15/03/11 (B595) Appel à la conscience citoyenne (Par Farah Abdillahi Miguil)

Djibouti, le 14 mars 2011

« La République de Djibouti qui a 34 ans est donc majeure. C’est à dire que le peuple de cette République est lui aussi majeure. Il ne doit plus être… comme l’orphelin que le tuteur empêcherait d’exercer sa responsabilité et son droit malgré le fait qu’il a atteint l’âge de majorité légale.

Il a été démontré partout dans le monde que le Parti Unique était le contraire de la Démocratie, l’antithèse de l’Unité Nationale et l’obstacle majeur au développement économique ; Il ne peut pas être différent ici de ce qu’il est ailleurs.

Le Parti Unique, c’est aussi la capture en douce d’un peuple et l’accaparement d’un Pays par une organisation qui s’approprie l’Etat. (…)

Lorsqu’un groupe d’hommes s’appuyant sur des droits et exerçant des libertés valables pour tous, a créé une organisation politique prétend le nier ces mêmes droits et interdire l’exercice de ces mêmes libertés aux autres en se proclamant « Parti Unique », il transgresse une limite naturelle. (…)

Tous les partis Uniques partout dans le monde, au bout d’un certain délai supportable plus ou moins long ou bien ils se sont effondrés ou bien ils ont été contraint de régner par le sang. … la nature a fini toujours par punir les transgresseurs et d’humilier les orgueilleux qui ont osé se proclamer UNIQUES.
DIEU SEUL EST UNIQUE ; » (Mohamed Ahmed Issa dit « Cheiko » 02 mars 1991)

Un appel prophétique

Ce discours a été prononcé lors d’un congrès du RPP par Cheiko le 2 mars 1991 au milieu d’une salle acquise à la cause du parti unique.

Quel courage ! Quelle lucidité ! Quelle clairvoyance pour un homme politique qui était à ce moment-là député et représentant du parti unique.

Quelle prophétie ! Lorsqu’on sait qu’en novembre 1991 la guerre civile allait éclater dans notre pays. Cheiko, membre fondateur de la LPA durant la colonisation avec Omar kamil Warsama (Omar Agoon), Ahmed Dini et Ibrahim Harbi, a toujours été du côté de l’indépendance vraie et de la vraie liberté. Il a été aussi membre fondateur et président du Front Uni de l’Opposition Djiboutienne (FUOD) jusqu’à sa mort.

Il parait qu’à la fin de son discours il lança à l’adresse de Hassan Gouled Aptidon cette phrase « vous avez su nous conduire vers l’indépendance il faudra maintenant que vous nous conduisez vers le pluralisme ». De quel côté serait Mohamed Ahmed Issa dit « Cheiko » s’il était parmi nous aujourd’hui ? Sans aucun doute il serait du côté de la démocratie, de la liberté et de la justice.
Parti unique à la Démocratie

C’était il y a 20 ans que ces mots qui restent plus que jamais d’actualité ont été prononcés par Cheiko. Qu’est-ce qui a changé depuis ce 2 mars 1991 ? Rien sauf la mise en place d’un pluralisme politique et syndical sur le papier avec l’adoption de la première constitution démocratique en septembre 1992. C’est ainsi que débuta la consécration de la « démocratie au parti unique ».

Assemblée nationale, cimetière des volontés et de la représentation

Je rappelle ce discours de Cheiko pour rendre hommage au courage et à la vision d’un homme politique de terrain mais aussi pour rappeler aux jeunes générations que dans notre pays il y a eu une époque où des hommes de valeur ont siégé dans notre parlement malgré le parti unique.

De Gaulle ne disait-il pas que : « L’histoire n’enseigne pas le fatalisme il y a les heures où la volonté de quelques hommes libres, brise le déterminisme et ouvre de nouvelles voies ». Ces hommes avaient une légitimité incontestée pour la plupart pour avoir combattu le colonialisme. Malheureusement, aujourd’hui ceux qui « squattent » l’assemblée nationale et dont la présence n’est qu’une réponse au bégaiement de l’histoire, n’ont aucune légitimité.

