Par VIRGINIE GOMEZ
Des villages brûlés, des populations déplacées, des femmes violées, des assassinats : depuis le début de lopération militaire éthiopienne en Ogaden, dans lest du pays, il y a un peu plus dun an, la presse et les organisations de défense des droits de lhomme ont multiplié la publication de témoignages, systématiquement qualifiés par Addis-Abeba dallégations sans fondement.
En juin, Human Rights Watch a ainsi accusé lEthiopie de crimes de guerre et pointé du doigt «la conspiration du silence» à laquelle participent, selon elle, Bruxelles, Londres et Washington. Il sagit moins dun conflit oublié que sciemment ignoré. «Que pouvait faire lEthiopie ?» questionne un diplomate africain, résumant le consensus général.
Lopération de larmée éthiopienne contre le Front national de libération de lOgaden (ONLF) a commencé en juin 2007. Quelques semaines auparavant, une station dexploration pétrolière chinoise avait été attaquée par les rebelles.
Lassaut avait fait 74 morts, 9 Chinois et 65 Ethiopiens, «luvre dune coalition entre lONLF et les milices islamiques somaliennes», affirme une source proche des services de sécurité.
Opacité.
LOgaden constitue une partie de la région Somali en Ethiopie. Ses habitants ont en partage avec ceux de la Somalie voisine la langue, la culture et les traditions des éleveurs nomades, et le réseau de téléphone portable. Après leur défaite, en janvier 2007, les tribunaux islamiques somaliens se sont réorganisés en guérilla. Larmée éthiopienne les affronte à Mogadiscio, la capitale somalienne, tandis que de petits groupes extrémistes opèrent également en région Somali.
Le regain dactivité de lONLF, constitué il y a plus de vingt ans, est attribué à lintervention dAddis-Abeba en Somalie. A lorigine, larmée éthiopienne aurait dû être relayée par une force internationale. A ce jour, seule lUnion africaine a déployé 3 000 soldats burundais et ougandais, et lONU se garde bien dy renvoyer des Casques bleus.
De leur côté, les Etats-Unis ménagent leur allié, lun des seuls dans la région, face au Soudan et à lErythrée, ouvertement hostiles à Washington.
Autant de facteurs qui expliquent le silence pesant sur la répression dans lOgaden.
La demande denquête des Nations unies sur la situation des droits de lhomme est restée lettre morte. La communauté humanitaire en Ethiopie est unanime à critiquer lopacité avec laquelle les agences onusiennes opèrent dans lOgaden.
Laide alimentaire, par exemple, transite par le gouvernement éthiopien, sous escorte militaire. «Dans certaines zones, les villages qui ont la réputation de soutenir lONLF nont rien reçu depuis le début des distributions», affirment plusieurs observateurs. Le mois dernier, lONLF a accusé Addis-Abeba d«affamer lOgaden». Une responsable du Programme alimentaire mondial reconnaît que la situation humanitaire des populations en région Somali reste critique et se serait même détériorée.
Il y a quelques semaines, Médecins sans frontières-Suisse a annoncé quelle quittait lOgaden. «Il na pas été possible dapporter une assistance médicale dans les zones qui en avaient le plus besoin», souligne le chef de mission, Stéphane Reynier. En cause, les problèmes de sécurité et les tracasseries administratives. Il y a un an, le Comité international de la Croix-Rouge, accusé de soutenir des rebelles, avait été expulsé de la zone.
Dilemme.
Les opérations militaires ont diminué en intensité dans lOgaden, le gouvernement a même annoncé avoir «brisé léchine» de lONLF. Mais la latitude daction des ONG en Ethiopie est en voie de rétrécissement. Un projet de loi réduit leur champ de compétences tout en renforçant drastiquement les contrôles. Une agence instituée à cet effet pourrait mener des enquêtes, assister aux réunions des organisations, nommer ou renvoyer les personnels
La question de lOgaden est aujourdhui diluée dans celle de la crise nationale.
Suite à la dernière sécheresse, près de 5 millions de personnes ont officiellement besoin dune aide alimentaire durgence, soit un soutien de 300 millions deuros. Dans le même temps, le gouvernement bataille avec les agences de lONU, dont les chiffres sont jugés trop alarmistes. Cest le dilemme dun pays sous perfusion internationale, mais qui entend mener sa politique intérieure sans contrôle.