29/02/08 (B437) LE MONDE Relations France-Afrique : une « rupture » annoncée, mais loin d’être déjà « effective » (Interview d’Olivie Thimonnier, SURVIE)

Au cours de sa visite officielle en Afrique du Sud, Nicolas Sarkozy a promis, jeudi 28 février, de réexaminer le « cadre » et les « objectifs » de la présence militaire de la France sur le continent africain, annonçant la renégociation de « tous les accords militaires de la France en Afrique ».

Olivier Thimonier, secrétaire général de l’association Survie, qui avait participé à la rédaction d’un Livre blanc pour une politique de la France en Afrique responsable et transparente (L’Harmattan, 2007), attend que ce discours se traduise dans les actes.

Comment interprétez-vous l’annonce faite, jeudi 28 février, par Nicolas Sarkozy d’une renégociation des accords militaires entre la France et les pays africains ?

C’est un signe positif. Jusqu’à aujourd’hui, aucun chef de l’Etat n’avait osé remettre en cause des accords de coopération qui datent, pour certains, des indépendances. Le fait que le président propose d’associer le Parlement français aux grandes orientations de la politique de la France en Afrique est une bonne chose. Et, bien évidemment, nous sommes d’accord avec l’idée que la France n’a pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées sur le continent africain. Mais nous n’en sommes pour l’instant qu’à un discours ; il va falloir maintenant que le président français mette concrètement en application ces déclarations.

On peut s’interroger sur le fait que les accords renégociés soient élaborés en réponse aux intérêts stratégiques de la France ainsi qu’à ceux des partenaires africains.

Or, qui sont ces partenaires ?

Pour la plupart, ce sont des régimes dictatoriaux, qui utilisent la force comme mode de gestion du pouvoir. Il nous semble pernicieux d’établir des accords de défense avec de tels régimes, sachant qu’il faudrait également que les pays africains débattent, au sein de leurs Parlements, de la signature de ces futurs accords.

Par ailleurs, je suis étonné qu’il ne soit pas question dans ce discours du détournement des ressources naturelles ou de la corruption par les régimes en question. Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Bockel [secrétaire d’Etat chargé de la coopération et de la francophonie] avaient déjà pointé du doigt la question de la bonne gouvernance des pays africains, or le président n’y a fait aucune allusion dans son discours du Cap.

Peut-on s’attendre à un désengagement des troupes françaises en Afrique ?

Je ne crois pas que cela soit la volonté du président français, même s’il semble vouloir faire évoluer la politique de la France en Afrique. Avec ce qui se passe au Tchad, on a une preuve que la France continue de s’impliquer militairement dans les conflits en Afrique.

Ce conflit au Tchad est un conflit interne.

La France dit qu’elle n’a pas voulu arrêter l’avancée des rebelles, mais, en fournissant des armes aux troupes du gouvernement, elle a quand même sauvé le président Idriss Déby.

Donc, finalement, elle s’est ingérée dans ce conflit.

Le discours prononcé par Nicolas Sarkozy au Cap semble en décalage avec l’attitude de la France au Tchad, notamment dans le contexte d’emprisonnement d’opposants par le régime. Nicolas Sarkozy demande l’instauration d’un dialogue inclusif et accuse les opposants de faire la politique de la chaise vide. C’est scandaleux.

Les opposants tchadiens sont pourchassés, leurs responsables sont arrêtés, les membres de la société civile sont en fuite ou se cachent...

Demander l’instauration d’un dialogue dans ce contexte-là, alors que la France a une part de responsabilité dans la situation, cela paraît osé de la part du président français.

Pendant sa campagne, Nicolas Sarkozy avait promis une rupture par rapport à la traditionnelle « politique africaine » de la France. Cette rupture vous semble-t-elle en marche ?

Il y a eu quelques signes d’une nouvelle politique depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence française, notamment sur le dossier de l’affaire Borrel, le juge français assassiné à Djibouti, ou en ce qui concerne la présence sur le sol français de présumés génocidaires, un dossier dans lequel la justice française semble prête à prendre ses responsabilités.

Maintenant, il y a aussi plusieurs éléments qui montrent une continuité dans les relation franco-africaines, comme par exemple les relations entretenues avec des personnages comme le président Omar Bongo du Gabon et le président congolais, Denis Sassou Nguesso, ou encore la visite officielle de Mouammar Kadhafi à Paris en novembre dernier.

Enfin, l’attitude de la France au Tchad montre que la rupture est loin d’être effective.

La rupture ne se fera pas du jour au lendemain, mais par avancées progressives.

Pour le moment, on n’en est qu’au stade du discours, il va falloir que des actes concrets soient engagés.

Propos recueillis par Mathilde Gérard