D’ailleurs, beaucoup d’entre eux ne savent pas pourquoi ils sont là. Ils ont été souvent choisis pour leur manque de personnalité, leur docilité et leur soumission à se comporter comme des moutons de panurge. Les soi-disant représentants du peuple djiboutien, sont aujourd’hui pour la grande majorité des hommes au passé vierge de tout militantisme de terrain.

Ces hommes et ces femmes qui n’ont jamais porté un idéal ni une cause, ont été coptés par le parti au pouvoir. Ils ont vécu leur nomination comme une sorte de météorite. Perdant parfois « la vue » et/ou le sens de la responsabilité. Et comme chaque créature appartient à son créateur. Le pouvoir actuel a réussi à les convaincre comme ceux qui sont au gouvernement qu’ils doivent avant tout montrer une soumission aveugle et une peur divine envers leur créateur qu’est le système.

Face à une maturité populaire, un aveuglement persistant côtoie une considération infantilisante

Au moment où des tremblements de terre secouent les dictatures arabes souvent emportés par les tsunamis populaires qui font suite à ces séismes, la prise de paroles des différents responsables politiques djiboutiens traduit une frilosité face à la maturité et à la prise de conscience des citoyens.

En effet, ceux dont on disait plus soucieux de la paix sociale que de leurs droits. Ceux qu’on pensait qu’ils allaient accepter comme toujours de bon cœur la faim, la maladie, l’ignorance et le déni pour préserver le statu quo, se dressent aujourd’hui pour réclamer la justice, la liberté et la démocratie.

On dirait que cette prise de conscience du peuple djiboutien inquiète plus d’un parmi les membres du gouvernement. Pour preuve la mitraillette d’intimidations et d’insultes à l’égard de l’opposition souvent assimilées à « des vulgaires voyous » par certains ministres sur les ondes de la RTD, de VAO et de la BBC du jeudi 3 au vendredi 4 mars 2011, témoignent d’un réflexe pavlovien de conservation.

C’est le refrain habituel de « qui ne pense pas comme moi est un terroriste potentiel ».

A ce moment-là, je me suis rappelé ces mots que Nelson Mandela avait notés dans son carnet de note, le 2 juin 1979 dans sa cellule : « Dans un pays malade, chaque pas vers la santé est une insulte pour ceux qui prospèrent sur le malade ». C’est comme si la transparence et l’état de droit étaient dangereux pour certains. La palme de l’irrespect à ce ministre polyglotte mélangeant intimidations, mensonges, insultes, dérapages verbales et voulant jeter en pâture au peuple djiboutien les chômeurs comme boucs émissaires. Comme si être chômeur est synonyme de délinquant ou de criminel.

C’est vrai que le vendredi 4 mars 2011 la ville de Djibouti avait parfum de Gaza, la palestinienne. Alors, nous disons au pouvoir public que l’ère de la peur, des barbelés et des barrages, est révolue et il serait temps que vous fassiez sienne de cette évidence.

Aux membres du gouvernement ainsi qu’aux responsables de l’opposition nous disons que les citoyens djiboutiens méritent plus d’égards et de considérations que de l’infantilisation. Ils ont besoin d’hommes et de femmes crédibles pour envisager un avenir meilleur. On dit souvent que lorsque les deux forces que sont les intellectuels et les politiques capitulent face au pouvoir soit par la collaboration soit par la soumission alors l’avenir de ce pays est le chaos.

Volonté populaire incarnée dans la différence passe par un appel aux négociations

Aujourd’hui en ce moment crucial nous devons tous prendre parti pour la vérité et la justice contre notre parti, contre notre tribu, contre notre famille, contre nos amis, …. D’ailleurs, l’histoire récente abonde d’exemples où des pouvoirs qu’on croyait immuables se sont fissurés et se sont écroulés comme des châteaux de cartes sous la pression populaire. C’est pour cela qu’il serait temps pour l’intérêt de ce pays et de ses habitants que le pouvoir actuel et l’opposition se retrouvent au plus vite et ouvrent des négociations sans exclusive et sans a-priori pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous engouffrons. L’arrogance et la suffisance ainsi que la haine et la rancœur n’engendrent que la destruction.

