18/06/02 LE DJIBOUTIEN EST-IL CONDAMNÉ À RESTER PASSIF ? (Par Freeman)

Parler ou se taire,
dans tous les cas on se fait écharper. Alors, autant s’exprimer.
C’est ce que j’ai choisi de faire sur des sujets (éducation, démocratie,
culture, tradition etc …) qui m’interpellent depuis un certain temps.
Nous autres les djiboutiens, on a la fâcheuse et désagréable
manie de nous emporter à la moindre contradiction. Est-ce la preuve
de notre immaturité ? Je parle bien sur de l’immaturité
en politique. Il est vrai que nous avons eu rarement l’occasion de débattre
d’un sujet ou d’une question de la première importance pour notre
pays. La démocratie n’a jamais été la tasse de thé
de nos gouvernants. A moins d’être amnésique, je ne pense
pas que Gouled ou IOG ait pris la peine de nous consulter un jour sur
une grande question nationale?

Après la parenthèse
coloniale qui s’est caractérisée par une mise sous tutelle
de notre souveraineté nationale et de nos attributs de citoyens
à part entière, nous avons connu une autre période
de confiscation de pouvoir. Cette époque post-coloniale a vu naître
un système politique autocratique dont la particularité
la plus saillante est la concentration et la confusion des pouvoirs au
main d’une seule personne. Ce système s’est perpétué
pendant un quart de siècle. Cela n’a été possible
que grâce à la conjonction de plusieurs facteurs : tribalisme,
religion omniprésente, analphabétisme de masse, sous-développement
socio-économique etc…

Notre mode d’organisation
sociale explique largement "la faillite" et les dérives
actuelles de notre société djiboutienne (échec de
la démocratie, déliquescence du corps social, corruption
généralisée, faillite sanitaire et éducationnelle
etc…). Que l’on soit originaire de la Somalie, du Yémen ou en
se referant au mode d’organisation sociale Afar, le Djiboutien ne se perçoit
qu’au travers de la tribu ou du clan auquel il se rattache. Il ne se pense
pas en tant qu’individu à part entière c’est à dire
en tant qu’entité autonome constituant un centre – autonome – de
réflexion de décision et d’action. C’est une "pièce",
partie intégrante, d’une complexe machinerie tribale qui le "dévore"
entièrement.

Vu sous ce prisme
clanico-tribal, toute décision ayant des répercussions sur
le plan social ou politique est tout d’abord analysée par rapport
au groupe de rattachement. En d’autres termes, on se pose la question
suivante: quelles sont les retombés (positifs ou négatifs)
sur mon clan ? Si, elle sont positifs, je serais tenté de soutenir
activement cette décision. Par contre, si ces retombés sont
négatives. Je m’évertuerais à tout faire pour contrer
cette décision. Je qualifierai cette attitude "d’opportunisme
clanique".

Cette opportunisme
communautaire trouve des applications diverses et variées dans
toutes les activités socio-économiques : transactions commerciales,
recrutement, mariages, marchés publics, grand projet national,
etc ….. On comprend aisément que tous les espaces de décisions,
de concertation et d’échanges soient pollués par ce réflexe
communautaire. De ce fait, toutes les décisions sont guidées
non pas par un souci d’objectivité, de rationalisme et d’efficacité,
mais par des considérations archaïques liées au clan
ou à la tribu.

Il est vrai que les
choses ne sont pas si simples que cela. J’ai un peu schématisé
pour faciliter la compréhension de ce phénomène.
Prenons l’exemple de la décision d’une nomination ministérielle
ou à un poste clé de la haute fonction publique. Le premier
commentaire que suscite cette nomination et qui vient à l’esprit
du djiboutien lambda : de quelle tribu est issue la personne nommée
à ce poste. On ne se posera nullement la question de sa compétence,
de son intégrité ou de sa moralité etc….. toute
ces questions qui peuvent sembler essentielles dans un autre contexte,
deviennent d’une futilité affligeante à Djibouti.

