06/04/2022 (Brève 2062) Procès de l’excision en France : une mère de famille condamnée (TV5 Monde)

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Jurés et magistrats ont tranché : la loi prime sur la tradition. Au Mans, une mère de famille a été condamnée à cinq ans de réclusion avec sursis pour avoir fait exciser ses trois filles aînées lors de voyages à Djibouti. La sociologue Isabelle Gillette-Faye, spécialiste de l’excision, apporte son éclairage sur les enjeux de ce procès.

Les 30 et 31 mars 2022, une mère de sept enfants comparaissait devant la cour d’assises de la Sarthe, dans le centre-ouest de la France, pour « complicité de violence sur mineur de moins de 15 ans suivie de mutilation ou infirmité permanente ».

Concrètement, elle est accusée d’avoir fait subir à ses trois filles aînées une excision. Or cette mutilation du sexe féminin est strictement interdite et passible, en France, de quinze années de réclusion – à Djibouti aussi, l’excision est interdite depuis 1995. Ce procès est le premier depuis dix ans dans l’Hexagone après celui de Nevers, en 2012.

++ Excisées à Djibouti
Si le procès de Nevers jugeait des parents qui avaient fait exciser leurs fillettes dans des conditions précaires, à leur domicile, en France, la femme de 39 ans jugée au Mans a fait exciser ses trois filles aînées en 2007 et en 2013, lors de séjours chez leur grand-mère à Djibouti, son pays d’origine. Les petites sont alors âgées de 4, 5 et 7 ans.

En France, l’aînée des filles, handicapée mentale, est suivie dans un centre socio-éducatif. Au retour du voyage entrepris par la famille en 2013 à Djibouti, elle, qui, d’ordinaire, s’exprime pas ou peu, explique à ses éducatrices qu’elle n’a « pas de chouchou, pas de zizi » en montrant la zone génitale. Ses dessins représentent des enfants pleurant des larmes de sang.

Alertée, l’équipe socio-éducative émet une « information préoccupante », conformément à la procédure de signalement. Celle-ci aboutit à un examen médical qui confirmera que la jeune fille et ses deux soeurs ont subi des mutilations sexuelles génitales. « Cette fois, et ce n’est pas toujours le cas, le magistrat en charge de l’affaire est allé jusqu’au bout, jusqu’au procès en assises« , note Isabelle Gillette-Faye.

++ Un procès exemplaire
Directrice de la Fédération nationale GAMS (Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles, des Mariages Forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants), la sociologue a assisté à une partie du procès en qualité de témoin-experte, sollicitée par une justice consciente de son rôle pédagogique.

Elle vient expliquer les tenants et les aboutissants d’une excision et contextualiser les faits reprochés à la mère de famille. « J’étais là pour apporter un éclairage aux personnes, jurés ou assesseurs, qui n’ont pas l’habitude d’être confrontés à ce genre d’affaires, explique-t-elle, soulignant l’attitude des parties prenantes : « très attentives et désireuses de bien faire, de comprendre sans juger. Comment un mère peut-elle faire ça à ses filles. Pourquoi les filles elles-mêmes continuent-elles à banaliser un acte qui aurait pu, et peut encore, avoir des conséquences dramatiques ?« 

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L’accusée semble avoit compris l’interdit, mais pas le pourquoi.
Isabelle Gillette-Faye, sociologue

++ L’accusée humiliée dans sa bonne foi
Isabelle Gillette-Faye, a trouvé la mère « très digne, qui dit avoir compris que l’excision est interdite pas la loi. » La sociologue a un autre décryptage de la pensée de l’accusée : « Je crois qu’elle reste convaincue que c’est une nécessité religieuse (la mère étant de confession musulmane, ndlr) et qu’elle ne saisit pas pourquoi on l’en empêche. » Reste que, depuis 2015, la mère de famille a eu quatre autres enfants. « Elle n’a touché à aucun d’eux, filles comme garçons. Elle semble donc avoir compris l’interdit, mais pas le pourquoi, » analyse Isabelle Gillette-Faye.