Consensus, compromis

Une prise de conscience collective doit s’opérer au sein des Djiboutiennes et des Djiboutiens. Cette prise de conscience doit servir de prémices à l’expression d’une responsabilité partagée par chacun de nous tous pour lancer les jalons d’un dialogue salutaire pour l’intérêt général et pour trouver les voies d’un consensus, d’un compromis ….

Ce pays n’est pas la propriété d’une famille, d’une tribu, d’un clan, d’un parti ni de celui d’un groupe d’individus mais celle de toutes les composantes de la nation djiboutienne sans distinction aucune. L’avenir de ce pays nous concerne tous, et une « somalisation » de notre chère patrie serait un désastre pour ses citoyens mais aussi pour la région. C’est pour cela que chacun d’entre nous doit y mettre un peu du sien.

04/11/10 (B576) Des syndicalistes auraient suivi une formation électorale dans les locaux des USA. Est-ce pour préparer une opposition « docile » pour essayer de crédibiliser la candidature du dictateur ? (Bien que signé du bon nom de l’auteur, par erreur c’est un autre nom qui avait été indiqué dans l’en-tête. Le 5/11, nous rectifions en harmonisant avec le nom du véritable signataire : Farah Abadid Heldi)

J’ai appris par Kaltoum Ali, représentante de la BBC, que des syndicalistes,
membres de l’UAD ont suivi une formation pour les élections de 2011.

Le financement de cette formation pour la
campagne d’élections contestées a été assuré par le Fond de la Démocratie Internationale
des Etats-Unis.

Le MRD n’est pas du tout concerné.

Notre position est claire car nous ne sommes pas d’accord pour participer à des élections mascarades aggravées par la violation flagrante de l’article 23 de la Constitution.

D’ailleurs Souleiman Farah avait dit lors du dernier meeting que l’Opposition ne participera pas à des élections où les neuf points proposés par l’UAD n’ont jamais été respectés et dans un contexte d’un troisième mandat illégal, qui est en violation à l’article 88 de la Constitution, au principe républicain et au pluraliste de la démocratie

Il convient d’analyser avec un regard objectif mais critique les conditions de cette formation qui a été animée dans les locaux et sous le drapeau des Etat-Unis, car vue de notre côté, l’opération est très constestable, dans la mesure où les USA donnent l’impression de soutenir la candidature illégale de Guelleh pour un troisième mandat.

Est-ce le
prélude à l’annonce de candidatures qui n’auront qu’un rôle : celui de crédibiliser la candidature du dictateur Ismaël Omar Guelleh, en faisant croire à l’ouverture du scrutin à des opposants (qui seront de paille) ?

La fraude électorale à laquelle le régime nous a habituée, fera le reste … Et les Djiboutiens continueront à être sous le joug du dictateur et des comparses pendant cinq nouvelles années et probablement plus … Si nous laissons faire ce viol constitutionnel, il n’y aura aucune raison qu’il cesse dans l’avenir …

Farah Abadid Heldid

14/10/10 (B573) Les lecteurs nous écrivent. Message de félicitations et de remerciements à Jean-Loup SCHAAL (Farah Abadid)

Djibouti, le 14 octobre 2010

Nous tenons à saluer le travail quotidien qu’effectue notre ami Jean-Loup SCHAAL pour dénoncer les oppressions commises par ce régime, en place depuis plus de trente ans.

Aussitôt qu’il en est informé, c’est la force de son travail quotidien avec l’équipe bénévole qui permet de diffuser rapidement à tous les internautes, le témoignage des atrocités qui se déroulent à Djibouti.

Vos alertes nous ont toujours réconfortés et très souvent, elles ont permis de nous faire libérer personnellement ou de faire libérer des compatriotes injustement incarcérés.

Vos articles sérieux et fondés nous informent. Mais aussi, avec les dessins « malicieux » de Roger Picon et vos articles humoristiques, vous arrivez à
nous faire rire, même dans les pires moments, quand l’actualité est insoutenable.

Votre style et les dures réalités nous aident chaque jour à comprendre un peu mieux, les raisons de la situation et surtout les actions à entreprendre pour y mettre un terme.

Par exemple, votre article du 08 octobre 2010 (B572) sur les conflits au sein du couple
d’Haramous, qui n’hésitent pas à dépouiller les commerçants de la place.

