15/03/11 (B595) Appel à la conscience citoyenne (Par Farah Abdillahi Miguil)

Djibouti, le 14 mars 2011

« La République de Djibouti qui a 34 ans est donc majeure. C’est à dire que le peuple de cette République est lui aussi majeure. Il ne doit plus être… comme l’orphelin que le tuteur empêcherait d’exercer sa responsabilité et son droit malgré le fait qu’il a atteint l’âge de majorité légale.

Il a été démontré partout dans le monde que le Parti Unique était le contraire de la Démocratie, l’antithèse de l’Unité Nationale et l’obstacle majeur au développement économique ; Il ne peut pas être différent ici de ce qu’il est ailleurs.

Le Parti Unique, c’est aussi la capture en douce d’un peuple et l’accaparement d’un Pays par une organisation qui s’approprie l’Etat. (…)

Lorsqu’un groupe d’hommes s’appuyant sur des droits et exerçant des libertés valables pour tous, a créé une organisation politique prétend le nier ces mêmes droits et interdire l’exercice de ces mêmes libertés aux autres en se proclamant « Parti Unique », il transgresse une limite naturelle. (…)

Tous les partis Uniques partout dans le monde, au bout d’un certain délai supportable plus ou moins long ou bien ils se sont effondrés ou bien ils ont été contraint de régner par le sang. … la nature a fini toujours par punir les transgresseurs et d’humilier les orgueilleux qui ont osé se proclamer UNIQUES.
DIEU SEUL EST UNIQUE ; » (Mohamed Ahmed Issa dit « Cheiko » 02 mars 1991)

Un appel prophétique

Ce discours a été prononcé lors d’un congrès du RPP par Cheiko le 2 mars 1991 au milieu d’une salle acquise à la cause du parti unique.

Quel courage ! Quelle lucidité ! Quelle clairvoyance pour un homme politique qui était à ce moment-là député et représentant du parti unique.

Quelle prophétie ! Lorsqu’on sait qu’en novembre 1991 la guerre civile allait éclater dans notre pays. Cheiko, membre fondateur de la LPA durant la colonisation avec Omar kamil Warsama (Omar Agoon), Ahmed Dini et Ibrahim Harbi, a toujours été du côté de l’indépendance vraie et de la vraie liberté. Il a été aussi membre fondateur et président du Front Uni de l’Opposition Djiboutienne (FUOD) jusqu’à sa mort.

Il parait qu’à la fin de son discours il lança à l’adresse de Hassan Gouled Aptidon cette phrase « vous avez su nous conduire vers l’indépendance il faudra maintenant que vous nous conduisez vers le pluralisme ». De quel côté serait Mohamed Ahmed Issa dit « Cheiko » s’il était parmi nous aujourd’hui ? Sans aucun doute il serait du côté de la démocratie, de la liberté et de la justice.
Parti unique à la Démocratie

C’était il y a 20 ans que ces mots qui restent plus que jamais d’actualité ont été prononcés par Cheiko. Qu’est-ce qui a changé depuis ce 2 mars 1991 ? Rien sauf la mise en place d’un pluralisme politique et syndical sur le papier avec l’adoption de la première constitution démocratique en septembre 1992. C’est ainsi que débuta la consécration de la « démocratie au parti unique ».

Assemblée nationale, cimetière des volontés et de la représentation

Je rappelle ce discours de Cheiko pour rendre hommage au courage et à la vision d’un homme politique de terrain mais aussi pour rappeler aux jeunes générations que dans notre pays il y a eu une époque où des hommes de valeur ont siégé dans notre parlement malgré le parti unique.

De Gaulle ne disait-il pas que : « L’histoire n’enseigne pas le fatalisme il y a les heures où la volonté de quelques hommes libres, brise le déterminisme et ouvre de nouvelles voies ». Ces hommes avaient une légitimité incontestée pour la plupart pour avoir combattu le colonialisme. Malheureusement, aujourd’hui ceux qui « squattent » l’assemblée nationale et dont la présence n’est qu’une réponse au bégaiement de l’histoire, n’ont aucune légitimité.

D’ailleurs, beaucoup d’entre eux ne savent pas pourquoi ils sont là. Ils ont été souvent choisis pour leur manque de personnalité, leur docilité et leur soumission à se comporter comme des moutons de panurge. Les soi-disant représentants du peuple djiboutien, sont aujourd’hui pour la grande majorité des hommes au passé vierge de tout militantisme de terrain.

