09/06/2020 (Brève 1645) AFRIKARABIA / Djibouti : la détention de Fouad Youssouf ravive la contestation politique

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L’emprisonnement dans des conditions effroyables d’un pilote de l’armée de l’air, opposé au régime, a suscité une vive émotion à Djibouti. Plusieurs manifestations ont exigé sa libération dans le quartier de Balbala et à Ali Sabieh, où l’opposition dénombre 9 blessés.

Tout a commencé par une vidéo postée le 27 mars 2020 sur les réseaux sociaux. La scène se déroule dans le cockpit d’un avion. On y voit Fouad Youssouf Ali, un lieutenant de l’armée de l’air djiboutienne. Face caméra, ce militaire dénonce les persécutions morales dont il fait l’objet, la discrimination clanique et la corruption qui mine l’armée et la société djiboutienne. Il accuse également un haut gradé d’avoir détourné plus d’un milliard de francs Djibouti et vendu à son profit du matériel de l’armée de l’air djiboutienne.

L’officier décide alors de rejoindre l’Ethiopie pour y demander l’asile politique. Mais le pilote est interpellé à Addis Abeda et détenu par les services de renseignements éthiopiens. Sans nouvelle, sa famille s’inquiète de sa disparition et mandate un avocat qui va finalement retrouver Fouad Youssouf Ali à Djibouti, dans la prison de Gabode. Le militaire a en effet été extradé de force le 10 avril dans un avion de l’armée djiboutienne.

++ « Tout mon corps est en souffrance »

Début juin 2020, l’affaire Fouad Youssouf Ali rebondit une nouvelle fois sur les réseaux sociaux. Le pilote a réussi à poster une vidéo terrifiante sur ses conditions de détention à la prison de Gabode. On y voit le militaire dans sa minuscule cellule qui se limite à des latrines insalubres. « De ce trou-là sortent toutes sortes de bestioles : des cafards, des vers, des grillons et des mouches qui m’importunent toute la journée , témoigne-t-il face à la caméra d’un téléphone. C’est très dur, c’est un endroit invivable et indigne d’un être humain  ».

Dans cette cellule sans lumière, Fouad Youssouf Ali, dénonce les tortures et craint pour sa vie. « Quand vous verrez cette vidéo, on me maltraitera sûrement pour l’avoir faite alors que j’ai déjà subi toute sortes de sévices inhumains. Regardez, comment tout mon corps est en souffrance ». Visiblement, le militaire souffre d’une maladie de peau. « Je vous montre la grille et l’ouverture par lesquelles on me passe des choses… »

La détention de Fouad Youssouf Ali a suscité une vive émotion à Djibouti, au sein de l’opposition, dans la diaspora… mais aussi dans la rue. Des manifestations ont rassemblées plusieurs dizaines de personnes dans le quartier de Balbala, mais aussi dans la ville d’Ali Sabieh, où l’opposition dénombre 9 blessés ce vendredi. Les manifestants exigeaient tous la libération de Fouad Youssef Ali.

++ Une vidéo électrochoc

Pour Mahamoud Djama, le directeur de la Voix de Djibouti, un média proche de l’opposition, cette vidéo filmée en prison « a touché le coeur des Djiboutiens. La population est descendue dans la rue, le soir même de la diffusion de la vidéo ». Car si de nombreux rapports d’organisations internationales des droits de l’homme dénoncent régulièrement les conditions de détention à Djibouti, la vidéo du Lieutenant Fouad a eu l’effet d’un électrochoc.

« Beaucoup d’opposants politiques ont connu cette fameuse cellule 12, dans laquelle est enfermée Fouad Youssef, explique Mahamoud Djama, mais pour une fois, il y a des images. Personne n’imaginait ces conditions de détention. D’ailleurs le directeur de la prison de Gabode a été suspendu, sans doute davantage pour la fuite de la vidéo que pour les conditions d’incarcération ».

Cette nouvelle flambée de contestation au régime du président Ismaël Omar Guelleh éclate en pleine grogne sociale et crise du Covid-19. « La plupart des Djiboutiens sont des journaliers et le confinement les a laissé sans revenu, raconte Mahamoud Djama, sans parler des distributions de nourritures de l’Etat qui sont faites en fonction du clan ou de l’appartenance politique ». Mahamoud Djama rappelle enfin que cette poussée de fièvre à Djibouti intervient alors que l’opposition dénonce les intentions du président Ismaël Omar Guelleh de briguer un cinquième mandat en 2022.

Christophe RIGAUD – Afrikarabia