16/11/06 (B369) Libération : « Rien n’est sûr en Somalie, c’est pour ça que je suis parti ». Les islamistes qui tiennent Mogadiscio inquiètent les réfugiés somaliens. Par Léa-Lisa WESTERHOFF (Info lectrice)
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QUOTIDIEN
: jeudi 16 novembre 2006
Addis-Abeba correspondance
Sous le toit de tôle au fond d’une arrière-cour, aux
tables du Jama Restaurant, les discussions vont bon train. Dans cette cantine
populaire de «Little Mogadiscio», bercée par le son de
la radio somalienne, on ne se retrouve pas pour parler politique mais plutôt
des problèmes du quotidien : l’obtention d’un visa, l’augmentation
du prix du sucre…
Coincé
entre les ambassades du Rwanda, du Congo-Brazzavile et de la Somalie, ce quartier
d’Addis-Abeba abrite la majorité des 20 000 réfugiés
somaliens de la capitale éthiopienne. Dans ses ruelles serrées,
les vendeurs de khat se disputent le trottoir avec les dizaines de cafés
où les Somaliens se retrouvent pour papoter.
«Légitimité». Il suffit de mentionner la situation
politique dans le pays natal ou la menace d’une guerre entre l’Ethiopie et
les islamistes somaliens pour que le débat s’échauffe. «Bien
sûr que je soutiens le gouvernement de transition en Somalie»,
s’exclame Assan Ahmed en arabe somali, en donnant un coup de poing sur la
table. «Ils ont été élus, ils ont une légitimité,
les islamistes eux n’en ont pas», continue ce maçon de 65 ans.
«Les tribunaux islamiques sont soutenus par Al-Qaeda.
L’Ethiopie
a raison d’avoir des troupes en Somalie, elle devrait même carrément
attaquer et en finir avec eux» , intervient un jeune à la table
voisine, qui ne veut pas donner son nom. De fait, les supporters des tribunaux
islamiques sont plus difficiles à trouver: pas étonnant, sachant
que l’Ethiopie est le principal allié du gouvernement de transition
somalien, basé à Baidoa.
«C’est
sûr que Mogadiscio [la capitale somalienne contrôlée par
les islamistes] est plus calme maintenant, mais il y a encore beaucoup d’incertitudes
sur ce que vont faire les islamistes, cela nous inquiète», affirme
Mustafa Abulkarim, fraîchement arrivé de Mogadiscio par avion
depuis le Somaliland il y a deux semaines. «C’est pour ça que
je suis parti : rien n’est sûr en Somalie et on ne peut rien faire là-bas»,
explique l’étudiant, qui, comme la plupart de ses compatriotes, tente
d’obtenir un visa pour les Etats-Unis.
Derrière
les bureaux de change clandestins et les boutiques de téléphone,
se dressent quelques belles maisons, preuves du succès de certains.
Cheikh Mohamed, qui a fui Mogadiscio en 1996, a créé un centre
d’alphabétisation. «Les tribunaux islamiques ne sont peut-être
pas l’idéal, mais ce sont les premiers à avoir restauré
un semblant de paix dans le pays», explique l’homme à la légère
barbe blanche.
Mohamed
Jema Ali, 25 ans, partage cet avis. «Les tribunaux islamiques font un
bon boulot. Trop de dirigeants ont essayé, il y a eu des tas de combats
et de morts, ils n’ont pas réussi», explique-t-il dans un anglais
impeccable tout en jetant un regard nerveux autour de lui. «Leur problème
c’est qu’ils parlent trop et se font trop d’ennemis à l’étranger.
Leur politique intérieure est efficace, mais je ne soutiens pas leur
politique extérieure» , nuance le jeune homme qui a fui son village
du centre de la Somalie il y a deux ans.
Fatigués.
Dans les
ruelles de «Little Mogadiscio», la musique qui s’échappe
des boutiques se mêle à l’appel du muezzin. Les femmes portent
des voiles de couleur ou le hijab noir, le visage gracieusement maquillé,
les hommes papotent. «Nous sommes fatigués», intervient
Aziz, un jeune coiffé d’une casquette. «Notre génération
n’a jamais connu un gouvernement qui fonctionne. Dans tous les autres pays,
il y a des lois, des ambassades, nous n’avons jamais vu ça.»
«Nous ne voulons plus de guerre, ce que nous voulons ce sont des infrastructures.
S’il y avait la paix dans mon pays, j’y retournerais immédiatement»,
conclut Mohamed dans un soupir.