24/10/07 (B418-B)Somalie : un désastre humanitaire s’annonce pendant que le gouvernement prend des mesures autoritaires contre l’insurrection

Par Brian Smith

D’après Elman Human Rights (une ONG locale), les troupes somaliennes et éthiopiennes ont ordonné l’évacuation de milliers d’habitants de la capitale somalienne pour pouvoir mener des fouilles à la recherche d’armes et d’insurgés. Ces expulsions sont les premières à être signalées depuis avril, où des centaines de gens étaient morts durant de lourds combats à Mogadiscio.

Le gouvernement fédéral de transition (GFT) a déclenché la semaine dernière une opération de grande envergure pour écraser l’insurrection de type irakien contre le GFT et ses soutiens éthiopiens, qui a tué des milliers de personnes cette année.

Le GFT, une création du Conseil de sécurité des Nations unies, fut établi à Mogadiscio en décembre, suite à l’invasion de la Somalie par l’Éthiopie, sous la direction des États-Unis. Une large portion du pays, dont la capitale, était alors aux mains de l’Union des tribunaux islamiques. Une insurrection violente s’est développée et s’amplifie depuis l’installation du GFT, qui est à présent confiné dans une poignée d’immeubles lourdement fortifiés à Mogadiscio. La ville est devenue, comme Bagdad, un imbroglio d’attaques suicides, de routes minées et d’assassinats.

Selon Jennifer Pagonis, du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), « Mogadiscio est maintenant divisée en deux parties ; le nord est progressivement abandonné par les résidents, qui fuient les combats entre les insurgés et les forces du GFT soutenues par les Éthiopiens, tandis que le sud de la ville est calme. »

Le marché de Bakara, autrefois l’un des plus grands d’Afrique orientale, fonctionne à peine.

Selon Pagonis, « Les gens ont peur de s’approcher du marché, et seuls les plus désespérés y risquent encore leur vie pour vendre quelques légumes, car ils n’ont pas d’autre moyen de nourrir leurs enfants. » Des marchés plus petits ont ouvert à Mogadiscio Sud, mais les résidents craignent que les combats n’y viennent un jour ou l’autre.

Dans une tentative de maintenir la sécurité et la stabilité, les autorités ont pour projet d’établir plus de 50 bases sous la direction des forces du GFT à Mogadiscio, et de diviser la ville en quatre zones de sécurité, avec des soldats stationnés à chaque point de passage.

Les forces du GFT ont aussi tenté de faire taire les médias : l’immeuble de Radio Shabelle a été visé par des tirs d’artillerie la semaine dernière, les forçant à cesser d’émettre. Les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme vivent dans un climat de peur et d’indignation, avec sept journalistes tués depuis janvier et des dizaines d’autres menacés ou séquestrés.

Les violences à Mogadiscio ont poussé des centaines de milliers de civils à quitter la ville cette année, les forçant à vivre dans des camps sordides à la périphérie de la capitale, où ils n’ont qu’un accès limité à l’eau et à la nourriture, et manquent d’abris, d’équipements médicaux et d’assainissement.

Il y a plus de 700 000 personnes déplacées à travers la Somalie. Les 22 camps chargés de les accueillir se débrouillent tant bien que mal avec les nouveaux arrivants. Le programme alimentaire mondial (PAM) nourrit actuellement 1,2 million de personnes dans le pays, soit plus de 15 pour cent de la population.

Le gouvernement a affirmé en mai que les insurgés avaient été débusqués après trois mois de combats qui avaient déplacé près de 400 000 civils. Cependant, les violences continuelles ont provoqué une seconde vague de combats et d’émigrations en juin et une troisième le mois dernier.

Près de 65 000 personnes ont fui Mogadiscio depuis le début du mois de juin, dont 11 000 en septembre. Le HCR signale qu’à Afgooye, à 30 kilomètres à l’ouest de Mogadiscio, il a commencé à distribuer des secours à 24 000 personnes, dont beaucoup fuyaient la récente montée de violences.

