19/06/05 (B303) 27 Juin : Hommage aux héros et héroïnes tombés. (Lecteur)

Honorer celles et ceux qui ont payé de leur vie et se rappeler pourquoi ils ont fait l’ultime sacrifice.

27 Juin 1977: Des hommes, des femmes et des enfants ont donné leurs vies pour l’avènement de cette date dans l’histoire de notre pays. Ils et elles se sont sacrifie(é)s pour voir un peuple libre au banc des nations libres.

Elles et Ils ont payé de leurs vies pour que nous soyons maître de notre destin; ce qui est le droit inaliénable de tout peuple. Elles et ils appartenaient à un peuple uni, respectueux de ses différences. Elles et ils rêvaient d’une société juste, équitable et inclusive, d’un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, d’un leadership au service de leur nation, d’une vie meilleure pour tous les habitants de ce pays. Les parents avaient l’espoir de voir leurs enfants connaître une vie meilleure que celle qu’ils avaient connue, bénéficier d’une meilleure éducation, avoir une chance de réussir dans la vie et des opportunités de jouir des fruits de leur labeur.

C’est l’héritage que ces hommes, ces femmes et ces enfants ont voulu nous laisser. Ils et elles l’ont payé de leurs vies. Ces héros et ces héroïnes ne sont pas morts pour telle race, religion, ethnie, tribu, tel clan, sous-clan ou genou mais pour l’intérêt général de tous. Honorons-les et honorons leurs mémoires en continuant à nous battre pour la réalisation de leurs rêves et aspirations, qui sont les nôtres aussi, et que nous devons préserver pour les générations à venir.

Qu’en est –il aujourd’hui de ces rêves et aspirations?

Ces femmes, ces hommes et ces enfants auraient bien du mal à comprendre ce qu’il est advenu de leurs sacrifices. Seule une petite minorité a récolté les fruits de la lutte et des sacrifices de ces héros et héroïnes. La grande majorité de la population a connu une véritable descente dans l’enfer sur terre. Non seulement la promesse d’une vie meilleure est toujours une promesse lointaine mais en plus tout s’est détérioré depuis; la société, l’emploi, la santé et l’éducation. L’avenir des parents et celui de leurs enfants, leurs libertés et leur destin reposent entre les mains d’une infime minorité qui s’est approprié du moment aux dépens de tous.

Les responsables politiques qui se sont succédés à la tête du pays depuis cette date n’ont pas seulement détruit le pays économiquement et socialement, ils essaient également de détruire la fibre nationale, ce fil précieux qui nous reliait et nous encore relie tous et qui fait de nous, avant tout, des djiboutiennes et des djiboutiens, sans distinction de race, d’ethnie, de tribu, de clan, de sous-clan ou de genou. Nous étions et nous sommes toujours djiboutiens et djiboutiennes. Des générations entières ont grandi ensemble sans que l’un connaisse la tribu, le clan, sous-clan ou genou de l’autre.

Nous avons grandi sans même connaître nos noms complets respectifs (sauf peut-être sur les bancs scolaires). Nous nous connaissions par nos surnoms, demi-noms dans toutes les langues (Lapin, Quat-cailloux, Chehem Dadoud, Block, Buffalo, Souris, Jiir, La Cigale, Sagaroo, Libah, Lion, Fahmi, Mahdi Killer, Mahdi Chineh, Safia serpent, Safia soleil, Qaysalihe, Omar fou, Omar Osman, Chakib, Ali coubba, Toto, Tintin, Shanle, Shaft, Dimbio, Souleiman Dafle, Souleiman Miyir, Abdi Farah, Abdi Guirreh, Guranjo ou fourmi, Fouliyeh, Aden Dheere, Aden Madobe, Aden Ade, Aden Hiid, Baragoita, Malgache, pour ne citer que quelque uns ).

Nous n’avions ni race, ni ethnie, ni clan, ni tribu, que ce soit sur les bancs de l’école, au terrain de foot ou à la plage. Ce qui nous différenciait, c’était nos caractères, qualités, talents, aptitudes et travail. C’était une société où les plus méritant(e)s étaient admire(é)s, reconnu(e)s, récompense(é)s et rétribué(é)s. La richesse ou la pauvreté de nos familles ne comptait pas en ces moments. Nous rentrions dans nos foyers, des maisons solides pour les uns, des baraques en bois pour les autres.

