06/03/2000 – Refus de visa pour les avocats de la femme d’un magistrat français décédé. Nouvelle restriction de la liberté d’expression

Extrait de l’AFP Général – Mercredi 6 Mars 2000 – 12:16 GMT

France-Djibouti : Refus de visa pour les avocats de la femme d’un magistrat français décédé.

PARIS, 6 mars (AFP). L’ambassade de Djibouti à Paris a refusé de délivrer un visa aux avocats d’Elisabeth Borrel, femme du magistrat français mort en 1995 à Djibouti, a indiqué lundi à l’AFP Me Olivier Morice, un des avocats de Mme Borrel.

« Je suis scandalisé. Ils refusent qu’on aille à Djibouti pour vérifier la pertinence des accusations portées par un ex-officier djiboutien, Mohamed Saleh Alhoumekani », aujourd’hui réfugié en Belgique, a ajouté Me Morice, qui défend avec Me Laurent de Caunes, Mme Borrel.
Alhoumekani a affirmé à plusieurs médias, à la mi-janvier, que le magistrat, Bernard Borrel, avait été tué dans un attentat fomenté par l’actuel chef de l’Etat de Djibouti Ismaïl Omar Guelleh, à l’époque chef de cabinet du président Hassan Gouled Aptidon.

Il a réitéré fin janvier ces accusations devant les juges. Le gouvernement djiboutien a qualifié ces accusations de « mensongères ».

Deux juges d’instruction et un magistrat du parquet de Paris sont partis vendredi à Djibouti dans le cadre de l’enquête sur la mort du magistrat français.

Ils doivent interroger sur place différentes personnes concernant les conditions exactes de la mort de Bernard Borrel, conseiller du ministre de la Justice djiboutien, dont le corps calciné a été retrouvé le 19 octobre 1995 à proximité de la ville de Djibouti.

Par ailleurs, l’avocat de l’ancien ministre de la Justice djiboutien, Moumin Bahdon Farah, s’est plaint lundi des conditions dans lesquelles les deux magistrats français présents à Djibouti ont convoqué son client, qui avait manifesté le souhait d’être entendu comme témoin dans cette affaire.

Dans un communiqué adressé à l’AFP, Me Roger Vincent Calatayud souligne que les juges français Le Loire et Moracchini ont délivré une convocation à M. Moumin Bahdon Farah pour le 7 mars afin de l’entendre à Djibouti « hors de la présence de son conseil ».

L’avocat de l’ancien ministre djiboutien a précisé avoir écrit aux magistrats français pour leur demander de recevoir la déposition de son client à Paris « afin d’éviter tous incidents et pressions ».
Celui-ci « devait développer des arguments en faveur de la thèse de l’assassinat » de Bernard Borrel, précise le communiqué.

Me Calatayud s’insurge « contre de telles méthodes de procédure dans le cadre d’un dossier pénal d’une telle sensibilité » et précise que son client « ne peut plus correspondre librement (…) puisque toutes les lignes téléphoniques et Internet ont été placées sur système d’interception ».

______________________________________

Notes de l’ARDHD

1 – Refus de visa aux avocats de la partie civile.
Lors d’une réunion qui s’est tenue le 8 novembe 1999 au Ministère français de la Coopération, M. Thornary, conseiller du Ministre avait affirmé avoir reçu toutes les assurances du Gouvernement djiboutien, concernant la délivrance de visa pour les avocats français souhaitant se rendre à Djibouti. Il avait ajouté, à notre plus grande indignation, que seuls Mes Montebourg et Calatayud n’étaient pas concernés par cette mesure.

La délivrance de visas pour les avocats français souhaitant se rendre à Djibouti fait partie des termes de la convention franco-djiboutienne d’assistance judiciaire toujours en vigueur à ce jour.

Le refus de visa pour les avocats de Mme BORREL est donc contraire au Droit et aux accords signés.

Nous attendons la réaction de la France et celle de Monsieur Thornary qui a peut-être été abusé par ses homologues djiboutiens ?

2 – Restriction des libertés
Lors de la signature des accords de Paix de Paris le 7 février, il avait été clairement stipulé que ces accords prévoyaient le retour progressif à la démocratie. Or depuis, nous assistons à des restrictions des libertés individuelles :
interruption des lignes téléphoniques et des accès Internet des opposants, condamnation à des peines lourdes sur dossier vide, mise sur écoute de toutes les personnalités, etc.. Nous ne pouvons que constater que M. Guelleh conduit son régime dans le sens opposé à celui qui avait été annoncé.

A force de décevoir le peuple et l’opinion internationale, il prend des risques : ses soutiens inconditionnels au sein de la République française vont-ils pouvoir continuer à le protéger indéfiniment ?

3 – Suspicions légitimes sur les objectifs réels de la mission des juges LE LOIRE et MORACCHINI
Depuis plusieurs semaines, nous nous faisons l’écho des doutes sur la mission des deux juges et sur leur réelle volonté d’élu(ci)der l’affaire BORREL. Leur déplacement à Djibouti avec le procureur adjoint avait fait naître de nouveaux espoirs… bien vite déçus par leur première décision : ils ont commencé leur mission en se concentrant sur la famille d’Alhoumekani et non sur les témoins possibles. Nous avions lancé une alerte dès dimanche matin à ce sujet. Tous les membres de la famille Alhoumekani ont été interrogés dans un climat de courtoisie, mais la vérité aurait-elle une chance d’éclater si les juges devaient passer dix jours à cerner la personnalité du témoin ?

Le mécanisme d’étouffement dont nous parlions dans nos précédentes éditions semble toujours en marche.

Nous espérons encore que les juges poursuivront leur mission en interrogeant tous les témoins « possibles » dans cette affaire.