17/09/08 (B465-B) Libération / Les pirates égarés dans les filets de la justice française.

CHRISTOPHE AYAD

Ils sont déjà six, bientôt douze, détenus dans les prisons françaises. Ils sont passés presque sans transition des côtes arides du Puntland aux cellules surpeuplées des maisons d’arrêt de la région parisienne. Les six pirates somaliens présumés responsables du détournement du Ponant, capturés par un commando des forces spéciales françaises en avril, sont depuis quatre mois et demi en détention provisoire. Tous mis en examen pour «arrestation et séquestration de plusieurs personnes comme otages en vue d’obtenir une rançon» en bande organisée, un crime passible de la réclusion criminelle à perpétuité.

Traducteur. Les 30 membres d’équipage du Ponant, un voilier de luxe circulant alors sans clientèle, avaient été retenus sans violence, mais sous la menace d’armes, pendant plusieurs jours. Peu après leur libération en échange d’une rançon, l’armée française avait intercepté, en hélicoptère, une voiture avec six pirates présumés et une partie de la rançon.

Pour éviter qu’ils communiquent entre eux, les six Somaliens ont été répartis dans des prisons différentes. «Ils sont dans une situation de quasi-isolement de fait, étant donné leur difficulté à communiquer en français», explique Me Gustave Charvet, qui représente Mohamed Saïd Hote. Désigné d’office comme les autres avocats, Me Charvet doit passer par un traducteur pour parler avec son client, âgé d’une quarantaine d’années et sans profession déclarée. L’avocat s’attend à une longue procédure avant la tenue d’un éventuel procès et regrette à demi-mot que rien n’ait avancé depuis l’audition de son client par les juges d’instruction Gachon et Goetzmann. Depuis cette première audition, aucune confrontation n’a été organisée.

Mohamed Saïd Hote, qui a pu avoir de rares contacts téléphoniques avec des proches, «prend son mal en patience», selon son défenseur. Mais d’autres sont plus déprimés et ne comprennent pas pourquoi ils ont été emmenés en France, selon un autre avocat. Me Charvet craint surtout que son client fasse les frais de la nouvelle prise d’otages, dénouée hier par une intervention de l’armée française (lire ci-dessous) : «Ce sont deux infractions du même style, commises dans le même coin. Est-ce que ça suffit pour établir un lien ?» S’il s’avérait que les pirates du Carré d’As avaient réclamé la libération de ceux du Ponant, cela aggraverait évidemment leur cas.

«Flou».

Les avocats, eux, s’interrogent avant tout sur le «flou» qui entoure la situation des détenus. «C’est une situation particulière, pour ne pas dire plus», résume Me Charvet. Les défenseurs des Somaliens s’interrogent en effet sur les «inquiétantes zones d’ombre que comporte le dossier», notamment sur la qualité de ceux qui les ont interpellés et le statut de leur détention, qui a duré cinq ou six jours, entre leur arrestation en Somalie et leur présentation au parquet à Paris. Les présumés pirates sont-ils de vulgaires malfrats, des «prisonniers de guerre» ou des «ennemis combattants», à l’instar des détenus de Guantánamo ?

«Ce n’est évidemment pas Mohamed Saïd Hote qui a pu avoir des contacts téléphoniques avec ses proches mais son avocat, Me Gustave Charvet. Toutes nos excuses pour cette erreur.»