La Charte de Transition Démocratique pour Djibouti (CTD)

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++ Avant-propos
Djibouti a conquis son indépendance le 27 juin 1977. Si cette accession à la souveraineté nationale s’est accompagnée dans les premiers mois d’une cohésion de tous, l’absence d’une constitution élaborée en concertation avec toutes les organisations politiques et soumise au vote populaire a permis au gouvernement élu d’instaurer des pratiques autoritaires déviantes comme le tribalisme qui ont mis à mal la coexistence pacifique des communautés.

Il a fallu attendre le déclenchement d’une rébellion armée en 1991 pour qu’une constitution imparfaite soit mise en place. C’est ce texte qui est actuellement encore en vigueur.

Il est impératif et vital que notre nation, qui regroupe diverses communautés, se dote d’une loi fondamentale moderne et inclusive. De cette constitution libérale novatrice découlera l’édification d’une nation démocratique, solidaire, prospère et fraternelle.
Que voulons-nous dire par transition démocratique ? La première fois que ce terme « Transition » fût prononcé, c’était lors de la 1ère rencontre du Bourget, en Août 2018, avec pour objectif l’avènement d’une République populaire et démocratique. Notre objectif est clair : nous voulons faire naître un nouveau contrat social. Notre but est concret : nous voulons mettre en place une transition démocratique que tout le monde espère pacifique.

++ Les faits
La crainte de tout Djiboutien, c’est la guerre civile qui nous guette à tout moment. Personne ne souhaite que Djibouti suive l’exemple de ses voisins, la Somalie ou le Yémen. L’habileté de ce régime est d’avoir su instiller dans l’esprit des citoyens l’idée qu’IOG était le garant de la paix et donc de notre stabilité, que l’opposition au pouvoir ne sera que ruine et chaos. Il est temps de rétablir la vérité. De fait, la gestion clanique voire familiale du système IOG n’est pas une nouveauté dans notre région. Mohamed Siad Barreh de la Somalie et Ali Abdallah Saleh du Yémen l’avaient déjà appliquée.

On connait aujourd’hui les conséquences de leur entêtement et de leur arrogance. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il faut craindre malheureusement que le maintien du système actuel nous conduise fatalement au désastre tant redouté. Une autre voie est possible et nécessaire. La voie d’un véritable Etat de droit. Mais un Etat de droit se prépare. Et Djibouti a un besoin vital et urgent d’une transition démocratique. Cette transition a besoin de vous, de nous TOUS et TOUTES. Et si nous la (re) écrivions ?

++ La méthode proposée
A) La collecte de données : Une liste de thèmes est proposée dans plusieurs domaines notamment le volet social et sanitaire, l’économie, l’énergie, les réformes politiques et institutionnelles, les réformes sécuritaires et militaires. Chacun d’entre nous a envoyé ses propositions sur les thèmes qui lui tiennent à coeur en proposant des solutions concrètes du style : une presse libre et indépendante, libertés individuelles et publiques, santé, environnement, jeunesse, économie et éducation. Aucun sujet n’a été tabou. Que ce soit le problème des réparations des massacres, des exécutions extrajudiciaires des tortures et des viols. Réformes de la citoyenneté et refonte des listes électorales, décentralisation, etc…

B) Analyse, discussion et adoption ou abandon des propositions suivi de la rédaction d’une Charte pour la transition.

C) Appel à une grande conférence nationale. Comment rendre le pouvoir au peuple, comment en finir avec ce système de « parti Etat » et de cette présidence monarchique et dictatoriale. Donnons le pouvoir au peuple ! La révolution citoyenne à laquelle nous croyons est le seul moyen de tourner la page de la tyrannie de l’oligarchie ethnico-tribale et de la cour qui est à son service. Ce sera aussi la tâche d’une grande Commission de réforme constitutionnelle constituée pour changer de fond en comble la Constitution, abolir la monarchie présidentielle et restaurer le pouvoir de l’initiative populaire. La Nouvelle République commencera alors réellement.

