01/03/06 (B339-B) Aveugle sur l’assassinat d’un juge français, le Sénat français se précipite au secours de Guelleh pour tenter de lui redonner une apparence présentable et fréquentable (Info lecteur)

LE SENAT FRANÇAIS FAIT LA PROMOTION DE GUELLEH ! COMMENT RENDRE UNE DICTATURE FREQUENTABLE ?

Un récent ouvrage paru aux Editions Calmann-Lévy le souligne bien : le Sénat est un anachronisme du système politique français dont l’une des spécialisés avec sa constance dans le statu quo est la pléthore des groupes d’amitié. Selon toute vraisemblance, même si Ubifrance et le Medef sont cités, c’est au Groupe d’amitié franco djiboutien qu’il faut attribuer l’initiative du colloque de jeudi 2 mars 2006, pompeusement intitulé « pour un renforcement de la présence française dans la corne de l’Afrique ».

Certes, à voir le caractère rachitique du programme, on peut supposer qu’aucun contrat du siècle n’y sera signé (lire les différentes interventions prévues sur le site www.medefinternational.fr) :

8h30-9h00 : accueil

9h00-13h15 : colloque

13h15 : déjeuner dans les salons René-Coty

Après-midi : entretiens individuels, avec Pierre Boedoz, Conseiller commercial pour la Corne de l’Afrique

Signalons également, à titre purement anecdotique, le sujet que la sous-ministre de Djibouti chargée de la coopération internationale, Mme Hawa Hamed Youssef (comme présentée) se propose de développer devant l’auguste aréopage : « Djibouti, plate-forme régionale et porte ouverte de nos entreprises dans la région ». Pour qui se souvient que Djibouti est malheureusement un cimetière de banques et d’entreprises, dont certaines ont justement préféré fuir le racket local pour s’installer chez les voisins, dont le Somaliland, le sujet peut paraître surréaliste !

Mais l’essentiel est ailleurs, à croire que l’ambiance soporifique du Palais du Luxembourg rend également ses hôtes quelque peu amnésiques. Alors, gratis pro deo, et regrettant que l’argent du contribuable français soit si mal utilisé en cette circonstance folklorique (étant entendu que ce colloque ne changera strictement rien à la réalité djiboutienne), rafraîchissons la mémoire défaillante ou sélective de ces grands décideurs.

Pour ce faire, citons sans censure de larges extraits du rapport n°200 annexé au procès verbal de la séance du 5 mars 2003 du Sénat, dont l’intégralité est disponible à l’adresse www.senat.fr/rap/r02-200/r02-200.html.

De leur visite effectuée à Djibouti en février 2003, Par MM. André DULAIT, André BOYER, Didier BOULAUD et Mmes Paulette BRISEPIERRE, Hélène LUC et M. Louis MOINARD, sénateurs de leur état ont rapporté les considérations suivantes :

« Il faut regretter que les atouts géopolitiques et économiques de Djibouti ne bénéficient guère à la population ».« Cette émergence de l’opposition (37 % des voix dans la ville de Djibouti) traduit sans doute le désarroi d’une population qui ne bénéficie d’aucune retombée des masses financières que le Gouvernement tire de l’activité portuaire et de la présence des troupes étrangères sur son sol. »

« De nombreuses aides budgétaires ont également été consenties au profit du territoire, dont 1,8 million d’euros en 2001 et 6 millions d’euros en 2002. Ce soutien constant n’a pas permis, cependant, d’enrayer l’émergence d’une crise des finances pub liques, dont la principale manifestation se traduit par un retard constant dans le versement des traitements de la fonction publique. La masse d’arriérés se monte aujourd’hui à environ cinq mois de salaire. Ce constat est préoccupant car il témoigne d’un manque de maîtrise des disponibilités financières aux mains du gouvernement djiboutien. »

« Il est à craindre que cette rente de situation dispense les autorités locales d’une réflexion, pourtant nécessaire, sur les causes du délabrement des infrastructures publiques, qui ajoutent encore au dénuement de la population, et qui s’accroît proportionnellement aux sommes dont elles sont destinataires. »