Tout au long du procès, témoigne Isabelle Gillette-Faye, la mère des trois jeunes femmes excisées veut convaincre que l’infibulation qu’elle a elle-même subie dans son enfance (une excision totale ou quasi-totale, soit une mutilation génitale féminine de type 3) n’a pas eu de conséquences néfastes sur sa vie de femme : « Elle assure que sa sexualité est restée parfaite, que ses accouchements se sont très bien passés« , rapporte la sociologue.

Par ailleurs, l’accusée fait valoir qu’elle a fait venir une infirmière à domicile pour que les excisions de ses filles se déroulent dans les meilleures conditions d’hygiène et que leurs excisions soient relativement peu invasives – des mutilations génitales féminines de type 1. « Elle pense s’être comportée comme une bonne mère djiboutienne et ne comprend pas pourquoi le ciel lui tombe sur la tête. »

De fait, à l’énoncé du verdict, l’accusée s’effondre en larmes. Etant donné ce qu’elle a vu de l’accusée et lu dans son regard, Isabelle Gillette-Faye s’étonne : « Il est rarissime que ce genre de femme exprime ses émotions en public de façon aussi intime. Cela en dit long sur l’humiliation qu’elle a ressentie pour avoir été condamnée pour un acte qu’elle estime normal. » Le déshonneur est d’autant plus cuisant pour la mère de famille qu’elle sera désormais sous surveillance pour la dissuader de toucher à ses plus jeunes enfants et qu’un suivi socio-éducatif sera probablement imposé à ses aînées.

++ Des victimes dans le déni
Les filles, les victimes, n’ont pas assisté au procès. L’aînée, handicapée, doit rester préservée. Quant aux deux cadettes, « elles sont dans le déni total de ce qui leur est arrivée, » explique Isabelle Gillette-Faye. Elles considèrent que ce procès est fait à tort à leur mère et parlent de leurs excisions comme quelque chose de normal. Elles ont tout fait pour déculpabiliser leur mère, pour qu’elle ne soit pas condamnée. « Le déni est une réaction assez classique pour des enfants victimes de violence et de maltraitance, » souligne la sociologue.

++ Et les pères ?
Aujourd’hui décédé, le père des victimes n’était, selon l’accusée, pas au courant de l’intervention subie par ses trois filles pendant leur séjour à Djibouti. Certes, il n’était sûrement pas présent, selon Isabelle Gillette-Faye, mais au courant, il devait l’être :

« Il a bien fallu payer ces interventionsD’autant qu’à Djibouti, les dots sont très élevées, et que la seule façon, pour un père, de monnayer ses filles à un Djiboutien pour une somme aussi élevée que celle qu’il a lui-même dû payer pour son épouse était qu’elles soient excisées avant le mariage. »

L’onde de choc du procès rappelera à chacun que la France, tout comme Djibouti, interdisent l’excision.

Isabelle Gillette-Faye

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Une famille djiboutienne condamnée

Aux yeux d’Isabelle Gillette-Faye, l’origine de l’accusée est un point important dans ce procès du Mans, car c’est la pemière fois qu’une famille djiboutienne est condamnée. Or la France fait face à l’arrivée de populations d’Afrique de l’Est qui n’ont pas reçu la sensibilisation aux mutilations génitales féminines qu’ont connue les migrants d’Afrique de l’Ouest. « Ce verdict est une excellente piqûre de rappel, assure la sociologue, d’autant que la communauté djiboutienne est relativement nombreuse dans la région du Mans, et que l’onde de choc du procès rappelera à chacun que la France, comme Djibouti, interdisent l’excision. »

S’il a une dimension répressive, le procès du Mans aura aussi une valeur pédagogique, souligne Isabelle Gillette-Faye : « J’espère que cela permettra de sauver plusieurs enfants, dans cette région et dans toute la France, voire même à Djibouti. A défaut de les comprendre, les familles vont au moins s’interroger sur l’interdiction de l’excision et les risques encourus avant de passer outre. »