08/12/06 (B 373) Libération Ces Somaliens qui fuient un pays dévasté. (Info lectrice)


Face à la guerre civile et aux intempéries, 35 000 réfugiés
ont migré vers le Kenya depuis janvier.


Par Stéphanie BRAQUEHAIS

QUOTIDIEN : vendredi 8 décembre 2006 Dadaab
(Kenya) envoyée spéciale

Une femme se lève péniblement de son abri de branchages et de
ficelles surmontés de bâches en plastique vert données
par le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR). Et vient
à la rencontre des étrangers de passage. Enceinte de huit mois,
elle prend dans ses bras son plus jeune enfant, au visage émacié,
victime de malnutrition. Partie de Mogadiscio, la capitale somalienne, en
août, elle a marché pendant quarante jours pour parcourir 500
kilomètres jusqu’à la frontière avec le Kenya.

Mère
de quatre enfants, bientôt cinq, Mariam Seïd a été
séparée de son mari et n’a plus eu de nouvelles de lui. Un de
ses enfants est devenu aveugle après une explosion lors des combats
de juin dans la capitale entre les milices de l’Alliance pour la restauration
de la paix et contre le terrorisme (ARPCT, financée en grande partie
par les Etats-Unis) et les Tribunaux islamiques, qui contrôlent désormais
le Sud et une large partie du centre du pays. Elle ne possède plus
rien et demande qu’on lui donne de la nourriture.

Rations.
Comme Mariam, plus de 35 000 personnes ont fui la Somalie depuis le début
de l’année pour rejoindre le camp de Dadaab, dans le nord-est du Kenya,
créé en 1992. Les rations alimentaires distribuées par
le Programme alimentaire mondial ne lui suffisent pas pour nourrir sa famille,
dit-elle. Son récit et ses revendications ressemblent à ceux
de beaucoup d’autres Somaliens qui ont quitté leur pays par peur de
la guerre, mais aussi pour des raisons économiques.

Rashid,
un de ses voisins de quartier à Mogadiscio, ne veut
plus retourner dans son pays. «Tout le monde est armé, c’est
la guerre depuis quinze ans, assène le docker, qui se souvient du climat
avant l’arrivée des islamistes. Je devais cacher mon argent sous mes
chaussures pour ne pas me le faire voler en rentrant chez moi. Je portais
les vêtements les plus sales pour ne pas me faire attaquer par les miliciens.»
Il met le doigt sous son oeil droit, dont la paupière inférieure
a disparu : «Un jour, ils m’ont collé une arme à feu encore
brûlante sur le visage pour me prendre ce que j’avais sur moi.»

La Somalie
des seigneurs de guerre n’était pas plus enviable que celle qu’il a
fuie avec l’arrivée des islamistes. Pourquoi quitter son pays maintenant
? Rashid finit par lâcher : «Un soir, les islamistes sont venus
me trouver. Ils voulaient que je parte faire le jihad, me battre contre les
milices du gouvernement de transition et les Ethiopiens. Mais d’abord il fallait
suivre un entraînement militaire. Ils m’ont rasé la tête.
J’ai pu m’échapper à temps.»

Inondations.
Les témoignages plus ou moins stéréotypés ne facilitent
pas la tâche des agents du HCR chargés de les recueillir et de
déterminer leur statut de réfugié. Les inondations qui
ont affecté plus d’un million de personnes en Somalie (champs détruits,
bétail tué, maisons emportées) incitent de nouvelles
personnes à rejoindre un camp de réfugiés, observent-ils.

Les routes
coupées ont rendu impossible les déplacements et le commerce
vers les villes kenyanes les plus proches, comme Garissa, située à
80 kilomètres. La plupart des réfugiés, qui ont pris
l’habitude d’échanger des rations de base contre des légumes
ou d’autres denrées, dépendent désormais de l’aide humanitaire.
A Dadaab, près de 100 000 réfugiés sur les 160 000 présents
ont perdu leur abri et été déplacés sur des hauteurs.
«Nous sommes confrontés à une conjonction de catastrophes,
estime Jeff Wordley, le coordinateur des urgences du HCR. Les risques de guerre
en Somalie combinés aux terribles inondations rendent la situation
très préoccupante.

Si les
pluies continuent, nous n’aurons plus de stocks de gazole dans quinze jours
et plus de stocks de nourriture dans un mois.»

Récemment,
le chef du conseil suprême des Tribunaux islamiques, le cheikh Aweys,
a ravivé le rêve d’une Grande Somalie incluant le nord-est du
Kenya et l’ouest de l’Ethiopie. Une idée qui durant les années
70 avait conduit à un conflit entre la Somalie et l’Ethiopie. Le Premier
ministre éthiopien, Meles Zenawi, a aussitôt répliqué
que son pays était prêt à la guerre. Ces déclarations
inquiètent les autorités kenyanes, alliées des Américains
dans la lutte contre le terrorisme depuis 2001.

Certains
responsables musulmans à Nairobi ont accusé le régime
de dissimuler des opérations de troupes américaines en appui
aux Ethiopiens afin de combattre les Tribunaux islamiques. Selon eux, les
Américains (qui accusent les Tribunaux d’abriter des responsables d’Al-Qaeda,
auteurs des attentats contre les ambassades américaines de Mombasa
et Dar es-Salaam en 1998) se prépareraient à attaquer la Somalie
avec les troupes éthiopiennes, déjà déployées
au-delà de la frontière. Elles atteindraient 8 000 hommes, selon
un rapport confidentiel de l’ONU. Allégations aussitôt démenties
par le gouvernement kenyan, qui a réaffirmé son voeu de rester
neutre dans le conflit.

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