Quant à notre
capacité de contestation politique, elle est quasiment nulle. En
effet, nous disposons d’un patrimoine socioculturel qui n’est pas très
enclin à cultiver notre aptitude à contester, à nous
opposer en raison d’un avis différent. L’on serait tenter de croire
que notre sentiment de révolte est en grande partie inhibé.
Dire non aux anciens, aux puissants, aux plus nantis et à fortiori
à l’Etat, est souvent perçu comme une excentricité,
une manière de se démarquer et surtout la meilleure façon
pour se faire clouer au piloris.

Ce comportement trouve
souvent sa source dans nos rites, nos règles en société,
nos rapports intergénérationnels et aussi malheureusement
dans notre rapport à la religion qui nous portent plus vers la
soumission que vers la contestation. On ne sait pas dire non ou être
irrévérencieux quand une situation le recommande fortement.

La résignation
est une attitude, un état d’esprit ou une sorte de prédisposition
qui font partis intégrante de notre palette culturelle. Je ne vais
pas jusqu’à dire que nous baignons dans une culture de la soumission.

Mais il est des signes
et des situations qui ne trouvent un début d’explication qu’au
travers de ce prisme de la soumission et de cette propension à
accepter l’adversité avec fatalisme et résignation. Sinon,
comment expliquer que nos pays et certains autres beaucoup plus anciens
comme l’Egypte, la Syrie, l’Irak et j’en oublie certainement d’autres,
puissent encore se trouver sous des régimes dictatoriaux depuis
plusieurs décennies. Comment expliquer que ces pays qui disposent
d’une certaine intelligentsia, d’une tradition universitaire, d’un faible
taux d’analphabétisme puissent accepter sans sourciller toutes
les atteintes et les violations aux libertés et droits de l’homme
les plus élémentaires. Comment justifier que Moubarak se
soit présenté comme le candidat unique aux élections
présidentielles ? Idem pour Ben Ali en Tunisie.

Prenons l’exemple
de la Syrie. A la mort du Président El Assad, son fils Bahar Al
Assad a pris les rennes du pouvoir sans le moindre incident. Cette soit
disant République s’est mue sans le moindre heurt en une sorte
de monarchie où le pouvoir est dévolu selon des règles
bien établies, de père en fils. Il paraît que Moubarak,
Kadhafi, Ali Abdallâh Saleh nous préparent le même
scénario. Le Président est mort, vive son fils!

Pourtant certains
de ces pays ont fait la preuve de leur capacité à s’affirmer,
à lutter pour leur indépendance à l’époque
coloniale. C’était peut être la fibre nationale qui les avait
animé à l’époque. Après tout ce n’est peut
être qu’une question de fibre !

Nous prépare-t-on
le même schéma à Djibouti ? Hélas, il semble
bien que oui. Hier, nous avons assisté passivement à la
transition "très démocratique" entre l’oncle (Hassan
Gouled) et le neveu (Ismail Omar) et Demain ce sera peut être entre
le père, IOG, et l’un de ses fils ?

Avançons, discutons,
débattons et essayons de construire un début de démocratie
au sein de notre communauté et au sein de notre diaspora. Profitons
des festivités du 25ème anniversaire de notre indépendance
pour nous rencontrer, pour prendre des initiatives. J’ai une idée!
Et si nous créons dans chaque ville où il y a une communauté
djiboutienne importante (Ottawa, Toronto, Paris et d’autres villes …)
une structure, ne serait ce qu’informelle, pour permettre à chacun
d’entre nous de débattre, de proposer – et donc de reconstruire
à notre modeste échelle – des initiatives pour aider les
nôtres qui sont restés au pays. D’autres communautés
le font pourquoi pas nous! Chaque structure pourra s’intituler par exemple
le "MOUVEMENT DU 27 JUIN". Et pourquoi, ne pas imaginer par
la suite un "mouvement transnational du 27 juin" -une sorte
d’ONG- dont la vocation essentielle sera l’entraide avec la population
djiboutienne. Cet objectif relève du domaine du possible. Réfléchissons-y
!

C’est un test pour
nous tous. Et s’il est concluant, cela voudrait dire que tous les espoirs
sont permis pour demain.


FREEMAN
Freedjib@aol.com