La présentation du déroulement de ces scènes de ménage a fait le tour de tous les quartiers jusqu’au fin fond de la brousse. Il a permis à nos compatriotes de mieux apprécier les mesquineries sans borne, car impunies, commises par ce monstre au pouvoir.

Quant aux commerçants, victimes de racket, ils n’osent pas déposer des plaintes, de peur d’être victime de redressements fiscaux infondés et illimités qui tueraient leurs activités commerciales.

Il est incontestable que ce candidat à un troisième mandat illégal, ne peut plus gérer l’Etat de Djibouti, car il ne peut plus assurer ni diriger le pays.

Que faut-il attendre d’un incapable dans un état psychique lamentable et devenu maintenant très vulnérable ?

A ce stade il ne reste plus à nos populations qu’à exiger son départ, ainsi que celui de tous les membres du Gouvernement !

C’est avec beaucoup d’espoir dans ce combat que nous menons ensemble, que je tiens à vous dire que je suis persuadé que la victoire sera pour bientôt.

Je sais que tous mes amis de l’UAD ne manqueront pas de vous inviter, avec la délégation qui vous accompagnera, pour officialiser notre libération, dès que les dirigeants actuels de notre pays
prendront le large ou seront emprisonnés à Gabode, après un jugement que vous pourrez suivre en direct sur Internet.

Farah Abadid
membre actif de l’UAD
et Défenseur des Droits de l’Homme.

09/10/10 (B573) Lettre ouverte de M Farah Abdillahi Miguil à Monsieur Abdallah M. Abdallah, directeur de la publication du Journal « La République » (Lettre publiée à la demande de son auteur !!!)

Farah Abdillahi Miguil

à Monsieur Abdallah M. Abdallah
Directeur de publication du journal « La République »

Objet : mise au point

Monsieur,

Citoyen d’un pays où l’exil et la soumission semblent être les seuls espoirs pour le moment, syndicaliste d’un état où les conventions fondamentales de l’OIT ( Organisation Internationale du Travail) cherchent application, défenseur des droits humains sans appartenance politique, j’ai milité et je milite toujours au sein de plusieurs associations depuis ma vie estudiantine pour l’avènement d’une société civile indépendante et d’une démocratie véritable.

Par ailleurs en tant que citoyen je déteste les flagorneries et le nomadisme politique mais je chérie la liberté d’expression et la pluralité d’opinions. Et c’est pour cela que même si « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire » Voltaire.

Pour ma part, je crois que les partis politiques en dehors des clones que le pouvoir actuel nous impose, sont les acteurs de la démocratie et leurs capacités à faire des propositions traduisent souvent la bonne santé de la pluralité en vigueur dans un pays. Et en tant que citoyen, j’attends des hommes et des femmes politiques de mon pays du courage, de l’honnêteté, de l’intégrité et de la constance.

Venons-en maintenant à ce qui m’a contraint à vous écrire.

J’ai été choqué de voir un de mes articles (Djibouti : le règne du faux) reproduit intégralement dans le n°19 de votre journal du 07 octobre 2010 sans que vous ayez eu besoin de demander l’autorisation, de citer la source et le nom de l’auteur.

Et c’est la deuxième fois en quelques mois que vous publiez un de mes articles dans les mêmes conditions. La première fois je n’ai pas voulu réagir tout en espérant de votre part un sursaut d’honnêteté intellectuelle et d’éthique morale pour corriger la coquille. Malheureusement, vous avez décidé de récidiver.

Dans l’édito de ce numéro, vous avez écrit cette belle phrase : « Dans ce numéro vous remarquerez chers compatriotes que nous avons tenu à laisser la parole aux citoyens ». Je trouve que c’est une très bonne communication pour un parti politique mais est-ce que vous avez pris la peine de demander si ces citoyens étaient d’accord ou non qu’on publie leurs écrits dans votre journal ?

C’est non. Et ceci ressemble à une forme de piraterie de la propriété intellectuelle.

Mon souhait est que ceux qui proposent des alternatives à des systèmes hérités de l’époque coloniale où le déni du citoyen est la règle, doivent travailler à la consécration de l’individu et à la culture du respect des droits individuels notamment du droit d’auteur.