De même, Jowhar, à 80 kilomètres au nord, qui était le grenier à blé de la région jusqu’à ce qu’il soit frappé par la sécheresse puis des inondations, a des difficultés à faire face aux milliers des réfugiés fuyant la capitale.

« Des milliers de gens vont droit à la crise, a dit Peter Goossens, le directeur du PAM en Somalie. N’importe quelle petite difficulté supplémentaire, n’importe quelle petite inondation ou sécheresse les y fera basculer. »

Le HCR révèle qu’en septembre, près de deux bateaux par jour sont arrivés sur les côtes yéménites en provenance de Somalie, amenant quelque 4741 personnes, surtout des Somaliens et des Éthiopiens fuyant les conflits et la sécheresse. Cela représente un accroissement de 70 pour cent par rapport à la même période de l’année précédente. Pratiquement 14 000 personnes ont fait la traversée périlleuse du golfe jusqu’au Yémen cette année. L’exode s’est modéré pendant l’été à cause de la mer agitée, mais a repris au début de septembre.

Les signes d’une famine à venir en Somalie sont clairs : les récoltes de céréales sont les plus mauvaises depuis 13 ans ; l’inflation galope, les prix des produits de base ont doublé ou même triplé ces derniers mois ; les taux de malnutrition augmentent nettement. Un reportage de la chaîne anglaise Channel 4 News a montré des enfants au ventre enflé et aux jambes décharnées dans des camps à la périphérie de la ville.

Des centaines de délégués, représentant un mélange de milices claniques et islamistes, d’anciens parlementaires, et d’autres membres de la diaspora somalienne, se sont rencontrés à Asmara, en Érythrée, le mois dernier pour former l’Alliance pour la re-libération de la Somalie. Leur ressentiment contre l’Éthiopie est la force qui les anime.

Le porte-parole de l’Alliance, Zaccaria Mahmud Abdi, a expliqué que leurs forces visent les troupes éthiopiennes, qui sont une armée d’occupation protégeant un gouvernement illégitime : « Nous attaquons l’occupation éthiopienne à Mogadiscio, a dit Abdi. Tant qu’il y aura un soldat éthiopien quelque part sur le sol de la Somalie, nous les attaquerons jusqu’à ce que nous ayons libéré notre pays de leur occupation. »

Une conférence de plusieurs millions de dollars, soutenue par le GFT, a été également organisée le mois dernier pour réconcilier les clans. Elle a été suivie du déplacement de plusieurs patriarches en Arabie Saoudite pour signer un accord solennel. Pourtant, la myriade de clans somaliens ne sont toujours pas réconciliés, et même le GFT est déchiré par des divisions.

Le premier ministre Ali Mohammed Gedi et le président Abdullahi Youssouf Ahmed ont un contentieux ancien et sont actuellement en désaccord sur le point de savoir si certains alliés de Gedi devraient répondre d’accusations de corruption.

Le procureur général Abdullahi Dahir Barre, un allié de Youssouf, a ordonné l’arrestation du ministre de la Justice Youssouf Ali Haroun, un allié de Gedi, en l’accusant d’avoir volé plusieurs centaines de milliers de dollars. La réaction de Gedi a été de renvoyer Barre.

Les deux chefs appartiennent à des clans rivaux et se sont déjà opposés à propos du contrôle de l’aide étrangère et des accords commerciaux, et de contrats potentiellement lucratifs portant sur la prospection pétrolière.

Youssouf était auparavant le chef du territoire à moitié autonome du Pountland dans le nord. Il l’a quitté pour devenir Président de la Somalie en emmenant ses troupes, ses véhicules, ses armes et ses munitions. Les droits de prospection pétrolière au Pountland ont été vendus plusieurs fois, mais Gedi a refusé de les approuver. Il aurait également été furieux que Youssouf ait signé des accords pétroliers, dont un avec une compagnie chinoise.