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Introduction à la « Charte de la Transition Démocratique »

Qu’est-ce qu’une « Transition démocratique » ? On appelle « Transition démocratique » un processus politique qui permet un passage progressif d’un régime dictatorial à une démocratie. Selon les pays, elle peut prendre des formes très différentes et se dérouler sur plusieurs années. La phase de transition politique s’achève avec l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement et d’une assemblée législative résultant d’une élection libre. Elle correspond à une phase de refonte suivie d’une phase de consolidation de la démocratie pour en assurer la stabilité.

Pourquoi une « Transition démocratique » est-elle nécessaire pour notre pays? A nos yeux, une « Transition démocratique » ne signifie pas compromis ou compromission. Il ne s’agit en aucun cas de chercher de quelconques arrangements avec le régime en place. La « Transition démocratique » est possible si et seulement si la dictature est renversée et ce, par tous les moyens nécessaires : manifestations pacifiques, désobéissance civile, pression diplomatiques des gouvernements étrangers amis, insurrection populaire, lutte armée. Tous les leviers doivent être activés. S’agissant de notre pays, la transition est indispensable dans la mesure où la construction d’un Etat national n’a pas abouti et les droits démocratiques ont été bafoués. Il nous faut une période transitoire pour reconstruire certaines institutions comme celles de l’armée et de la Sécurité, celles des administrations économiques et financières, de refonder de fond en comble les institutions politiques et judiciaires, instaurer la séparation des pouvoirs.

Que faire après le renversement du pouvoir en place ? L’histoire récente nous a appris que l’impréparation après une chute de régime peut conduire au chaos ou à un régime tout aussi anti-démocratique et brutal. La préparation, peut nous conduire au succès, et permettra aussi d’ancrer la démocratie dans la durée.

La « Transition démocratique » n’est pas une nouveauté, plusieurs pays l’ont pratiquée avec plus ou moins de réussite. Une constante cependant, les pays ayant réussi leur « Transition démocratique » sont ceux qui ont su fédérer l’adhésion de l’immense majorité de leur population autour d’un idéal commun, un Etat démocratique juste et qui permette l’épanouissement de chaque citoyen. Et qui ont mis en oeuvre un processus inclusif et consensuel.

Alors, posez-vous, posons-nous tous ensemble cette question : Quel contenu, quelle forme nous voulons donner à cette transition ?

La chute du régime est le préalable bien sûr. Le changement ne sera pas automatique, il sera progressif. La transition est une période très complexe surtout dans un pays morcelé par 44 ans d’une dictature qui a organisé une division de la société entre les communautés, les clans et sous clans. Le pays garde des séquelles profondes de cette politique qu’il faudrait savoir soigner intelligemment.

De nombreux pièges sont à éviter comme la rancoeur ou le désir de vengeance, la précipitation, l’euphorie de la victoire etc. Même s’il faut une profonde refondation de l’État, qui a été durement ébranlé durant ces 44 ans, il faudra assurer une certaine continuité des services de l’Etat à travers l’Administration et ses fonctionnaires, pour éviter le chaos. La majorité de nos fonctionnaires ont su rester honnêtes, ils devaient mettre leurs compétences au service de l’intérêt général.

Même si certains ont failli à leur mission, surtout dans les hautes sphères de l’Administration Publique, nommés sur des critères claniques, il n’y aura pas une chasse aux sorcières contre tous ceux qui ont eu à collaborer avec ce régime. Il s’agit d’un ensemble de propositions émanant des forces progressistes : organisations politiques, personnalités civiles, intellectuels, syndicalistes, professeurs, médecins, etc…Tout citoyen peut encore y contribuer. Une commission sera chargée de récolter les propositions et de rédiger un livret des mesures à prendre au début de la transition.

++ TITRE I : PREAMBULE
Nous, représentants des partis politiques, de l’organisation politico-militaire, des organisations de la société civile et les personnalités de la République de Djibouti :

– Considérant le triple échec qui caractérise le système politique mis en place en 1977 avec l’échec de l’Etat de droit, de l’Etat national et de la cohabitation ;

– Considérant le danger que constitue ce régime pour la survie de l’Etat de Djibouti et la stabilité de la région;

– Considérant le lourd tribut payé par le peuple de Djibouti durant ces 44 ans de dictature clanique ;

– Considérant les aspirations profondes de notre peuple pour le changement à Djibouti ;

– Prenant en compte le comportement patriotique de certaines forces de défense et de sécurité;

