15/04/08 (B443) IPS (Le Cap) »La peine de mort a été utilisée comme un moyen d’intimidation »
Interview avec Léonard Vincent (RSF)
LE CAP, 14 avr (IPS) – Le journalisme est devenu de plus en plus une activité dangereuse en Ethiopie au cours des dernières années. Des mesures de répression sur les médias, dans le sillage des élections de 2005, continuent de résonner dans le pays, pendant que certains membres de la presse se sont même trouvés confrontés à la peine capitale.
En juillet 2007, les journalistes nommés Andualem Ayele Legesse, Mesfin Tesfaye Gobena, Wonakseged Zeleke Tessema et Dawit Fasil Woldeselassie ont été condamnés à mort pour des chefs d’accusation comprenant la trahison — ceci en liaison avec les troubles qui ont suivi les élections de 2005.
Bien que les quatre aient été acquittés plus tard, leurs sentences sont considérées comme ayant eu un effet quelque peu effrayant sur la liberté de la presse en Ethiopie.
Pour en savoir plus, la correspondante de IPS Miriam Mannak s’est entretenue avec Léonard Vincent, chef du bureau Afrique de Reporters sans frontières (RSF). Cette organisation de plaidoyer, basée à Paris, a aidé à négocier la libération des quatre journalistes condamnés.
IPS : La décision de prononcer des sentences de mort contre ces journalistes doit être intervenue comme un choc à RSF…
Léonard Vincent (LV) : D’une part elle l’a été, puisque c’est une affaire très sérieuse. D’autre part, nous n’avons jamais pensé que le gouvernement éthiopien l’appliquerait et tirerait sur ces journalistes. La peine de mort a été utilisée comme un moyen d’intimidation, une manière de mettre les journalistes à leur place et de s’assurer qu’ils comprennent les conséquences du fait de défier les aux autorités.
Bien que nous soyons conscients de cela et sachions que le gouvernement exagérait, nous avons traité la situation avec la plus grande urgence…
IPS : Quel effet cet événement a-t-il eu sur les médias en Ethiopie?
LV : Il a eu un grand impact. L’autocensure est monnaie courante pour les journalistes éthiopiens, spécialement pour ceux qui vivent et travaillent à Addis-Abeba, la capitale. Toute forme de critique et toute attaque contre le président ou le gouvernement peuvent entraîner des menaces téléphoniques, l’intimidation ou même l’arrestation et (une) peine de prison…
Néanmoins, deux des journalistes impliqués ont recommencé à écrire dans des journaux indépendants à Addis-Abeba, il y a deux mois. Bien sûr, les deux rédacteurs sont sous surveillance stricte et il a été très difficile d’obtenir une autorisation, mais ils se débrouillent.
IPS : Des journalistes d’Ethiopie ont-ils peur de la peine de mort?
LV : Aucune peur réelle n’existe au sein des hommes et femmes des médias quand il s’agit de la peine de mort. Ce sont des circonstances exceptionnelles qui ont entraîné les événements de 2005, et tout le monde le comprend, y compris RSF.
Il y a une peur plus grande d’être emprisonné. Les prisons d’Ethiopie ont une très mauvaise réputation : nous parlons des cellules de 120 personnes et une seule latrine, de même que des droits de visite restreints.
IPS : Y a-t-il eu de cas récents de condamnations à mort de journalistes ailleurs en Afrique?
LV : Pas à ma connaissance. Peut-être certains artistes ont-ils été condamnés à mort, mais pas des journalistes — du moins pas dans les 10 dernières années.
Il y a eu des cas d’emprisonnement à vie. Moussa Kaka, un journaliste du Niger, a été arrêté en septembre de l’année dernière pour complicité d’atteinte à la sécurité de l’Etat. Il est accusé d’être en contact avec les rebelles qui combattent dans le nord du pays. Moussa risque une peine de mort, mais il n’a pas encore été jugé. Dans la même affaire, deux journalistes français ont été arrêtés et menacés de peine de mort. Ils ont été relâchés en janvier dernier.
IPS : En général, est-il difficile aux journalistes en Afrique d’écrire sur la peine de mort?
LV : Oui, commenter des décisions de justice est difficile dans plusieurs pays. Dans certaines nations, des journalistes ne sont même pas autorisés à faire de commentaires sur le système judiciaire. Le mois dernier au Niger, le directeur de publication du journal indépendant ‘L’Eveil Plus’, Aboubacar Gourouza, a été condamné à un mois de prison pour un article dans lequel il a comparé la libération provisoire du maire de la ville de Maradi à une décision de garder le maire de Niamey (la capitale) en prison. Les deux maires avaient été accusés de fraude.
IPS : Quel type de difficultés votre organisation rencontre-t-elle quand elle essaie de mettre en lumière ces problèmes?
LV : Dans certains pays, les autorités ont plutôt des préjugés et sont sceptiques envers nous. Au Rwanda, par exemple, elles soupçonnent que RSF est financée par le gouvernement français.
D’autres pensent que nous sommes payés par les services de renseignement américains. Cela n’est évidemment pas vrai… Nous essayons d’ouvrir le débat avec les autorités et de leur parler de la liberté de la presse. Parfois cela marche, parfois cela ne marche pas. (FIN/2008)