonné femmes et enfants pour mieux tenter le hasard, seul.

Un potentiel vecteur d’insécurité pour les Yéménites…

Aden, Taez, Sanaa… Combien sont-ils? Plusieurs centaines de milliers. Sans doute. Car il n’existe aucun instrument de mesures statistiques, jusqu’à présent, pour mieux évaluer l’impact migratoire des crises africaines sur le Yémen. Et donc mieux définir les réponses à apporter. L’Organisation internationale des migrations s’attèle aujourd’hui à la tâche, après plus de quinze années de conflit en Somalie…

L’appel des parlementaires yéménite est un appel d’urgence. Il est aussi une peur. Celle, latente dans le pays, de voir une progressive yéménisation de la question des réfugiés: soutiens publiques, scolarisation, soins… Alors que les nationaux dénoncent déjà les carences des aides de l’Etat, sur fond de tensions économiques et sociales croissantes sur tout le territoire.

La crainte, aussi, que la population des réfugiés ne puisse un jour agir comme un vecteur d’insécurité… qui sait. Mais le Parlement yéménite, qui n’hésite pas à soulever publiquement le sujet, invite aussi le gouvernement à s’atteler à la rédaction d’un droit d’asile. Et donc à apporter plus d’équité pour tous ceux qui ne peuvent prétendre, au Yémen, au statut de réfugiés. Dont un très grand nombre d’Ethiopiens. La question des migrants africains vers le Yémen et les pays environnants se situe dans les ornières de l’actualité. Les souffrances et les victimes sont bien là. Silencieuses, elles aussi.