Ces hommes et ces femmes qui n’ont jamais porté un idéal ni une cause, ont été coptés par le parti au pouvoir. Ils ont vécu leur nomination comme une sorte de météorite. Perdant parfois « la vue » et/ou le sens de la responsabilité. Et comme chaque créature appartient à son créateur. Le pouvoir actuel a réussi à les convaincre comme ceux qui sont au gouvernement qu’ils doivent avant tout montrer une soumission aveugle et une peur divine envers leur créateur qu’est le système.

Face à une maturité populaire, un aveuglement persistant côtoie une considération infantilisante

Au moment où des tremblements de terre secouent les dictatures arabes souvent emportés par les tsunamis populaires qui font suite à ces séismes, la prise de paroles des différents responsables politiques djiboutiens traduit une frilosité face à la maturité et à la prise de conscience des citoyens.

En effet, ceux dont on disait plus soucieux de la paix sociale que de leurs droits. Ceux qu’on pensait qu’ils allaient accepter comme toujours de bon cœur la faim, la maladie, l’ignorance et le déni pour préserver le statu quo, se dressent aujourd’hui pour réclamer la justice, la liberté et la démocratie.

On dirait que cette prise de conscience du peuple djiboutien inquiète plus d’un parmi les membres du gouvernement. Pour preuve la mitraillette d’intimidations et d’insultes à l’égard de l’opposition souvent assimilées à « des vulgaires voyous » par certains ministres sur les ondes de la RTD, de VAO et de la BBC du jeudi 3 au vendredi 4 mars 2011, témoignent d’un réflexe pavlovien de conservation.

C’est le refrain habituel de « qui ne pense pas comme moi est un terroriste potentiel ».

A ce moment-là, je me suis rappelé ces mots que Nelson Mandela avait notés dans son carnet de note, le 2 juin 1979 dans sa cellule : « Dans un pays malade, chaque pas vers la santé est une insulte pour ceux qui prospèrent sur le malade ». C’est comme si la transparence et l’état de droit étaient dangereux pour certains. La palme de l’irrespect à ce ministre polyglotte mélangeant intimidations, mensonges, insultes, dérapages verbales et voulant jeter en pâture au peuple djiboutien les chômeurs comme boucs émissaires. Comme si être chômeur est synonyme de délinquant ou de criminel.

C’est vrai que le vendredi 4 mars 2011 la ville de Djibouti avait parfum de Gaza, la palestinienne. Alors, nous disons au pouvoir public que l’ère de la peur, des barbelés et des barrages, est révolue et il serait temps que vous fassiez sienne de cette évidence.

Aux membres du gouvernement ainsi qu’aux responsables de l’opposition nous disons que les citoyens djiboutiens méritent plus d’égards et de considérations que de l’infantilisation. Ils ont besoin d’hommes et de femmes crédibles pour envisager un avenir meilleur. On dit souvent que lorsque les deux forces que sont les intellectuels et les politiques capitulent face au pouvoir soit par la collaboration soit par la soumission alors l’avenir de ce pays est le chaos.

Volonté populaire incarnée dans la différence passe par un appel aux négociations

Aujourd’hui en ce moment crucial nous devons tous prendre parti pour la vérité et la justice contre notre parti, contre notre tribu, contre notre famille, contre nos amis, …. D’ailleurs, l’histoire récente abonde d’exemples où des pouvoirs qu’on croyait immuables se sont fissurés et se sont écroulés comme des châteaux de cartes sous la pression populaire. C’est pour cela qu’il serait temps pour l’intérêt de ce pays et de ses habitants que le pouvoir actuel et l’opposition se retrouvent au plus vite et ouvrent des négociations sans exclusive et sans a-priori pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous engouffrons. L’arrogance et la suffisance ainsi que la haine et la rancœur n’engendrent que la destruction.

Consensus, compromis

Une prise de conscience collective doit s’opérer au sein des Djiboutiennes et des Djiboutiens. Cette prise de conscience doit servir de prémices à l’expression d’une responsabilité partagée par chacun de nous tous pour lancer les jalons d’un dialogue salutaire pour l’intérêt général et pour trouver les voies d’un consensus, d’un compromis ….

Ce pays n’est pas la propriété d’une famille, d’une tribu, d’un clan, d’un parti ni de celui d’un groupe d’individus mais celle de toutes les composantes de la nation djiboutienne sans distinction aucune. L’avenir de ce pays nous concerne tous, et une « somalisation » de notre chère patrie serait un désastre pour ses citoyens mais aussi pour la région. C’est pour cela que chacun d’entre nous doit y mettre un peu du sien.