– Considérant la nécessité d’une transition politique, démocratique et inclusive ;
– Considérant l’engagement de la Communauté internationale pour accompagner la période de transition qui aura à affronter des défis majeurs ;

Considérant notre attachement aux valeurs et principes démocratiques tels qu’inscrits dans la déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948 et dans la Charte africaine de la démocratie de 1981 ;

Considérant notre attachement aux valeurs culturelles et coutumières de notre peuple

Considérant notre attachement à l’élimination de toutes les formes de violences et de discriminations à l’égard des femmes ;

Considérant la situation alarmante de la population djiboutienne, affectée par la malnutrition voire la famine et la soif, priorité sera donnée à la dimension sociale.

Approuvons et adoptons la présente Charte de la transition.

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TITRE II : LES ORGANES DE LA TRANSITION

+ Chapitre I : Du Président de la transition
Article 1 : Le Président de la transition occupe les fonctions de Président de la République de Djibouti et de Chef de l’Etat. Il garantit et veille au respect de la Constitution et de la Charte de la transition. Ses pouvoirs et ses prérogatives sont ceux définis par la présente Charte. Son mandat prend fin au terme de la transition après l’investiture du Président issu de l’élection présidentielle.

Article 2 : Tout(e) candidat(e) aux fonctions de Président(e) de la transition doit remplir les conditions suivantes : – Être djiboutien(ne) de naissance. – Être âgé(e) de 35 ans au moins et de 75 ans au plus. – N’avoir jamais fait l’objet, d’une condamnation ou d’une poursuite judiciaire pour délit de droit commun. – La double nationalité est acceptée pour la présidence de la transition.

Article 3 : Le Président de la transition n’est pas éligible aux élections présidentielles et législatives qui seront organisées après la période de la transition.

Article 4 : Le Président de la transition est choisi par un Collège de désignation sur une liste de personnalités proposées par les partis politiques, l’organisation politico-militaire, les organisations de la société civile et les personnalités coutumières indépendantes.

Article 5 : La désignation du Président de la transition se fait sur la base du caractère consensuel de la personnalité au niveau national.

Article 6 : Le Collège de désignation va être composé des représentants des partis politiques, de l’organisation politico-militaire, des organisations de la société civile et des personnalités coutumières indépendantes.

Article 7 : Le candidat retenu est investi Président de la transition, chef de l’Etat.

Article 8 : Il est créé auprès du Président de la transition, la Commission des Réformes Constitutionnelles, politiques et institutionnelles, qui aura en charge la mise en place des sous-commissions de réformes démocratiques et électorales, notamment la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI).

Article 9 : En cas de vacance définitive de la Présidence de la transition, le Premier ministre assure l’intérim en attendant la désignation d’un nouveau Président de la transition conformément aux dispositions de la présente Charte.

+
Chapitre II : Du Conseil National de la Transition

Article 10 : Le Conseil national de la transition est l’organe législatif de la transition. Il est composé de représentants des partis politiques, de l’organisation politico-militaire ; des organisations de la société civile et des organisations coutumières et religieuses. Sa composition prend en compte les jeunes et les femmes. Le Conseil national de la transition exerce les prérogatives définis par la présente Charte.

Article 11 : Le Président du Conseil national de la transition n’est pas éligible aux élections présidentielles et législatives qui seront organisées pour mettre fin à la transition.

+ Chapitre III : Du Conseil National de Défense et de Sécurité

Article 12 : le Conseil National de Défense et de Sécurité est chargé, sous l’autorité du Président de la transition, de réformer les institutions militaires et sécuritaires.

Article 13 : C’est l’organe suprême pour garantir la sécurité et la paix pendant la période de transition.

Article 14 : Il est composé des représentants des forces armées, de la sécurité, des partis politiques, de l’organisation politico-militaire et de la société civile.

Article 15 : Les résolutions émanant du Conseil National de Défense et de Sécurité seront appliquées par les ministères compétents.

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Chapitre IV : Du Gouvernement de la Transition

Article 16 : Le gouvernement de transition est dirigé par un Premier ministre nommé par le Président de la transition. Il exerce les prérogatives définies par la présente Charte. La composition du gouvernement de transition prend en compte les jeunes, les femmes et les syndicats.

