01/01/07 (B376) Libération : Le gouvernement somalien retrouve Mogadiscio. Les pillages ont fait place à la liesse, mais aussi aux premières manifestations antiéthiopiennes. (Info lectrice)

Par
Christophe AYAD
Mogadiscio envoyé spécial

Finalement, les nouveaux maîtres de Mogadiscio
sont arrivés par le sud.

Vendredi
après-midi, un cortège d’une trentaine de véhicules du
gouvernement fédéral de transition (GFT), dont les troupes ont
défait les islamistes, avec l’aide déterminante de l’allié
éthiopien, a remonté l’avenue principale de la capitale somalienne,
pénétré dans l’aéroport, remonté la piste
gardée par des tanks éthiopiens, puis rejoint le port.

Le Premier
ministre, Ali Gedi, qui n’avait plus mis les pieds dans la capitale depuis
treize mois, savoure l’instant.

Son ministre
de l’Intérieur et vice-Premier ministre, Hussein Aïdid, costume
noir trop large à fines rayures, déclare : «C’est un jour
historique. Nous sommes de retour dans notre capitale. Nous en avons chassé
ceux qui ont opprimé la population pendant six mois. Ce pouvoir démoniaque
[les Tribunaux islamiques, ndlr] pillait nos ressources pour les mettre au
service du terrorisme.» Dans les années 90, son défunt
père, Mohamed Farah Aïdid, était un chef de guerre redouté
et la bête noire des Américains…

Ethiopiens
en retrait.

Le
cortège repart dans le vieux Mogadiscio réduit en ruines. Après
avoir passé l’ancienne ligne verte qui sépare le nord et le
sud de la capitale, les timides applaudissements virent à la liesse.
Les garçons dansent, les filles chantent, on brandit des palmes, des
fleurs. Ali Gedi est chez lui : son clan, les Abgal, contrôle le nord
de la ville.

Pour sa
première conférence de presse, le Premier ministre, entouré
de vieux généraux galonnés et de femmes bien mises, s’installe
dans une luxueuse villa. Il proclame : «Maintenant que les terroristes
sont partis, vous pouvez constater que la population réclame le gouvernement.
Le reste du gouvernement et le président Abdallah Yusuf viendront s’installer
dans la capitale quand elle aura été "nettoyée".
Notre première priorité est de désarmer les milices.»
Il espère que les gens rapporteront leur arme «volontairement».
Quant aux troupes éthiopiennes, «elles vont rester jusqu’à
ce que la sécurité soit assurée». Selon lui, un
millier d’extrémistes ont fui vers le sud du pays.

Les troupes
gouvernementales et l’armée éthiopienne étaient entrées
dans Mogadiscio dès jeudi soir. Vendredi matin, des dizaines de camions
Oural et de tanks T62 de l’armée éthiopienne étaient
garés le long de l’avenue Sei-Piano. A l’avant-garde, des pick-up remplis
de soldats du GFT : leurs uniformes vert olive et leurs kalachnikovs fatiguées
jurent avec les tenues «pépite de chocolat» et l’armement
fourni des Ethiopiens. Une foule curieuse et bienveillante est venue examiner
les vainqueurs.

Les hommes
se tiennent par le petit doigt, les femmes ont ressorti des tenues chatoyantes.
On rigole, on s’exclame lorsqu’on retrouve un proche. Le colonel Ibrahim Abdi
Adan, qui dirige une unité loyaliste, n’avait pas remis les pieds à
Mogadiscio depuis onze mois. Il n’a pas encore eu le temps de rendre visite
à sa femme et ses enfants. Les Ethiopiens, muets, se tiennent en retrait.
La foule les dévisage avec circonspection.

Mohamed
Hassan, un chauffeur routier, se réjouit : «C’est un grand jour.
La guerre est finie.» Il n’a rien contre les Ethiopiens, «tant
qu’ils ne se mêlent pas de notre religion». D’autres, minoritaires
pour l’instant, sont plus critiques. Fatouma Haji, une vendeuse de légumes
: «Seul Dieu nous donnera la paix. Tout ce que les Ethiopiens vont amener,
c’est le sida. Où sont passés nos hommes ?» Un badaud
l’interrompt : «Nos hommes ? Ils ont détruit le pays. Nous sommes
dans le coma. Nous avons besoin d’un gouvernement.»

Qat
et musique.

L’anarchie
et les pillages de la veille ont cédé la place à une
joie tranquille mais fragile. Le qat, interdit sous les islamistes, a déjà
réapparu sur les étals des marchés. Hassan, un garde
de sécurité, mâchonne avec ravissement sa demi-botte payée
au prix prohibitif de 12 dollars : «Je revis !» On entend à
nouveau de la musique chez les marchands de jus de fruit. D’anciens cadres
islamistes ont rasé leur barbe.

Les milices
de gangsters, qui avaient commencé à écumer la ville
jeudi, ont quasi disparu. Peu à peu, des détachements mixtes
somalo-éthiopiens investissent la ville. L’armée éthiopienne
a pris ses quartiers dans l’ancienne ambassade américaine. Abdulaye
Ahmed, un soldat somalien à la retraite, se souvient : «En 1992,
nous avions accueilli l’armée américaine avec des fleurs.

Dix mois
plus tard, 18 marines étaient tués en une seule journée
dans les ruelles de Mogadiscio.» Vendredi après-midi, devant
l’ancienne usine de spaghettis, un cortège conséquent de 2 500
manifestants a brûlé des pneus, jeté des pierres vers
les soldats éthiopiens aux cris d’ «infidèles dehors !».
Ces derniers n’ont pas répliqué.


Libération

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