14/01/03 (B180/2) Le pouvoir rafle tous les sièges (RFI)

Le parti du président
Guelleh a emporté tous les sièges à l’Assemblée
lors des premières élections multipartites. L’opposition dénonce
les «fraudes».

De notre envoyé
spécial à Djibouti

Il a fallu un quart de
siècle pour y arriver. Plus de vingt cinq ans entre l’indépendance
de Djibouti, obtenue en 1977, et les premières élections législatives
complètement multipartites de l’histoire du pays, vendredi 10 janvier.
Djibouti était déjà sur la voie de la démocratisation
depuis 1992, lorsque, mettant fin au monopartisme hérité de
la décolonisation, une période de dix ans de transition avait
été instaurée, au cours de laquelle quatre partis politiques,
pas un de plus, avaient été autorisés. C’est donc seulement
en septembre 2002 que l’ancienne Côte française des Somalis,
puis Territoire français des Afars et Issas, devenue république
de Djibouti après 115 ans de présence française, a fini
par instaurer le multipartisme intégral, libéralisant complètement
la vie politique.

Les élections législatives
de vendredi en sont le premier test. A l’approche du scrutin, deux coalitions
s’étaient constituées. La première, qui réunit
quatre partis de l’opposition sous l’étiquette de l’Union pour l’alternance
démocratique (UAD), est emmenée par Ahmed Dini, vétéran
de la politique djiboutienne, premier Premier ministre du pays pendant six
mois, opposant aux deux président successifs puis chef de la rébellion
des années 90, avec, autour de lui, des hommes d’origines politiques
très différentes, dont d’anciens ennemis. Face à eux,
la coalition gouvernementale, l’Union pour la majorité présidentielle
(UMP), dont le chef de liste est le premier ministre djiboutien, mais dont
le véritable homme fort est le président de la République
et maître incontesté du pouvoir djiboutien Ismaël Omar Guelleh.

Après une campagne
au ton parfois dur, mais sans violences – fait notable -, l’affrontement dans
les urnes était attendu avec impatience par Djibouti. En organisant
d’importants rassemblements dans la capitale pendant la campagne, l’UAD avait
fait la preuve de son implantation dans les quartiers pauvres, désespérés
par l’état de délabrement de l’économie du pays. Il restait
à savoir comment les électeurs attirés par le discours
d’Ahmed Dini et de ses alliés sur le «changement», maître
mot de la campagne, allaient voter. A la veille du scrutin, cependant, Ahmed
Dini dénonçait de manière répétée
des irrégularités concernant la délivrance des cartes
d’électeurs. Selon lui, des électeurs pourtant inscrits sur
les listes n’auraient pu obtenir ces cartes, avec le résultat d’être
privés de vote et de limiter, éventuellement, les suffrages
de l’opposition. Nul ne pouvait, cependant, estimer de manière irréfutable
le nombre de ces sans-cartes. Vendredi, le scrutin a eu lieu dans le calme,
encadré dans les bureaux de vote de par les assesseurs et les membres
des partis.

«Hold-up électoral»

Le président Ismaël
Omar Guelleh © Dans certains bureaux de Djibouti-ville, on se plaignait
que l’encre, destinée à marquer le pouce des votants d’une marque
indélébile pour éviter qu’ils ne puissent renouveler
l’opération par tricherie, était si diluée qu’il suffisait
d’un peu d’eau pour l’enlever. Mas dans l’euphorie de la journée de
vote, et en dépit de quelques échauffourées ans gravité
dans les quartiers périphériques de la ville, le vote s’est
déroulé sans heurts. Pour rassurer un peu plus les opposants
inquiets à l’idée d’un «hold-up élctoral»,
les autorités avaient obtenu que le dépouillement se fasse dans
les bureaux même, sous la supervision des agents des partis, avant que
les urnes et les bordereaux soient transmis au ministère de l’intérieur
où le décompte final devait être fait.

L’opération a duré
une partie de la nuit, mais au petit matin, les résultats qui sont
tombés ont pris l’opposition par surprise : la défaite était
totale, l’UMP l’emportantt dans chacun des cinq circonscriptions djiboutiennes,
avec des scores parfois voisins de ceux de l’opposition, comme à Djibouti-ville
(environ 55% pour l’UMP contre 45% pour l’UAD). Or, comme le prévoient
les règles du système électoral djiboutien, la liste
qui obtient le score le plus fort rafle tous les sièges de la circonscription.
Tablant sans doute sur une possible victoire à Djibouti-ville qui lui
aurait donné les 37 sièges de la circonscription e en même
temps qu’une majorité à l’Assemblée nationale, qui n’en
compte que 65, l’opposition se trouvait totalement exclue de la chambre. Voilà
bien le paradoxe de ce résultat : les premières élections
normales du pays conduisant à constituer un parlement digne d’un parti
unique.

Mais lundi 11 janvier,
Ahmed Dini a commencé a relever les irrégularité du scrutin
qui, selon lui, rendent son résultat contestable. Le leader de l’opposition
parle de «fraude subtile» du gouvernement, basée sur les
manipulations de cartes d’électeurs, parle aussi de bourrages d’urnes
dans certaines régions éloignées de la capitale, et finit
par avancer d’un «hold-up électoral». Le terme est d’une
grande gravité.

Pour le moment, Ahmed
Dini a choisi de l’adoucir en demandant à ses militants de rester dans
la voie légale et de ne pas descendre dans la rue, en attendant de
déposer des recours devant le Conseil constitutionnel. Mais rien n’indique
que l’UAD dans son ensemble souhaitera longtemps se contenter de cette tactique.

JEAN-PHILIPPE
REMY
12/01/2003