Puisque les choses sont ainsi et que l’environnement politique et sociétal de notre pays reste miner par des appartenances sans lendemain et sans foi et que votre journal est le journal d’un parti politique alors je demande à ce que mes articles ne soient pas publiés dans votre journal.

En espérant que cette mise au point participera au renforcement du respect des citoyens, je vous prie de croire, Monsieur, l’expression de mes salutations citoyennes.

Farah Abdillahi Miguil

05/10/10 (B572) Point de vue : lorsque les citoyens cessent de croire en leur pays … (par Farah Abdillahi Miguil)

« Un de ses élèves, Zigong, demanda à Confucius un jour quelles étaient les conditions nécessaires pour qu’un pays vive en paix, avec un gouvernement stable. La réponse du maître fut très simple. Il n’y a que trois conditions : des armes en suffisance, assez de vivre et la confiance du peuple.

Premièrement, l’appareil de l’Etat doit être puissant ; il doit disposer des forces militaires lui permettant de se défendre. Deuxièment, il doit avoir de quoi nourrir et vêtir convenablement sa population. Troisièment, il faut que le peuple ait confiance en ses dirigeants.

Cet élève ne cessait de poser des questions bizarres. « S’il était absolument nécessaire de négliger l’une de ces trois conditions, reprit-il à laquelle faudrait-il renoncer ?—Aux forces militaires répondit Confucius. —Et s’il était absolument nécessaire d’en négliger encore une seconde, dit Zigong, quelle serait-elle ?

Avec le plus grand sérieux, Confucius déclara : « Les vivres. Car de tout temps les hommes ont été sujets à la mort, mais, si le peuple n’a pas confiance en ceux qui le gouvernent, c’en est fait de lui. »

Ne pouvoir se nourrir mène assurément à la mort mais qui n’a jamais réussi à tromper la mort ? La pire chose qui puisse arrivé n’est donc pas la mort mais l’effondrement général qui se produit lorsque les citoyens cessent de croire en leur pays. » Yu Dan (Le bonheur selon Confucius)

Les malheurs de l’Afrique viennent surtout du fait que les citoyens n’ont plus confiance en ses dirigeants. Dans cette Afrique où les coups d’états militaires ont cédé la place aux coups d’états constitutionnels, la plupart de ceux qui ont porté un idéal, un espoir, une espérance, …ont eu un destin tragique, emportés par la trahison, les balles de l’ennemi, les suicides assistés, ….

Tout ça s’est fait et se fait toujours avec la bénédiction et la complicité des anciennes puissances coloniales et d’une communauté internationale notoirement affairiste. Les indépendances n’ont été qu’un prolongement de la traite et du colonialisme sous d’autres formes au point où certains africains regrettent parfois aujourd’hui l’époque coloniale.

Ceux que les colons ont confié au pouvoir au moment de leur départ, surtout, dans les pays francophones dans une Afrique aux frontières artificielles, ont été pour la plupart, comme m’écrivait un ami, les serviteurs aux culottes courtes ; anciens soldats de l’armée coloniale, anciens agents de renseignement de la police coloniale ou encore des anciens dignitaires.

Ces hommes qui n’ont connu que la servitude, la platitude, les « oui monsieur », les « à vos ordres monsieur », et qui n’ont jamais rêvé de leur vie d’être un jour dans un palais, sont habités par un désir d’être un maître incontesté ayant droit de vie et de mort sur leurs concitoyens construisant souvent des châteaux de cartes qui s’écroulent avec leur départ.

Durant leur règne ils ne cessent de chanter ce poème satirique de Hadrawi, Isa-Sudhan, composé durant les années 1970,

« Je suis le Président
C’est moi qui décide
Je suis les yeux du peuple
Je suis les oreilles du peuple
Je suis le cerveau du peuple
Je suis le maître [d’école] du peuple
Je suis le Père du peuple
Moi seul de toute cette terre
Suis le patron
Indétrônable »

L’Afrique est devenue un continent où l’éternel recommencement est la règle.

On réécrit, on réinvente une histoire à la gloire de l’homme fort du pays, on détruit et on efface tout ce qui peut rappeler le passé médiocre de ces nouveaux maîtres …. On fait couler du béton sur la mémoire du pays.