« La recherche par la France de la possibilité d’implantations alternatives pour ses forces permettrait peut-être de dissiper une certaine illusion sur le caractère totalement vital de Djibouti pour notre pays. Il conviendrait, tout au contraire, d’inverser cette croyance fallacieuse, et faire réfléchir le pouvoir en place sur l’avenir réservé à leur pays si la France s’en détournait. Cette prise de conscience n’est pas, pour l’heure, à l’ordre du jour… »

Le constat des présomptions diplomatiquement formulées est accablant : corruption, détournement des deniers publics, opacité dans la gestion des affaires, délabrement des infrastructures publiques, aucune perspective réfléchie de développement durable parce que le régime se comporte en rentier fructifiant le loyer des bases militaires au profit d’une minuscule ploutocratie: il faut être fou pour investir à Djibouti !

Il convient donc de se demander si le Sénat dispose d’informations exclusives faisant état d’un e amélioration miraculeuse de l’environnement politique et économique djiboutien, assez incitative pour que de grandes entreprises françaises viennent investir au pays du RPP et de la mauvaise gouvernance.

Pour notre part, notre propre expérience ainsi que les multiples dénonciations internationales nous inclinent à penser que les choses auraient plutôt tendance à empirer à Djibouti.

– Le marasme économique se traduit par une dégradation constante du pouvoir d’achat de la population djiboutienne, surtout depuis 2000, à tel point que même le système des Nations Unies s’inquiète officiellement de l’aggravation de la pauvreté ;

– ce marasme économique s’accompagne d’un renforcement de la répression contre les syndicalistes, créant un climat social peu propice aux investissements étrangers, à tel point que dans un récent rapport, la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) estime que « Le triste record de Djibouti en matière de respect des normes fondamentales du travail est extrêmement préoccupant ». Et d’ajouter que « Ce n’est pas en bafouant les droits fondamentaux de ses citoyens que ce pays s’affranchira de l’extrême pauvreté dans laquelle il se trouve. »

– l’opacité dans la gestion des deniers publics est remarquablement illustrée par la concession du Port à propos de laquelle aucun document n’est disponible : plus que Dubai Port Authority, c’est le chef de l’Etat qui semble en être le principal actionnaire au travers d’une société écran ou d’un homme de paille ;
– accessoirement, parce que les droits de l’homme sont rarement compatibles avec le profit capitaliste, rappelons que les exécutions extrajudiciaires sont devenues de plus en plus fréquentes : les citoyens croisent souvent la mort par balle au détour d’une manifestation pacifique ;

– mais, plus gravement, le blocage du processus démocratique se traduit par la réactivation d’un maquis dans le Nord du pays et un récent accrochage entre rebelles et forces armées a fait deux morts dans les rangs de ces dernières.

Toutes considérations qui placent, à l’heure actuelle, Djibouti parmi les pays les plus instables et où il n’est pas conseillé d’investir un seul kopeck ! Mais le véritable objectif de ce colloque n’est peut-être pas d’inciter les entreprises fr ançaises à investir à Djibouti, puisque Ismaël Omar accusé il y a déjà longtemps dans un rapport du Département d’Etat américain d’être un trafiquant d’armes et de drogue, s’y était déjà attelé sans succès pour que le miracle vienne aujourd’hui de sa sous ministresse chargée de la mendicité internationale.

En fait, les rapports franco djiboutiens ayant très mauvaise presse en France à cause d’une certaine « Affaire Borrel », il s’agirait plutôt de rendre ce despotisme plus fréquentable. Car, contrairement à ce que prétendait Roland Dumas, ministre des relations Extérieures, lorsqu’un enfant français est mort à la terrasse du Café de Paris à Djibouti, victime d’un odieux attentat de toute évidence djibouto-djiboutien (puisque Ismaël Omar a officiellement désigné l’un de ses députés comme étant le commanditaire), la F rance a la mémoire courte que lui imposent ses intérêts.

C’est la sélectivité de cette mémoire qui impose au Sénat les gesticulations du 2 mars 2006. Parions que la chaîne parlementaire n’informera pas le public français des résultats de ce colloque !