07/02/11 (B590) Yémen Express – tirs à balles réelles sur des manifestants dans le sud – l’opposition appelle Saleh à traduire ses promesses en actes – L’EFFET DOMINO ?- Pourquoi le Yémen se soulève à son tour ?

____________________ 4 – Ria Novosti (Russsie)

Yémen: tirs à balles réelles sur des manifestants dans le sud

La police a tiré à balles réelles jeudi pour disperser une manifestation de militants séparatistes dans le sud du Yémen, trois personnes ont été blessées, rapportent les médias occidentaux.

Des manifestants se sont réunis jeudi soir dans la ville d’Al-Moukallah (chef-lieu du Hadramaout) pour revendiquer l’indépendance du Sud du Yémen. Selon les témoins, la police a fait usage de balles réelles et de gaz lacrymogènes. Trois personnes ont été hospitalisées, dont une dans un état grave.

Organisées par le Mouvement sudiste, les manifestations antigouvernementales se sont déroulées jeudi sur fond de protestations massives. La police a notamment dispersé une manifestation à Aden, une des plus grandes villes du sud du pays

_______________________ 3 – Romandie News (Ch) avec AFP

Yémen: l’opposition appelle Saleh à traduire ses promesses en actes

L’opposition parlementaire a demandé samedi au président yéménite Ali Abdallah Saleh de traduire en actes ses promesses de réformes mais sans appeler à de nouvelles manifestations.

Dans un communiqué commun, les blocs parlementaires des partis de l’opposition ont annoncé qu’ils allaient « continuer de boycotter les séances du parlement jusqu’à l’abrogation des mesures unilatérales ». Ils font référence aux amendements constitutionnels qui permettraient au président de briguer un nouveau mandat, et à une nouvelle loi électorale contestée par l’opposition.

Le président Saleh, au pouvoir depuis 32 ans, avait annoncé mercredi le gel, et non l’annulation, des amendements constitutionnels qui lui permettraient de briguer un nouveau mandat à l’expiration en 2013 de celui qu’il exerce actuellement.

Il a en outre annoncé le report des élections législatives prévues pour le 27 avril et dont la tenue, en l’absence d’une réforme politique, était contestée par l’opposition.

Le communiqué de l’opposition demande également au pouvoir « de prendre des mesures concrètes pour appliquer les accords passés » avec le Congrès populaire général (CPG, parti au pouvoir) au sujet du dialogue national.

Il rend également « hommage au peuple yéménite pour avoir exprimé de manière civilisée ses demandes légitimes de réforme et de changement », lors des manifestations organisées jeudi par l’opposition.

Le communiqué n’appelle toutefois pas à de nouvelles manifestations et ne réclame pas non plus un départ du président Saleh.

Des dizaines de milliers de partisans de l’opposition yéménite avaient manifesté dans le calme jeudi à Sanaa pour réclamer un changement de régime, alors que le CPG faisait également défiler ses partisans.

Le parti au pouvoir a cependant annulé des manifestations qu’il prévoyait d’organiser samedi et dimanche dans différentes villes yéménites.

Ses partisans ont en outre démonté samedi des tentes installées depuis mercredi sur la place Tahrir à Sanaa, haut lieu de la contestation populaire, pour empêcher l’opposition de s’y rassembler, selon un journaliste de l’AFP.

Le président américain Barack Obama avait salué jeudi les réformes au Yémen tout en appelant le régime à la retenue vis-à-vis de la contestation.

__________________________ 2 – OWNI.FR

YÉMEN: L’EFFET DOMINO?

Les soulèvements populaires en Tunisie et en Égypte en préfigurent-ils d’autres dans des pays similaires? Le point sur la situation au Yémen.

Les mobilisations du 3 février au Yémen ont rassemblé des centaines de milliers de Yéménites à travers le pays. Corroborent-elles l’hypothèse d’une « contagion » des révoltes tunisienne et égyptienne à la seule République de la péninsule Arabique ? Si les protestations en sont solidaires, elles s’inscrivent pourtant dans des dynamiques internes spécifiques au champ politique yéménite.