Les exemples ont pignon sur rue en Afrique où le manque de confiance entre le peuple et ses dirigeants ont fait basculer des pays dans l’anarchie et la guerre civile.

L’histoire récente et la géographie jouxtante nous font penser à la Somalie qui depuis vingt ans n’a pas d’Etat central, entraînée dans les affres de la guerre des clans par manque des règles démocratiques et du silence complice de la majorité face aux crimes et aux injustices du régime de Siyad Barré.

Et aujourd’hui ceux qui fuient la Somalie n’ont qu’un seul rêve ne jamais revenir sur cet enfer. Sur les routes de l’exil et du désespoir beaucoup sont faits prisonniers par des gardes frontières peu soucieux des droits humains alors que d’autres perdent la vie dans un naufrage en mer ou de soif. Plus de chez soi plus d’espoir.

Mais il arrive que dans certains pays ceux qui sont au pouvoir cesse de croire en leur pays avant le citoyen ordinaire comme à Djibouti. Des hauts responsables de notre pays ont déjà mis à l’abri en Amérique du Nord ou en Europe, leurs familles. Ils espèrent ainsi les épargner d’un destin tragique dont ils croient que Djibouti ne pourrait pas échapper. Ont-ils des informations … ?

Leurs pratiques de la gestion des biens publics les inquiètent-elles au point où … ?

L’oligarchie qui était au pouvoir en Somalie avait subi l’exil après l’effondrement de l’Etat on dirait qu’à Djibouti ceux qui sont aux commandes ont retenu la leçon en anticipant les souffrances de l’exil.

Ce pays ne manque ni de femmes ni d’hommes intègres, honnêtes et soucieux de l’intérêt général possédant « la plénitude humaine sans obsession ; la connaissance sans scepticisme ; le courage sans peur » (Confucius) capables de démentir les guerres civiles et les prophéties de malheur que certains prédisent pour Djibouti. Dans ce bout de territoire combien de génies nous assassinons chaque jour en les empêchant de donner libre cours à leurs intelligences, à leurs verbes, à leurs fresques, à leurs spiritualités…. ? Contre l’arrogance et l’aveuglement de ces hommes et de ces femmes mercenaires des partis au pouvoir en Afrique, on doit opposer une résistance citoyenne, une conscience claire et une foi en des valeurs supérieures. « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission ; la remplir ou la trahir. » Franz Fanon

Farah Abdillahi Miguil

29/09/10 (B571) Point de vue : Djibouti, le règne du faux (Par Farah Abdillahi Miguil)

« Le Conseil National de la Société Civile Djiboutienne a organisé hier au Palais du peuple, un atelier de validation des recommandations de ses premières assisses qui ont été tenues un certain…09 avril 2010, à la ville de l’Unité… (…) Deux jours d’intenses réflexions et de débats constructifs. Après avoir salué son rôle et son leadership, la société civile a reconnu "des difficultés majeures qui minent son décollage après l’avènement de la création et des libertés des mouvements sociaux nés réellement avec l’instauration du système démocratique en 1992." Résultat : un triangle de recommandations audacieuses. » (La nation édition n°174 du mardi 21 septembre 2010)

Un ami doctorant, enseignant à l’Université de Djibouti me disait que lorsqu’il regardait les informations du lundi 20 septembre 2010 le soir et que le présentateur avait évoqué le Conseil National de la société Civile Djiboutienne ou encore les bases d’une stratégie pour le futur d’une société civile Djiboutienne, les premières questions qui lui sont venues à l’esprit étaient : « on veut mentir à qui ? », « peut-on continuer à vivre éternellement dans le faux ? », … .

De quelle société civile parle-t-on ?

De quelles réflexions et de quels débats parle-t-on dans un pays où voir autrement, penser autrement, … est un délit ?

Un Conseil Nationale de la Société Civile est tout autre chose que le futur comité des associations mobilisées aux fins de soutenir le candidat du parti au pouvoir. Un Conseil est plutôt une interface progressiste des intérêts collectifs de la population Djiboutienne, instance indépendante de toute politique partisane.

Et ce n’est sûrement pas une horde d’opportunistes assaillis d’intérêts individuels.

