16/07/06 (B359-A) A lire sur « Billets d’Afrique et d’ailleurs » (N° 149) (lettre d’information éditée et diffusée par Survie) : « Le secret de Guelleh » sous la signature de Jean-Loup Schaal.
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Le secret de Guelleh
Un nouveau drame humanitaire se joue dans le nord de Djibouti, « en silence » sous lil « absent » coutumier des deux puissances qui sont présentes : les USA et la France.
Le 13 mai 2006, sans raison apparente et sans préavis, les forces armées djiboutiennes ont pris position dans le Nord du Pays, avec pour objectif de terroriser les populations et dinstaurer un blocus alimentaire et sanitaire.
Commandés par le Colonel Abdo Abdi Dembil, patron de la Garde présidentielle, deux mille soldats, gendarmes et policiers ont investi la région en quelques heures. Aussitôt elles ont bloqué la circulation des voitures et des camions, à partir des villes de Tadjourah et dObock vers larrière pays. Les caravanes des dromadaires qui ravitaillaient ces régions ont été réquisitionnées et les vivres ont été confisquées.
Sans que lon nen connaisse le nombre exact, au moins quarante personnes ont été arrêtées et incarcérées à Obock, avant dêtre transférées vers la capitale où elles ont été internées dans les locaux de Nagade (Ecole de Police). Selon les informations que je possède, elles ont été entassées dans des conditions particulièrement inhumaines : manque dhygiène, soupçon de torture, et il est possible que certaines y soient toujours.
Le blocus mis en place na toujours pas été levé et les populations locales souffrent dune pénurie dramatique de ravitaillement et de soins, sous lil « absent » des deux grandes nations présentes sur place : les USA et la France, qui entretiennent des bases militaires fortes de plus de trois mille personnes chacune. Pour la France, cest de loin la base la plus importante qui soit maintenue dans un pays étranger.
La France et les USA assurent un soutien sans faille au dictateur local
Sous lil sinon « complice », au minimum indifférent des deux puissances sur place, qui ne peuvent pas ignorer ce qui se passe effectivement, le Président Ismaël Omar Guelleh, « réélu » sans combat en 2005 (puisquil était seul candidat) se livre à un asservissement en règle de la population et nargue la justice française dans laffaire du meurtre du Juge Borrel. Par exemple (je me limiterai à ceux-ci, tant la liste serait longue)
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Il fait tuer et emprisonner les syndicalistes, il promulgue un nouveau code du travail qui interdit ladhésion à un syndicat…
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Il cède dans des conditions illégales, pour des durées longues (20 ans) la gestion des principaux actifs de lÉtat (Port, Aéroport, encaissement des taxes dimportation) à des sociétés étrangères dont il détient certainement des parts importantes,
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Il a dénoncé les accords judiciaires avec la France afin que ni ses proches, ni lui-même nait à répondre à la Justice française qui souhaiterait les entendre dans le cadre du meurtre du juge Bernard Borrel, survenu en octobre 1995 et dont linstruction, en dépit des obstacles soigneusement mis en place par les ministères français de la Justice et des Affaires étrangères, continue à progresser.
Toujours soutenu, sans aucune faiblesse mais de façon incompréhensible, par Jacques Chirac, Ismaël Omar Guelleh donne limpression de pouvoir tout se permettre, y compris :
- dinventer un faux cas de contamination humaine au virus de la grippe aviaire pour solliciter des subventions internationales,
- de susciter des attentats à la bombe ou à la grenade, en pleine ville, pour tenter de détourner lattention des observateurs (les derniers remontent au lundi 5 juin 2006 Grenade Avenue 13 – et le 5 juillet 2006 explosion dans le bureau de la Poste -),
- de faire arrêter, puis expulser, un représentant du Bureau international du travail (avec rang de diplomate onusien) et interdire laccès à des représentants de la FIDH et de la CISL,
- de détourner pratiquement toutes les aides internationales et daliéner les seuls biens de valeur de lÉtat, ruinant le pays et endettant sa population pour des générations..
Guelleh joue habilement sur deux tableaux, mettant Français et Américains en concurrence, lorsque cela larrange, en particulier pour renégocier les montants qui lui sont versés pour la location des bases militaires : ils ont été pratiquement quadruplés en quelques années.
À noter que la France accueille comme « stagiaire au Collège Inter-armée de la Défense », le lieutenant-Colonel Zakaria Aden Mohamed, qui a été pendant plusieurs années le responsable des tortures à la Villa Christophe, puis dans les locaux de la Gendarmerie. De plus, cest léquipe placée sous ses ordres qui a effectué les premiers constats, après le décès du Juge Bernard Borrel en octobre 1995.
Quest-ce qui pourrait justifier ce soutien franco-américain ?
La question qui se pose aux observateurs est de découvrir les raisons de ce soutien « abusif » à lun des pires régimes dictatoriaux de lAfrique, dont curieusement, la presse française ne parle que très rarement !
Côté Américain :
Il est clair que lAdministration américaine veut prendre des nouvelles positions en Afrique et quelle nest pas mécontente de concurrencer la France dans lune des places stratégiques de lAfrique de lest.
La raison officielle serait la lutte contre lun des bastions dAl Qaida en Somalie. Cela nest probablement pas faux.
Mais échaudés par leur première intervention dans ce pays, qui sétait soldée par un repli sans gloire en octobre 1993, après deux ans de cafouillage militaro-humanitaire, les Américains préfèrent agir de loin et par régimes interposés. Cest de Djibouti quils dirigent les opérations dont la plus récente et la plus catastrophique a constitué à soutenir financièrement les chefs de milice pour quils traquent les forces islamistes extrémistes. Cela sest soldé récemment par un nouveau fiasco puisque ce sont les forces islamistes qui ont gagné le combat et qui se sont emparées de la capitale avec des visées plus ou moins avouées sur lensemble du pays.
Côté Français :
Il y a dabord une présence historique qui remonte à 1859. La colonisation a pris fin le 27 juin 1977, mais un traité de garantie de la sécurité extérieure a pris le relais, permettant à la France de maintenir sa base militaire la plus importante à létranger (On a compté jusquà cinq ou six mille militaires selon les époques : Légion étrangère, Marsouins, Marine et Armée de lAir).
Mais il y a probablement autre chose !
Quels secrets peuvent bien partager les autorités djiboutiennes et françaises pour que la France ferme les yeux de façon systématique sur les dérives aggravées de ce régime ?
Est-ce, comme la suggéré Elisabeth Borrel, la veuve du Juge assassiné, le fait que Djibouti aurait pu servir de plaque tournante à la livraison de produits interdits (à des fins nucléaires) à des pays comme la Corée ou lIrak ?
Une presse très discrète qui névoque que rarement la situation dramatique des populations locales, en particulier celles du nord
Bien quelle ne soit pratiquement jamais médiatisée (à part quelques articles, dont le dernier en date a été publié par lHumanité le 1er juin sous la plume de Jean Chatain), la situation du pays est alarmante : violations des droits de lHomme, arrestations et incarcérations arbitraires, exécutions extra-judiciaires, confiscation illégale des biens privés, refus daccès aux services durgence à ceux qui ne peuvent pas payer des sommes importantes, accaparement de toutes les ressources économiques, etc.
Ce nest pas le seul pays dAfrique où lon constate malheureusement une évolution aussi catastrophique, mais il ne doit pas rester oublié de lopinion publique, car cela conforterait le régime tyrannique dans son action criminelle.
Jean-Loup Schaal,
président de lARDHD
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