Jeudi matin à Sanaa, des milliers de personnes se sont rendues aux portes de l’université pour demander le changement, la réforme du système politique et la lutte contre la corruption, voire, de façon plus minoritaire, le départ immédiat du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978.

La dynamique protestataire yéménite n’est évidemment pas étrangère aux développements politiques régionaux. Les manifestants, qui rendent hommage et expriment leur soutien aux peuples tunisien et égyptien, semblent en effet fortement inspirés par le « gouffre immense dans le mur des dictatures arabes » occasionné, selon un journaliste local, par la chute de Ben Ali. En témoigne également la reprise par certains groupes des slogans scandés par les foules en Tunisie et en Égypte, relevés par la presse yéménite et diffusés en boucle sur les chaines satellitaires arabes au cours des dernières semaines : « Dégage », « Le peuple veut faire tomber le système » ou encore « Dehors les corrompus ».

Le Yémen, unique République de la péninsule arabique

Pourtant, il ne semble pas inutile de rappeler les singularités de la configuration yéménite afin de ne pas comparer hâtivement ni de confondre des situations fortement contextualisées et évolutives. Née de l’unification en 1990 de la République Arabe du Yémen (au nord) et de la République Démocratique et Populaire du Yémen (au sud), la République du Yémen a longtemps représenté une exception à l’échelle du monde arabe. En effet, le processus démocratique engagé au lendemain de l’unité s’est traduit par l’essor des partis et organisations de la société civile ainsi que d’une presse libre, et l’organisation d’élections pluralistes en 1993.

Or, cette expérience est rapidement remise en question suite à la guerre de 1994 (qui voit les unionistes triompher de l’élite sécessionniste au sud) par la monopolisation du pouvoir par le président Saleh et son parti, le Congrès Populaire Général (CPG). Depuis, le contexte de la lutte contre le terrorisme a favorisé un recours plus systématique à la répression, alors même que le régime privilégiait historiquement l’intégration des forces politiques réelles, et notamment des islamistes. Malgré le déclin du pluralisme et le rétrécissement des libertés, le Yémen se distingue encore aujourd’hui par le pluralisme et le dynamisme de sa société civile, notamment « traditionnelle » (tribale et religieuse), qui représente à de nombreux égards des freins aux ambitions centralisatrices de l’Etat.

Aujourd’hui, le Yémen se trouve face à de nombreux défis économiques, politiques et sociaux, mais aussi énergétiques, démographiques et identitaires.

Avec la dégradation du niveau de vie et la hausse du chômage, d’importants segments de la société yéménite sont marginalisés (le taux de chômage approcherait de 50% chez les jeunes, qui représentent plus de 75% d’une population de presque 24 millions d’habitants). La persistance de la guerre à Saada au nord du pays, qui oppose depuis 2004 les partisans du renouveau zaydite (chiite) à l’armée nationale, la poussée contestataire et sécessionniste dans les gouvernorats de l’ex sud Yémen, ou encore la multiplication des actions des mouvements affiliés à Al-Qaida, soulignent la multiplicité des fronts de l’opposition au régime du président Saleh. Ces facteurs d’instabilité et de violence représentent des sources majeures d’insécurité pour les Yéménites.

Des mouvements marqués par le contexte politique local

Ainsi, bien plus que l’effet des soulèvements dans la région, les manifestations récentes témoignent d’un mécontentement populaire lié à une situation complexe. Elles s’inscrivent surtout dans une bataille pré-électorale entre le parti au pouvoir, le CPG et la coalition des partis d’opposition, la Rencontre Commune, qui rassemble depuis une dizaine d’années des partis de la gauche nationaliste arabe et socialiste et plusieurs partis islamistes. En effet, depuis les dernières élections présidentielles en 2006, la Rencontre Commune, confortée dans son rôle d’opposant, est partie prenante du dialogue avec le CPG en vue d’une réforme de la loi électorale et de la constitution yéménite devant assurer davantage de transparence aux prochains scrutins. Les espoirs nés de cette première présidentielle concurrentielle sont rapidement déçus : le dialogue interpartisan n’aboutit pas aux réformes promises mais entraine une impasse politique majeure qui paralyse et polarise depuis plusieurs années la scène politique. Les élections parlementaires, initialement prévues en 2009, sont reportées à 2011 suite à une campagne de boycott de l’opposition qui refuse de s’y engager sans l’assurance des réformes électorales escomptées. En décembre dernier, suite à l’échec de nombreuses tentatives de conciliation avec l’opposition, le CPG se lance seul dans la compétition électorale et organise ses premiers rassemblements à travers le pays.

