12/04/05 (B293B) LE FIGARO : conforté lors d’une présidentielle falsifiée Djibouti : la dérive autoritaire du président Guelleh

Djibouti : de notre envoyé
spécial Tanguy Berthemet [11 avril 2005]

Tout le monde s’attendait
à la victoire d’Ismaïl Omar Guelleh, lors des élections
organisées vendredi à Djibouti. Le président sortant
était seul prétendant en lice, l’opposition ayant appelé
à «un boycott actif» du scrutin. Il était donc «normal»
que son score officiel atteigne 100% des suffrages. C’est le taux de participation,
véritable enjeu du scrutin, qui a surpris. Il grimpe officiellement
à 78,9%.

La Ligue djiboutienne
des droits humains a qualifié ce chiffre de «grotesque».
«Il suffit de se rappeler que lors des législatives de 2003,
très ouvertes, le taux n’avait été que de 48% pour mesurer
l’ampleur de la fraude», explique son président, Jean-Paul Abdi
Noël. L’opposition, minée par des rivalités internes et
privée de véritable dirigeant, a achevé de se discréditer
en annonçant dans un communiqué «l’immense succès
du boycott» et le rejet du président par «une mer impétueuse»
!

Avec cette «victoire»
électorale, le président Guelleh concentre plus que jamais tous
les pouvoirs. Début 2004, le département d’Etat américain
avait déjà dénoncé dans un rapport les entorses
à la démocratie enregistrées à Djibouti : Assemblée
nationale monocolore, télévision et radio aux mains de l’Etat,
droits d’association et de réunion «restreints»…

Depuis, les choses ne
se sont pas améliorées. «Le pouvoir est de plus de plus
centralisé. La moindre nomination à un poste un peu important
dépend du président», assure un observateur occidental,
installé depuis de longues années à Djibouti.

Ancien responsable des
services secrets, Ismaïl Omar Guelleh, fidèle à ses méthodes,
tient le pays sous surveillance, grâce ses «RG», une police
en civil et une nuée de petits mouchards dénommés «mille
francs», car payés à la dénonciation.

Dans ce micro-Etat
d’à peine plus de 600 000 habitants, tout opposant un peu pugnace est
vite contraint à vivoter, à partir en exil ou à accepter
d’entrer dans l’orbite du pouvoir. L’opacité financière qui
règne sur les comptes publics permet toutes les dérives.

«Ce taux de participation
démontre à quel point le pouvoir se sent fort, car il sait que
personne n’osera le critiquer, pas plus à l’intérieur qu’à
l’extérieur», estime un observateur qui requiert l’anonymat.
La stabilité relative de Djibouti et sa situation sur le détroit
de Bab el-Mandeb, qui commande l’accès à la mer Rouge et au
canal de Suez, joue comme une garantie en sa faveur. Plutôt que de risquer
une brouille avec ce pays hautement stratégique où ils entretiennent
d’importantes bases militaires, Paris et Washington choisissent de rester
silencieux.

Coincé entre ce
pouvoir fort et une opposition sans relief, le peuple djiboutien, qui compte
parmi les plus pauvres du monde, en est réduit à se débrouiller
pour survivre.

Le mécontentement
grandissant offre un terreau aux rivalités ethniques qui secouent le
pays. L’accord de paix de 2001, qui mettait fin à dix ans d’une guerre
tribale, prévoyait une plus grande décentralisation. Mais les
élections régionales qui devaient se tenir en 2004 ont été
reportées. Elles ne devraient pas se tenir avant la fin de l’année.