Nous ne condamnons pas les ambitions personnelles, moteurs indéniables et porteuses de projets à visage humain mais les coquilles vides qui n’ont rien d’autres que des ambitions bassement primaires comme le Conseil National de la Jeunesse djiboutienne, qui au départ devrait être au service de la jeunesse et aux principes bien indiqués mais perverti à la naissance en lui enlevant toute représentativité réelle.

C’est vraiment malheureux que les hommes et les femmes qui ont fait le choix de la médiocrité et des raccourcis en espérant un appel du pouvoir soient exhibés tous les soirs à la télé. Une manière de dire, peut être, aux citoyens Djiboutiens que la seule voie possible pour réussir est la soumission et le mensonge.

Aujourd’hui, les hommes et les femmes de la société civile sont à la fois membre du parti au pouvoir et de certaines associations qui servent de faire valoir comme ceux du Conseil National de la Jeunesse qui ne sont qu’un regroupement des jeunes du parti au pouvoir.

Ils ont délibérément fait le choix de dilapider leur dignité, violer leur conscience, prostituer leur foi mais le pire ce qu’ils travaillent inlassablement à convaincre les autres que l’intégrité, l’honnêteté, le courage n’engendrent que des problèmes et qu’il faut se débarrasser le plus vite possible de ces valeurs, surtout s’éloigner de ceux qui en parlent. Ils travaillent inlassablement à convaincre leurs concitoyens que le rêve pour un avenir meilleur est impossible en Afrique en général et à Djibouti en particulier.

Il n’est pas rare d’entendre malheureusement de la part des djiboutiens, cette réflexion : « Rien ne peut changer à Djibouti comme partout en Afrique et pour ne pas avoir des ennuis il faut mieux se taire et/ou se terrer à moins de faire le choix de l’exil » ou encore « Moi seul, qu’est-ce que je peux faire ? ».

Nous sommes devenus un pays où l’individu n’a pas une conscience claire de l’impact que peut avoir son action sur sa famille, ses amis, ses enfants voire sur la société entière. Dans ce sauve-qui-peut généralisé la majorité a décidé de se préoccuper que de soi et de sa famille en se drapant des habits de la religion, ressassant à longueur des journées des citations sorties de leur contexte pour maquiller leur démission, leur lâcheté voire leur morale à géométrie variable.

Le choix du silence et de la neutralité parait être la seule voie possible.

Chacun persévérant dans le choix de l’inaction et de « la paix des lâches » c’est-à-dire « la paix des solitaires. Le mieux serait peut être d’adopter une sorte de neutralité passive (…). La paix des neutres : ne pas prendre position, ne se disputer avec personne, ne jamais s’engager complètement ». Et dans ce cas le choix entre la soumission pour sauver sa famille et la conscience pour sauver le pays est vite fait.

Dans ce désordre ambiant où l’inversion des valeurs est la règle, il devient difficile de trouver des pistes salutaires. La religion ? Elle a été mutilée de ses dimensions essentielles par les hommes et les femmes de ce contré sans ombre.

En effet, « les mosquées poussent comme des champignons. Elles sont remplies … de fidèles. On y prêche nuit et jour des vertus … . Cependant, les grands voleurs, les corrompus, les prostitués moraux, ne sont pas des athées. Pire, la grande majorité aujourd’hui prie pour résoudre ses problèmes personnels.

Hors, de la Maison de Dieu, on achète les consciences, on se vend soi-même, on corrompt à tour de bras, on est corrompu, on tue, on vole le prochain et toute la société. » N. Zongo. L’humanisme ? Il a ètè perverti par une manipulation de la tribu en tribalisme.

Le salut viendrait sûrement d’un appel à notre potentiel à comprendre les secrets de l’univers, notre instinct de recherche de la vérité, notre amour de la justice, notre propension à avoir une foi sincère et sans fard, …pour imaginer un monde où l’épanouissement et la dignité humaine seraient l’emblème.

Un monde où il y aurait un arc-en-ciel d’espoir pour nos enfants.

Un monde où les rêves seraient permis pour nos filles et nos fils.

Un monde où l’exil ne serait plus une espérance ni une assurance.

Farah Abdillahi Miguil