Le conflit permanent entre les deux chefs, et la descente du pays dans l’anarchie causée par l’invasion américano-éthiopienne, sont des facteurs expliquant la division du pays, en particulier les récents combats entre le Pountland et son voisin du Somaliland qui est virtuellement indépendant du reste du pays depuis 16 ans.

Le point de mire des combats régionaux est la région contestée du Sool, essentiellement divisée entre des sous-clans qui soutiennent soit le Pountland, soit le Somaliland, bien que certains d’entre eux veuillent l’autonomie pour le Sool lui-même. Selon Hadji Mohamed Jamal, un résident de Las Anod, capitale du Sool, « Il y a une concentration croissante d’armes et de troupes dans la région, avec des livraisons quotidiennes par voie de terre. »

Le conflit a été aggravé par la sécession de la plus grande partie de la région du Sanaag d’avec le Pountland, pour former une nouvelle entité souveraine au nord, qui s’est renommée le Makhir. Les tensions entre le Makhir et le Pountland sont élevées.

Insensible aux forces centrifuges en jeu et à la misère humaine qu’elle a causée, l’administration américaine a l’intention de continuer à soutenir le GFT jusqu’aux élections prévues en 2009.

L’ONG Human Rights Watch (HRW) basée à Washington a récemment présenté à la commission des Affaires étrangères du Congrès américain un rapport intitulé « The human rights and humanitarian situation in the Horn of Africa » (Les droits de l’homme et la situation humanitaire dans la Corne de l’Afrique).

Ce rapport condamne les États-Unis en raison de leur soutien envers l’Éthiopie et particulièrement dans son invasion de la Somalie, et plus largement pour toute leur politique dans la région.

Tout en notant qu’« il n’y a aucun protagoniste qui ait les mains propres » en Somalie et dans l’Ogaden (la région de l’Éthiopie peuplée de Somalis), le HRW explique qu’il s’est concentré sur « la conduite de l’armée éthiopienne », essentiellement « parce que l’Éthiopie est un allié et un partenaire primordial des États-Unis dans la Corne de l’Afrique. »

Les troupes éthiopiennes qui soutiennent le GFT ont « violé les lois de la guerre en bombardant abondamment et sans discrimination les zones fortement peuplées de Mogadiscio à la roquette, au mortier et avec de l’artillerie. » Elles sont accusées d’avoir volontairement visé les hôpitaux.

La conduite de l’armée éthiopienne dans l’Ogaden est aussi condamnée.

Ses crimes incluent « des civils visés intentionnellement ; des villages réduits en cendre dans le cadre d’une campagne de châtiments collectifs ; des exécutions publiques pour terrifier les villageois ; l’utilisation généralisée de sévices sexuels comme moyens de guerre ; des milliers d’arrestations arbitraires ainsi que la torture, répandue et parfois mortelle, et des passages à tabac dans les centres de détention militaires ; un blocus du commerce et de l’aide humanitaire de toute la zone de conflit ; et des centaines de milliers de personnes arrachées à leurs foyers et réduites à la faim et la malnutrition. »

Le HRW indique que les États-Unis « sont considérés dans la région comme les principaux soutiens du gouvernement éthiopien et implicitement – sinon directement – comme responsables de la conduite du gouvernement éthiopien.

Donc, le soutien américain aux outrageuses actions de maintien de l’ordre éthiopiennes dans la Corne de l’Afrique risque de rendre les États-Unis complices des crimes de guerre ininterrompus du gouvernement éthiopien. »

Le HRW avertit également l’administration américaine que sa politique « va entraîner une montagne de morts civils et une litanie d’abus. Cette politique risque de précipiter en Somalie le même genre de violation désastreuse des droits humains que celui décrié à juste titre au Darfour. » Cela pourrait aussi « participer à la radicalisation de la population musulmane de la région, dense et jeune. » Le HRW rappelle que, contrairement au gouvernement soudanais au Darfour, l’Éthiopie est « un allié clé des États‑Unis et le bénéficiaire du soutien militaire, politique et financier apparemment inconditionnel des États-Unis.