04/05/07 (B393-B) AFRIK.COM « Cellule Afrique » de l’Elysée : Circulez, y’a rien à voir !
par
Saïd Aït-Hatrit
Une perquisition a été
refusée à deux juges dans le cadre de l’affaire Borrel
L’Etat français semble toujours peu enclin à collaborer
à l’élucidation de l’affaire Borrel. Deux juges
d’instruction se sont vus refuser l’entrée de l’Elysée,
mercredi, dont ils souhaitaient perquisitionner la « cellule Afrique
». Le palais présidentiel a brandi l’article 67 de la Constitution
qui rend le président de la République intouchable durant son
mandat.
Les juges d’instruction qui souhaitaient perquisitionner la «
cellule Afrique » de l’Elysée, mercredi, dans le cadre
d’un dossier périphérique à l’affaire Borrel,
se sont vu opposer une fin de non recevoir ferme. Le palais présidentiel
a d’abord argué de la nature militaire de son enceinte, nécessitant
de la part des juges le déclenchement d’une procédure
pénale longue pour y accéder, avant de brandir l’article
67 de la Constitution.
Voté en février dernier par le Parlement, cet article prévoit
que « le président de la République n’est pas responsable
des actes accomplis en cette qualité. Il ne peut, durant son mandat
et devant aucune juridiction (…) être requis de témoigner non
plus que de faire l’objet d’une action, d’un acte d’information,
d’instruction ou de poursuite ».
Les deux juges n’ont pas fait de déclaration. Mais Me Olivier
Morice, l’avocat de Mme Borrel, la veuve du juge retrouvé mort
en 1995, à Djibouti, dans des circonstances non élucidées,
a dénoncé « une entrave inadmissible à la justice
». Le Syndicat de la magistrature (de gauche) et l’Union syndicale
des magistrats (majoritaire) ont eux aussi dénoncé l’«
obstruction » à l’action judiciaire ainsi faite.
Les deux organisations soulignent également l’interprétation
erronée de l’article 67 qui protégerait la personne du
président mais pas ses services, visés par les juges.
Au contraire, d’autres juristes constitutionnalistes cités par
Le Monde se prononcent pour une « interprétation extensive »
de l’article de loi qui inclurait les collaborateurs et les locaux du
chef de l’Etat.
Les Affaires étrangères, la Justice
et la « cellule Afrique » en cause
Les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia avaient déjà
perquisitionné le ministère de la Justice et celui des Affaires
étrangères, les 18 et 19 avril dernier, dans le cadre de cette
affaire où elles enquêtent sur les conditions de rédaction
d’un communiqué du Quai d’Orsay publié le 29 janvier
2005. Celui-ci annonçait la transmission à la justice djiboutienne
du dossier de l’affaire Borrel, où figure l’identité
de témoins qui mettent en cause Ismaël Omar Guelleh, le président
de cet ancien territoire français. En réponse, Elisabeth Borrel
avait déposé plainte pour « publication de commentaires
en vue d’influencer une décision judiciaire ».
Elles avaient dû faire sans le soutien de la gendarmerie, selon
laquelle « ce type d’intervention prendrait nécessairement
un sens politique, médiatiquement exploité » dans le contexte
des élections présidentielles. Au contraire, les juges ainsi
que le syndicat de la magistrature soulignent la nécessité de
perquisitionner la « cellule Afrique » avant la fin du processus
électoral. Elles craignent que la valse des ministères accompagnée
de destruction d’archives ne fassent disparaître les preuves éventuelles.
« Raison d’Etat,
quand tu nous tiens »
Ce n’est
pas la première fois que l’Etat français met des bâtons
dans les roues de la justice dans cette affaire. La dernière
remonte au sommet Afrique-France de février dernier, à Nice,
où le président de Djibouti était convié. Sophie
Clément, la juge d’instruction chargée du dossier, avait
alors convoqué Ismaël Omar Guelleh pour l’entendre en qualité
de témoin.
Mais le ministère
des Affaires étrangère avait indiqué via un communiqué,
avant la réponse de l’intéressé, que l’immunité
diplomatique empêche un juge d’instruction d’auditionner
un chef d’Etat étranger. Avec près de 2 800 hommes, la
France entretient sa principale base militaire extérieur à Djibouti.
Un carrefour stratégique de plus en plus couru dans le Proche-Orient,
notamment par les Etats-Unis, qui y ont installé 1 500 marines en 2001.
Dans
un communiqué titré « raison d’Etat, quand tu nous
tiens », le Syndicat de la magistrature s’était indigné
« du double langage permanent des autorités françaises,
tantôt faussement bienveillantes vis-à-vis du combat pour la
vérité mené sans relâche par Elisabeth Borrel,
tantôt – et le plus souvent – impitoyable vis-à-vis de l’enquête
(…)
Aussi, le Syndicat de la magistrature attend-il du Président de la
République française, (actuel et futur) un engagement fort pour
que la justice ne soit plus l’objet d’obstacles incessants dans
cette affaire ». Raté pour l’actuel.