C’est en réponse au lancement de cette campagne électorale ainsi qu’à l’annonce d’amendements à la constitution (devant permettre au président d’être candidat à sa propre succession de façon illimitée) que la Rencontre Commune des partis d’opposition s’engage dans sa propre campagne, celle du boycott du scrutin et des projets de réforme du CPG, avec le soutien plus ou moins explicite de la communauté internationale. La mobilisation nationale du 3 février est venue conclure la première étape de ce programme de protestations, initié le 15 janvier dernier. Le président Saleh s’est engagé la veille de ces manifestations à ne pas se représenter aux prochaines élections et à ne pas transmettre la présidence à son fils Ahmad, annonçant également l’annulation des élections d’avril prochain et appelant l’opposition à reprendre les négociations.

Ces concessions, ainsi que l’annonce de la hausse des salaires des agents de la fonction publique et des forces de sécurité, et de la création d’un million d’emplois, n’ont eu que peu d’effets sur les partis d’opposition. Ces derniers ont préféré poursuivre leur programme, exhortant le pouvoir à une réforme complète du système politique. Les rassemblements se sont déroulés en accord avec les autorités yéménites et sans trop de violences, malgré des affrontements, dans le port d’Aden notamment. Ils ont pourtant vu la mise en place d’un important dispositif sécuritaire (encadrement policier, hélicoptère de surveillance mais aussi restrictions à la mobilité et intimidations). Les partisans du CPG ont organisé, quant à eux, des contre-manifestations de soutien au président, s’appropriant à Sanaa l’espace initialement prévu pour l’opposition.

Si la stratégie des partis de la Rencontre Commune n’est pas toujours très claire et cohérente, il semble peu probable que ses leaders optent pour une stratégie plus offensive. Eux mêmes fortement intégrés aux réseaux du pouvoir, ils semblent privilégier l’option d’une transition pacifique et progressive du pouvoir, à travers la réforme des institutions yéménites et des élections libres et transparentes. Ils ont donc tout avantage à canaliser les mécontentements populaires et s’en faire le porte-parole légitime. Cette politique n’est évidemment pas accueillie favorablement par tous, notamment au sud, mais aussi à Sanaa, où à la tombée de la nuit, des dizaines de jeunes poursuivent leurs protestations devant l’université.

Contrairement aux rassemblements de la matinée du 3 février, largement médiatisés et relativement réservés vis-à-vis du régime, les manifestants demandent expressément le départ du président et dénoncent les partis politiques dans leur ensemble, qu’ils considèrent incapables de soutenir leurs revendications.

__________________________ 1 – Le Monde

Pourquoi le Yémen se soulève à son tour ?

Vincent Matalon

Jeudi 3 février, des dizaines de milliers de manifestants défilaient dans les rues de Sanaa, capitale du Yémen, pour réclamer le départ du président Ali Abdallah Saleh, en place depuis 1990. Pressé par une semaine de protestation, le chef de l’Etat avait pourtant renoncé mercredi à briguer un troisième mandat, tout en faisant certaines concessions à l’opposition.

L’évolution de la situation rappelle inévitablement les révoltes populaires de Tunisie et d’Egypte. Pourtant, la population de ce pays de la péninsule arabique a des raisons bien particulières de se soulever.

La situation économique et sociale au cœur de l’agitation

Le Yémen, qui compte 24 millions d’habitants, est depuis longtemps frappé par la pauvreté et le chômage. « La variable économique est centrale dans les tensions actuelles », assure ainsi François Burgat, chercheur au CNRS et ancien directeur du Centre français d’archéologie et de sciences sociales de Sanaa (CEFAS).

