13/03/2000 – AFFAIRE BORREL:Les avocats de la partie civile demandent au Garde des Sceaux une enquête de l’Inspection Générale des Services judiciaires

OLIVIER MORICE
Avocat à la Cour
Ancien Secrétaire de la Conférence

à Madame Élisabeth GUIGOU
Garde des Sceaux Ministre de la Justice
Ministère de la Justice
13, Place Vendôme 75001 PARIS

Paris, le 13 Mars 2000

N/Réf. OM/CL
Aff: Assassinat du Juge Bernard BORREL

Madame Le Garde des Sceaux,

nous sommes contraints de vous saisir à nouveau, mon Confrère Laurent de CAUNES, Conseil des enfants de Monsieur Bernard BORREL et moi-même, A vocat de Madame Élisabeth BORREL, Magistrat actuellement en poste à TOULOUSE et veuve du Juge Bernard BORREL dont le corps a été retrouvé calciné à DJIBOUTI en Octobre 1995.
En effet, trois de vos Conseillers, à savoir Messieurs DEBACQ, POIRRET et VALEX, nous avaient reçus le 25 Janvier 2000, pour nous entendre sur les graves dysfonctionnements accompagnant le déroulement de l’information judiciaire dont sont chargés les Juges Marie-Paule MORACCHINI et Roger LE LOIRE.

Compte tenu d’éléments nouveaux qui viennent se rajouter aux anciens, nous vous demandons de bien vouloir ordonner une enquête de l’Inspection Générale des Services Judiciaires sur les conditions dans lesquelles l’information est menée.

Dès le mois de Novembre 1999, les Juges d’Instruction français ont été avisés par les autorités policières belges de l’existence d’un témoin essentiel accréditant la thèse de l’assassinat.

Les Juges d’Instruction français n’ont pas daigné recueillir les observations de ce témoin et il a fallu que le Conseil de ce dernier prenne contact avec nous pour nous alerter.

Ce n’est donc qu’à la suite d’une démarche rendue publique par les médias, du fait de la carence des Juges d’Instruction, que Monsieur ALHOUMEKANI, ancien officier de la garde présidentielle de DJIBOUTI, a été entendu dans le cadre d’une commission rogatoire internationale en Belgique par les deux Juges d’Instruction français.

A cette occasion, Madame MORACCHINI a interrogé le témoin d’une manière telle que celui-ci a protesté officiellement par l’intermédiaire de son Conseil, Me CAMBIER, quant aux pressions exercées par les Juges pour que Monsieur ALHOUMEKANI revienne sur ses déclarations. Vous trouverez d’ailleurs copie de la correspondance de Me CAMBIER à Monsieur le Procureur du Roi, qui nous semble suffisamment éloquente sur le comportement inadmissible des Juges.

Nous avons dès lors sollicité un entretien auprès de Monsieur le Procureur de la République de P ARIS, Monsieur DINTILHAC, afin de nous élever sur ces dysfonctionnements et solliciter de sa part le dessaisissement des Juges d’Instruction.
Nous avons donc rencontré Monsieur DINTILHAC et le Procureur de la République Adjoint, Monsieur DAUVEL, le 2 Février à 15 h, pour leur faire part de notre démarche.

Après un entretien d’une heure où le Procureur de la République de P ARIS nous a assurés de sa volonté pour que toute la lumière soit faite dans ce dossier et qu’une meilleure communication soit effectuée auprès de la partie civile, nous avons été sidérés de prendre connaissance, par une dépêche de l’AFP du 9 Février, d’une lettre que Monsieur Le Procureur de la République de P ARIS nous aurait adressée.

En réalité, ladite lettre fût envoyée le 14 Février au Conseil de Madame BORREL, ainsi qu’en atteste le cachet de la poste.

C’est certainement une manière toute particulière de Monsieur le Procureur, de communiquer dans une affaire que nous considérons être une affaire d’État.

L’incohérence ne s’arrêtant pas là et alors que nous avions sollicité de pouvoir participer à une nouvelle reconstitution sur les lieux, nous apprenions par le journal  » France Soir  » du Vendredi 3 Mars, le départ des Magistrats Instructeurs à DJIBOUTI, en compagnie de Monsieur le Procureur Adjoint, Monsieur DAUVEL.

Bien entendu cet article comporte une violation du secret de l’instruction par ceux qui y sont tenus (puisqu’il est fait explicitement référence au procès-verbal de synthèse et à une audition toute récente), mais surtout démontre la volonté des Magistrats de dialoguer davantage avec les médias qu’avec la partie civile, ce qui est une bien curieuse conception d’une justice sereine.

Nous avons donc demandé à l’Ambassade de DJIBOUTI de pouvoir bénéficier d’un visa pour nous rendre sur place afin de défendre les intérêts de nos clients.

Quelle ne fût pas notre surprise de constater que, dans un communiqué en date du 6 Mars 2000, l’Ambassade de la République de DJIBOUTI refusait de nous accorder un visa au motif que  » les Juges d’Instruction Français, n’ont pas invité la partie civile à la reconstitution relative à la mort du Juge BORREL « .

Fâcheuse coïncidence entre le comportement de la Justice Française et la position des autorités djiboutiennes, pour priver les parties civiles d’exercer leurs droits. ..

Pour Madame BORREL, sa stupéfaction fût encore plus grande lorsqu’elle s’aperçut que Monsieur LE LOIRE, dans l’émission  » CAPITAL  » sur M6, le Dimanche 12 Mars 2000, s’était rendu à DJIBOUTI en compagnie de différents journalistes, participer à une reconstitution que tous les téléspectateurs ont pu voir sur une chaîne publique, dans le cadre de la disparition d’un militaire français.

On accepte donc la présence de journalistes lors d’une reconstitution effectuée par le Juge LE LOIRE à DJIBOUTI, alors que dans le même temps on empêche les Avocats des parties civiles d’assister à un acte de même nature, dans une affaire particulièrement
sensible.

Tout cela est rocambolesque et indigne, sauf à considérer que la Justice devient une accumulation de bizarreries la discréditant définitivement, ce que nous ne saurions tolérer.

Du fait même de la gravité des accusations que nous portons à votre connaissance, nous vous demandons d’une part de bien vouloir nous recevoir personnellement au plus vite en compagnie de notre cliente et d’autre part de diligenter une enquête de l’Inspection Générale des Services Judiciaires.

Nous vous prions d’agréer, Madame Le Garde des Sceaux, l’assurance de notre haute considération.

Olivier Morice

Laurent de Caunes