01/04/08 (B441) SURVIE / Billet d’Afrique N° 168 d’Avril 2008 – Djibouti – Affaire Borrel : une première et une avancée considérable (Sous la plume de Jean-Loup Schaal)

Deux hauts
responsables
djiboutiens, Djama
Souleiman Ali et Hassan
Saïd ont été condamnés le
27 mars à Versailles à des
peines de prison ferme pour
avoir fait pression sur deux
témoins dans l’enquête sur
l’assassinat du juge Borrel.

Le premier, Djama Souleiman Ali est
condamné à dix-huit mois. Actuel
procureur général de la république
de Djibouti, il a, selon le jugement, tenté
de suborner à plusieurs reprises, Mohamed
Saleh Alhoumekani, ancien officier de la
gendarmerie et responsable de la sécurité
du palais présidentiel devenu depuis citoyen
belge. Son objectif était d’obtenir d’Alhoumekani
qu’il se rétracte, car ce témoin est
celui qui a fait basculer le dossier judiciaire
en janvier 2000, en mettant en cause le président
djiboutien, un homme d’affaires corse et
deux autres personnages condamnés à l’époque
pour des actes de terrorisme, Awalleh
Guelleh et Adouani (censés être en prison ce
jour-là) dans la commandite de l’assassinat
du juge Borrel.

Le second, Hassan Saïd est condamné à
douze mois. Patron du SDS (Service de documentation
et de sécurité), il avait obtenu
d’Ali Iftin, officier de gendarmerie et supérieur
de Mohamed Alhoumekani, par la
menace, une lettre destinée à décrédibiliser
son subordonné en le décrivant comme un
personnage instable et présentant des troubles
de comportement. On peut d’ailleurs
s’étonner que Djibouti ait confié la responsabilité
de la sécurité du palais présidentiel
à un être aussi fragile sur le plan psychologique
mais le régime de Guelleh s’auto-affranchit
de ce type de contradiction ….

Peine perdue, Ali Iftin fuit son pays en 2002,
se réfugie en Belgique, en devient citoyen et
déclare qu’il a été contraint de rédiger cette
lettre contre son ancien subordonné sous la
menace de représailles visant sa famille.

Dans cette fameuse lettre, apparaît l’avocat
et député socialiste Arnaud Montebourg,
accusé d’être derrière le «complot»
qui déstabilise Djibouti. À l’époque, il présidait
le groupe d’amitié franco-djiboutien
où il ne cessait de dénoncer les violations
des droits de l’homme de l’ancienne colonie.
Partie civile, Arnaud Montebourg était
présent tout au long du procès de Versailles.

Les deux condamnés, qui boycottent la justice
française depuis la plainte d’Élisabeth
Borrel en 2002, refusant de se rendre aux
convocations et sous le coup d’un mandat
d’arrêt international délivré par la justice
française, étaient défendus par Francis Szpiner.
L’ex-avocat de Jacques Chirac était
accompagné des chefs de la sécurité des
ambassades de Djibouti à Paris et à Bruxelles.

Le président djiboutien Omar Guelleh
n’a donc rien perdu des échanges de la salle
d’audience.

Cette condamnation et la reconnaissance par
le tribunal de la subornation sont des points
très importants dans l’instruction principale,
celle de l’assassinat du juge Borrel, car on
ne suborne pas des témoins s’il n’y a pas un
secret à cacher.

Des attendus très clair

Les attendus du jugement sont clairs :
«Les faits de subornation commis par Hassan
Saïd et ceux commis par Djama Souleiman
s’inscrivent dans un projet concerté
d’entrave à la justice française dans le dossier
d’information ouvert contre X du chef
d’assassinat du juge Borrel.

«Djama Souleiman et Hassa Saïd ont, de façon
constante, refusé de fournir la moindre
explication sur les faits de la prévention, se
soustrayant systématiquement aux convocations
des magistrats instructeurs, ne déférant
pas en personne pour l’audience et cherchant
à transformer la présente procédure en procès
des témoins qui, pour leur part, affirment
avoir agi en leur âme et conscience par obligation
morale à l’égard de la famille Borrel
parce que la thèse du suicide était retenue.
«La qualité de magistrat de Djama Souleiman,
formé sur les bancs de l’université de
Toulouse… exige qu’il soit fait une application
plus sévère de la loi que pour Hassan
Saïd, chef des services secrets de Djibouti…

«En effet Djama Souleiman a commis des
actes déloyaux et indignes au regard de sa
qualité de magistrat… Il a pris le parti de
provoquer l’échec d’une information judiciaire
du chef d’assassinat en faisant usage
des pouvoirs liés à ses fonctions de procureur
de la République pour exercer une pression
sur le témoin Alhoumekani en le menaçant de
représailles sur sa famille et en lui proposant
de l’argent et un poste diplomatique. Les attendus
du jugement reconnaissent également
le préjudice causé à toute les parties civiles
et en premier lieu à Élisabeth Borrel et à ses
enfants.

«Elisabeth Borrel et ses enfants sont des victimes
directs des faits de subornation qui ont
eu pour effet d’entraver le cours de la procédure
quant à l’assassinat de leur époux et père.

«Mohamed Saleh Alhoumekani et Ali Abdillahi
Iftin ont été les premières victimes.

Le premier justifie d’un préjudice moral
lié aux menaces, pressions constantes et
au bannissement d’une partie de sa famille,
ceci suite aux mandats d’arrêt émis.
«Me Arnaud Montebourg justifie d’un préjudice
personnel et direct pour avoir été mis
en cause délibérément par des accusations
mensongères de nature à porter atteinte à
son honorabilité et à son crédit moral.»
C’est une avancée considérable dans l’instruction
de l’assassinat du juge Borrel.

C’est, en effet, la première fois qu’un tribunal
français examinait en audience publique,
l’un des volets de l’affaire. Le jugement
reprend avec une grande précision
toutes les étapes de l’enquête. Il s’agit, sans
nul doute, d’une répétition du procès pour
assassinat qui devra juger les meurtriers du
juge et leurs commanditaires.

D’ailleurs l’avocat de la défense, Maître Szpiner,
semble avoir évolué, puisqu’il a plaidé
en reconnaissant que la «thèse de l’assassinat
s’est imposée» tout en rajoutant qu’il
«n’avait jamais cru à l’implication de la République
de Djibouti.»

Me Szpiner, qui a annoncé qu’il ferait appel, a
eu une drôle de formule : « C’est un jugement
marqué du sceau du corporatisme» précisant
que «jamais ses clients ne se présenteront devant
le tribunal». Une habitude en somme…
La réaction de la présidence djiboutienne ne
s’est pas attendre : elle a publié un communiqué,
accusant la justice française de racisme et
les fonctionnaires français de pédophilie.

Se dirige-t-on maintenant vers la rupture
des relations diplomatiques franco djiboutiennes,
annoncée par le président djiboutien
?

Ce ne sera pas une première pour
l’ambassadeur de France, Dominique Decherf,
qui avait déjà fermé celle au Rwanda.
Au minimum, un rappel des ambassadeurs
respectifs pour consultation n’est pas à exclure.

Jean-Loup Schaal