18/03/07 (B387-A) Le Figaro (article paru le 13 mars) Malgré l’intervention militaire éthiopienne, la Somalie risque une rechute islamiste.

Malgré l’intervention
militaire éthiopienne, la Somalie risque une rechute islamiste La TVA
sociale est-elle une panacée ? 100 milliards… Et pourtant, il monte…
De l’utilité des minikrachs pour éviter les vraies dépressions
Les femmes, du boudoir au pouvoir Afghanistan : pour bloquer l’assaut des
talibans, l’Otan ne peut pas compter sur le Pakistan Écouter la France
qui gronde L’avenir des retraites sur le fil du rasoir Retour | Rubrique Débats
& OpinionsL’analyse de Tanguy Berthemet, reporter au service étranger
du Figaro.

Il n’y a pas de paix en Somalie. La fiction selon laquelle ce pays, plongé
dans l’anarchie depuis quinze ans, a renoué avec une certaine normalité
a volé en éclats. L’accueil, lundi, à coups d’obus de
mortier sur l’aéroport de Mogadiscio, du premier contingent de la force
de paix de l’Union africaine censée apporter la concorde dans le pays,
et l’embuscade tendue vendredi aux soldats ougandais, n’a fait que le démontrer.
Nul ne contrôle plus la capitale, une vaste cité presque totalement
en ruine, truffée d’armes de tous calibres, de munitions et de miliciens.
L’effondrement spectaculaire du régime des Tribunaux islamiques, balayé
en quelques jours à la fin du mois de décembre 2006 par les
forces du Gouvernement fédéral de transition (GFT) soutenu par
l’armée éthiopienne et la diplomatie américaine, n’a
pas vraiment changé la donne. Pour avoir fait mine de l’oublier, le
GFT se trouve dans une situation très délicate.

Trois mois après sa « victoire », le GFT, une coalition
hétéroclite d’anciens chefs de guerre mis en place sous la houlette
des Nations unies en octobre 2004, n’a su ni s’imposer ni même combler
le vide de pouvoir. Largement associé au clan des Darod par une ville
dominée traditionnellement par le clan Hawiyé, le gouvernement
souffrait dès le départ d’une impopularité aggravée
par son arrivée dans le sillage des blindés de l’ennemi héréditaire
éthiopien.

Pour autant, Mogadiscio n’a pas renoué avec le chaos des années
1990 et les « Warlords », qui y ré­gnaient alors, n’ont
pas pu se tailler de nouveaux fiefs. Plus qu’un retour des anciens chefs miliciens,
ce qui menace aujourd’hui le GFT, c’est une véritable insurrection
nationaliste dont les mots d’ordre feraient plus vibrer la corde patriotique
que les fibres religieuses ou claniques.

Les affrontements armés et les morts civils, une cinquantaine pour
le mois de février, sont à nouveau le quotidien de la ville.
D’abord discrètes et nocturnes, les opérations de ceux qu’on
appelle de plus en plus souvent les « insurgés » se sont
faites plus ouvertement. Désormais, les soldats du GFT et les troupes
éthiopiennes subissent des attaques frontales et on signale des vagues
d’assassinats ciblés visant des hommes d’affaires voire des proches
du GFT, comme le beau-frère du premier ministre Ali Mohammed Gedi,
tué fin février.

La violence va crescendo.

Pris séparément, ces événements n’ont pas été
suffisants pour chasser le gouvernement ou forcer le retrait de ses alliés
éthiopiens. Mais pris ensemble, ils gênent considérablement
les nouvelles autorités, bloquant les patrouilles militaires, les forçant
à adopter une posture défensive.

Ali Mohammed Gedi le nie.

Il accuse toujours les « résidus » des ex-Tribunaux «
liés à des terroristes internationaux » d’être à
l’origine de ces « attentats », de mener un combat d’arrière-garde
pour restaurer leur pouvoir. Il leur prédit une défaite rapide.

Un pronostic optimiste.

Les miliciens islamistes organisent sans doute la plupart des attaques. Ils
en ont les moyens. Le potentiel militaire des Tribunaux a été
largement épargné par la cinglante défaite de décembre.
D’une part, parce que les meilleurs hommes n’ont pas été envoyés
au front. Restés à Mogadiscio, ils se sont à nouveau
fondus dans la population où ils vivent sous la protection de leur
famille et de leur clan. D’autre part, les cadres ont eux aussi échappé
à la déroute. Lors de l’offensive du GFT, quelque 300 des plus
hauts res­ponsables étaient en pèlerinage à La Mecque.
Ils sont aujourd’hui de retour. Mais ces « barbus » ne sont pas
isolés. Ils ont été rejoints par d’anciens chefs de guerre,
ou des responsables de sous-clans, furieux de leur marginalisation au sein
du GFT.

Ce front commun qui se dessine s’attire des soutiens parmi les petites gens.
La reprise des violences est, paradoxalement, mise au débit du gouvernement.
En compa­raison, le bref épisode de calme apporté par les
islamiques, qui à la suite de leur prise du pouvoir en juin 2006 avaient
réussi à faire taire les kalachnikovs, à rouvrir le port
et l’aéroport puis à restaurer la sécurité, apparaît
comme un temps béni. Quant à la présence des Éthiopiens,
une armée d’occupation, elle est mal supportée.

Pour se sortir de cet engrenage, le président du GFT n’a pas beaucoup
d’options. Ses alliés lui font plus au moins défaut. Sans surprise,
l’Éthiopie a déjà fait savoir qu’elle ne s’engagerait
pas davantage. Son intervention militaire, en décembre, visait à
renverser le pouvoir islamiste, accusé de soutenir les rébellions
des minorités somalis sur le territoire éthiopien et soupçonné
d’entretenir de bonnes relations avec l’Érythrée, un pays avec
lequel l’Éthiopie est en guerre larvée. Cette mission très
précise étant accomplie, Addis-Abeba ne verrait probablement
pas d’un mauvais oeil le maintien de la Somalie dans un certain état
de faiblesse. Le soutien américain se fait également moins franc.

Reste la mission des Casques blancs. Mais la Force de paix africaine en Somalie
(Amisom), qui a commencé son déploiement, souffre déjà
de sérieux handicaps. Sur les 8 000 hommes qu’elle est censée
compter à terme, seuls 4 000 sont disponibles. Les autres restent à
trouver. Elle doit aussi faire à face à de sérieux problèmes
financiers. « On imagine mal comment ce dispositif militaire pourrait
s’imposer par la force quand on connaît le fiasco qu’ont connu les opérations
menées par l’ONU et les Américains en Somalie au début
des années 1990 », souligne un bon connaisseur de la région.
Comme s’il avait pris conscience de ses faiblesses, Le GFT a annoncé
la semaine dernière la tenue d’une conférence de ré­conciliation.
Elle doit réunir 3 000 membres à la mi-avril à Mogadiscio.

Une ouverture qui arrive peut-être trop tard.