Cela ne faisait aucune différence à nos yeux et ne diminuais en rien le respect et l’amour que nous avions les uns pour les autres. Nous visitions nos amis que ce soit dans les maisons délabreés ou dans les belles maisons. Nous nous entre-aidions à réussir à l’école et ailleurs. Nous étions reconnus et jugés par nos pairs et par nos aînés pour nos caractères, nos actions et non pour notre appartenance à une race, religion, ethnie, tribu, clan, sous-clan ou genou.

Naïveté, souvenirs d’enfance ou immaturité de jeunesse me direz-vous.

C’est pourtant la société et le mode de vie dans lesquels nous avons été élevés, où nous avons grandi, et que nous croyions qu’il en serait toujours. Nous avons grandi en croyant que nous serons jugés et rétribués pour nos caractères et qualités, pour notre effort et travail et non pas par le statut social de notre famille ou par notre appartenance à telle race, religion, ethnie, tribu ou tel clan, sous-clan ou genou.

Nous avons été élevés dans la foi en un système méritocratique où les talents et le travail de chacun et chacune seraient reconnues et qui mènerait chacune et chacun à un meilleur avenir. Nous étions éduqués avec les notions du respect des autres, du respect des aînés, du respect des institutions et du respect de soi-même.

Aujourd’hui, nous sommes divisés selon les lignes de l’ethnie, du clan, de la tribu, du sous-clan et du genou. Nous sommes divisés entre les “Haves” et “Have-nots”. Il y a ceux et celles dont les tables abondent et ceux et celles qui se demandent d’où viendra leur prochaine repas, ceux et celles qui ne peuvent plus nourrir leurs enfants, ceux et celles qui sont réduits à la mendicité voire la prostitution. Nous sommes inégaux sur le plan de l’éducation. Il y’a ceux et celles qui peuvent payer un tuteur leurs enfants pour pallier à un enseignement devenu inadéquat et il y a les laissés-pour-compte.

Nous sommes inégaux sur le plan de l’emploi et dans la recherche d’un travail. Quand il y a travail, ce qui est rare, nous sommes embauchés non pas parce que nous avons les qualifications et les qualités requises pour accomplir la tâche mais parce que nous appartenons à telle ethnie, tribu, tel clan, sous-clan ou genou. Nous sommes inégaux devant la justice; il y a ceux qui peuvent se la payer ou qui possèdent les appuis nécessaires et il y a tous les autres.

Nous sommes inégaux dans nos chances de survie dans cette vie. Certaines accouchent dans les meilleures cliniques alors que d’autres n’ont pas de quoi se payer les soins primaires. Certains ont accès aux meilleures spécialistes alors que d’autres meurent des maladies bénignes. Tel est l’état de notre peuple et de notre pays.

Mais tout est-il perdu alors ?

Une chose est sûre, l’esprit et le rêve qui animaient ceux et celles qui sont morts pour la liberté, l’égalité, la justice et l’unité de ce peuple vivent encore en beaucoup d’entre-nous. Elles et ils sont beaucoup plus nombreux que vous ne l’imaginez. Des jeunes et des moins-jeunes qui ne reconnaissent plus et ne se reconnaissent plus dans cette société; une société inégale, injuste et divisée. Beaucoup ont cherché une meilleure vie ailleurs. Beaucoup sont restés pour lutter et se battent toujours et encore au nom de ce rêve d’une société juste, équitable et inclusive. Même si certains ont adhéré au système en place, volontairement ou involontairement parce que, à leurs yeux, c’était la seule façon de s’en sortir.

Le 27 Juin devrait être une date à se souvenir et à célébrer, une date à commémorer en honorant ces héros et héroïnes. C’est une date à se rappeler pour ne jamais oublier ce pour quoi ces femmes, ces hommes et enfants ont donné leurs vies . Nous leur devons et nous nous devons de lutter pour achever ce rêve.
Enseignons à nos enfants les noms de ces héros et héroïnes et l’héritage qu’ils et elles ont essayé de nous laisser. Enseignons leur l’hymne national dans toutes les langues du pays (faudrait –il encore que nous le puissions nous-mêmes), apprenons leur à se lever et à saluer le drapeau dans les classes. Enseignons leur à respecter nos différences, disons leur que nous sommes tous les enfants de ce pays, que nous sommes un peuple et que nous avons une patrie.

Alors ces hommes, ces femmes et ces enfants ne seront pas morts en vain.

Abdourazak H. Atteye (Assod), Ph.D.
Pennsylvania, United States Of America.