Article 17 : Les membres du gouvernement de transition doivent remplir les conditions suivantes : – Être djiboutien(ne) – Être âgé(e)de plus de 20 ans révolus. – N’avoir jamais fait l’objet d’une condamnation ou d’une poursuite judiciaire pour délit de droit commun. – La double nationalité est acceptée.

Article 18 : Il est créé auprès du Premier Ministre une Commission de la réconciliation nationale et des réformes, chargée de restaurer et de renforcer la cohésion sociale et l’unité nationale.

Article 19 : La Commission de réconciliation nationale est composée de plusieurs sous-commissions dont notamment la sous-commission vérité, justice et réconciliation nationale. Une loi organique fixe les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Commission de réconciliation nationale.

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Chapitre V : Du Pouvoir Judiciaire

Article 20 : Une commission chargée de la réforme des institutions de la Justice sera créée dans les plus brefs délais. Elle sera composée des représentants des partis politiques, de l’organisation politico-militaire, de la société civile, des personnalités indépendantes, des magistrats, des avocats de l’ordre du barreau de Djibouti.

Article 21 : Cette commission chargée de la réforme de la Justice sera indépendante dans son fonctionnement.

Article 22 : La commission est chargée également de recueillir et de recenser les crimes, les massacres, les viols, les tortures, les exécutions extra-judiciaires et les crimes économiques (corruptions, détournements de fonds publics, biens mal acquis) commis depuis l’indépendance et de poursuivre les auteurs.

Article 23 : La commission chargée de la réforme de la Justice sera sous l’autorité du ministère de la Justice et le Président de la transition donnera son avis sur toutes les décisions.

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Chapitre VI : Du Conseil Constitutionnel de transition

Article 24 : Les membres du Conseil Constitutionnel seront remplacés pour la période de transition et veillent à la conformité des lois au regard de la Constitution et de la Charte de transition.

Article 25 : Le Conseil Constitutionnel statue en cas de litiges entre la Constitution et la Charte.

Article 26 : Le Conseil Constitutionnel sera composé de 7 membres nommés par les partis politiques, l’organisation politico-militaire et la société civile. Ils seront choisis pour leur compétence juridique et leur intégrité.

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Chapitre VII : Révision de la Charte de transition

Article 27 : L’initiative de la révision de la présente Charte appartient concurremment au Président de la transition et au tiers (1/3) des membres du Conseil national de la transition. Le projet ou la proposition de révision est adoptée à la majorité des 3/5ème des membres du Conseil national de la transition. Le Président de la transition procède à la promulgation de l’acte de révision.

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Chapitre VIII : Valeurs économiques, sociales et environnementales

Article 28 : La Charte défend les valeurs d’une économie sociale et ouverte visant à développer les compétences des citoyens Djiboutiens et à accroitre les ressources nationales, tout en plaçant l’humain au centre de ses préoccupations.

Article 29 : La Charte promeut la protection de l’environnement et prendra les mesures nécessaires pour limiter ou supprimer l’impact négatif des activités de l’homme.

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Chapitre IX : Dispositions transitoires finales

Article 30 : La durée de la transition sera de 24 mois à compter de la date de la prise de fonction du Président de la transition. Toute extension de ce délai sera soumise à l’article 27.

Article 31 : Les institutions de la période de la transition fonctionnent jusqu’à l’installation effective des nouvelles institutions.

Article 32 : En cas de contradiction entre la Charte de la transition et la Constitution, les dispositions de la présente Charte prévalent.

Approuvée et signée à Nantes le Vingt-sept mars Deux milles vingt et un.
Les signataires :

Les partis politiques :
ARD,
UDJ,
FPC,
PND

L’organisation politico-militaire :
FRUD

Les organisations de la société civile & ONG :
LDDH, AJDD, Collectif Breton, MJO EUROPE

Les activistes et les personnalités politiques :
AÏNACHÉ Mohamed Moussa ; ALI HASSAN Omar ; QAYAAD Mohamed ; AHMED YOUSSOUF Moustapha ; MAHAMOUD Nidal ; OMAR AWALEH Mouna ; HASSAN IIyas ; YOUSSOUF ABDI Ismael ; BARRE Hassan ; MOHAMED DAOUD AHMED ; MOUSSA CHEHEM MOHAMED