04/10/08 (B468) Le Figaro / La chasse aux pirates s’organise en mer d’Aden

Tanguy Berthemet

Paris devrait déposer un projet de résolution au Conseil de sécurité de l’ONU afin de créer une force navale d’escorte pour les cargos croisant dans le golfe d’Aden.

L’odyssée du MV Faina ne semble jamais devoir finir. L’arraisonnement de ce cargo ukrainien au large de la Somalie a sonné la mobilisation de la communauté internationale contre la piraterie dans l’océan Indien. Ce n’est pas tant le sort de la Somalie, du navire ou de ses 21 marins qui la préoccupe que celui de la cargaison composée, selon l’armateur, de 33 chars T-72, de pièces détachées, «d’une quantité substantielle de munitions» et de lance-grenades.

La prise de cet arsenal et le mouillage du bâtiment ukrainien au large du Puntland, une zone semi-autonome de la Somalie en partie sous-contrôle des islamistes a aiguisé les inquiétudes. Washington a immédiatement dépêché six navires de guerre, dont le destroyer USS Howard, pour surveiller le MV Faina et éviter tout débarquement de la cargaison.

La France, dont deux navires, le Ponant et le Carré-d’As, ont été victimes cette d’année d’abordages sauvages, entend maintenant agir sur le fond. Dans les jours prochains, Paris devrait déposer un projet de résolution au Conseil de sécurité de l’ONU pour créer une force navale d’escorte pour les cargos croisant dans les golfe d’Aden, le terrain de chasse favori des pirates. Plusieurs pays, notamment l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne se sont dits prêts à participer à cette flotte qui pourrait être placée sous commandement européen. La Grande-Bretagne, dont les bâtiments sont déjà surexploités, a réservé sa réponse, en souhaitant une participation des États-Unis à l’armada. Une option à laquelle la France n’est pas hostile. «On peut espérer qu’il y ait aussi des moyens de l’Alliance atlantique et notamment des moyens américains», a souligné le ministre français de la Défense, Hervé Morin.

374 marins otages en un mois

«L’idée est de former des convois avec des bâtiments d’escortes pour décourager les pirates. Ce qu’il faut avant tout c’est agir très vite», explique un diplomate français. Car la piraterie augmente dangereusement. Les attaques s’enchaînent à un rythme étonnant. Deux raids et une tentative ont été enregistrés au cours des dix derniers jours. Risk Intelligence, une société danoise spécialisée dans la sécurité maritime, dénombre 374 marins pris en otages lors du seul mois d’août. On n’en avait compté que 292 au cours de toute l’année 2007. La France, sans vraiment l’avouer, espère également que la future force servira à mieux contrôler les cargaisons des navires traversant le golfe d’Aden.

L’assaut sur la Faina a jeté une lumière crue sur les trafics dans la région. La destination finale de la cargaison fait l’objet d’une intense polémique. Officiellement les tanks, attendus dans le port de Mombasa, devaient moderniser l’armée kenyane. Nairobi comme Ukrspetsexport, une société d’État ukrainienne, l’ont plusieurs fois confirmé. Mais cette version simple est ouvertement mise en doute par la marine américaine. Les services secrets occidentaux s’étonnent également de cet achat de chars de conception russe pour lequel le Kenya n’a aucune expertise. Pour l’US Navy, les T-72 devaient en fait être livrés au Sud-Soudan. Certes, la vente d’arme à cette région semi-autonome n’est pas explicitement proscrite par l’ONU. Seule l’Union européenne l’interdit. «C’est un dossier gênant pour Kiev au moment où l’Ukraine négocie un rapprochement avec l’Union européenne», souligne un diplomate.

De nombreux experts doutent qu’une flotte européenne puisse mettre un terme aux trafics ou même à la piraterie. Dans un rapport publié début en octobre, Chatham House, un groupe de réflexion britannique estime que des navires en convoi, mal protégés, pourraient même faciliter la tâche des ruffians des mers. L’organisation souligne que les bandes armées ont, ces derniers temps, fait montre de leur capacité d’adaptation et qu’elles pourraient, une fois encore, surprendre.

Un temps amateurs, les pirates somaliens sont désormais de très adroits professionnels. Le choix soigneux de leurs cibles et leur mode opératoire parfaitement rodé le démontrent. Les sommes colossales rapportées par les raids, entre 18 et 20 millions de dollars cette année, assurent aux chefs une motivation sans faille de leur troupe. Dans ce pays, ravagé par dix-sept ans de guerre civile et d’une pauvreté sans limite, les opportunités sont, il est vrai, rares. «Cet argent sert aussi à alimenter la guerre qui permet aux pirates d’agir sans risque, donc de gagner plus d’argent», détaille un spécialiste de la Somalie. Un cercle vicieux qui ne pourra être brisé qu’à la condition de trouver une solution à la question somalienne dans son ensemble.