Selon le programme de développement des Nations unies au Yémen, plus de 45 % de la population vit actuellement en dessous du seuil de pauvreté, fixé à deux dollars par jour. Le revenu national brut (en parité de pouvoir d’achat) s’élevait en 2009 à 2 330 dollars par an et par personne, un montant comparable à celui du Cameroun.

Cette pauvreté s’explique principalement par un chômage endémique. Selon la dernière estimation datant de 2003, 35 % de la population serait sans emploi.

Ces conditions sont d’autant plus mal vécues par les Yéménites qu’à l’image de ses riches voisins de la péninsule, comme le Qatar et l’Arabie saoudite, le pays dispose d’importantes ressources en énergie.

Le Yémen, qui n’est pas membre de l’OPEP, produit en effet 300 000 barils de pétrole brut par jour. Les revenus liés à cette industrie représentent 25 % du PIB et assurent 70 % des finances de l’Etat. Le pays dispose également d’importantes ressources en gaz, à hauteur de 259 milliards de m3.

Au pouvoir depuis trente-deux ans, le président Ali Abdullah Saleh, qui a réunifié le pays en 1990, a durci sa politique à partir de la guerre civile qui a opposé sudistes et nordistes, en 1994.REUTERS/Khaled Abdullah

Un pouvoir durci depuis 1994

Les critiques de la rue se concentrent également sur le président Ali Abdallah Saleh. Les citoyens de la seule république de la région ont été témoins depuis plus de quinze ans d’un durcissement considérable du régime. Lors de l’unification du pays en 1990, sous l’égide de l’actuel président, le pouvoir était « à l’avant-garde de l’ouverture politique dans tout le monde arabe », explique François Burgat. « L’espace démocratique était alors largement ouvert », renchérit Franck Mermier, chercheur et connaisseur des arcanes de la politique yéménite.

Le soulèvement actuel ne peut avoir lieu que grâce à la culture du débat présente dans le pays depuis l’époque, lorsque le multipartisme et une réelle liberté de la presse étaient prônés par le pouvoir. Mais une guerre civile opposant sudistes et nordistes en 1994 a marqué un tournant dans la pratique du pouvoir du président Saleh.

La République du Yémen sombre alors dans de graves dérives anti-démocratiques. La présidence interdit certains quotidiens, fait emprisonner des journalistes, tout en repoussant à plusieurs reprises les élections législatives. Ali Abdallah Saleh place également des membres de sa famille et de sa tribu d’origine à des postes-clés du gouvernement.

Le parti au pouvoir, le Congrès populaire général (CPG), prend aussi une ampleur démesurée. Ainsi, lors de l’élection présidentielle de 1999, Saleh ne fait face qu’à un seul adversaire, présenté comme indépendant mais pourtant membre de son propre parti. Sept ans plus tard, il est réélu avec 82 % des suffrages.

Dans ce contexte, auquel s’ajoutent des troubles internes (rébellion chiite au nord, mouvement séparatiste au sud, influence grandissante d’Al-Qaida dans le pays), les révoltes tunisiennes et égyptiennes ont joué le rôle de détonateur. Depuis mi-janvier, quatre personnes ont ainsi tenté de s’immoler par le feu, à l’image de Mohamed Bouazizi, dont le geste avait déclenché la révolution tunisienne de janvier.

Quelles seraient les conséquences d’un renversement?
Le départ anticipé du président Saleh entraînerait une période d’incertitude malvenue pour les pays occidentaux et notamment pour les Etats-Unis. Le Yémen, malgré son soutien à l’Irak de Saddam Hussein lors de l’invasion du Koweït en 1990, est en bons termes avec Washington. Un renforcement du poids politique de l’opposition, et notamment du parti islamiste Al-Islah, ne serait a priori pas vu d’un bon œil par les Etats-Unis.

En pratique, l’arrivée éventuelle aux affaires d’Al-Islah n’entraînerait pas les bouleversements que l’on pourrait craindre. « Une frange modérée du parti islamiste a même déjà participé à l’exercice du pouvoir jusqu’aux années 2000, au côté du président, sans que les relations du Yémen avec Washington en soient impactés », explique Franck Mermier.