10/01/04 (B229) La corruption à la sauce ioguiste (Par Mohamed Qaayad)

"Ils
sont grands parce que nous sommes à genoux ! Levons-nous ! "

Il semble bien que l’argent
permette de tout acheter, une voiture, une maison, un juge, la liberté
d’un homme.

Les valeurs morales, les
personnes ne font pas partie de la sphère des marchandises. Un bonheur
qui s’achète n’est pas un véritable bonheur.

Montaigne soulignait que
l’on était plus heureux lorsqu’on était dénué
de tout. Avant lui, nombre de penseurs, de Socrate à Epictète
en passant par le prophète Muhammed (sas), ont mis en acte ce précepte.
Vivant avec le juste nécessaire, ils ont montré que la quête
de la vérité et de la liberté n’avait que faire
de l’argent.

L’argent peut
tout acheter dès lors que l’on fait fi des notions de droit, de
justice et de morale.

Acheter ce qui peut l’être,
voilà ce qui s’appelle de la corruption.

On distingue habituellement
dans l’analyse, la corruption privée – par exemple les affaires
frauduleuses entre entreprises – et la corruption publique, qui implique
des agents de l’État.

Quant le système
de la corruption s’installe au cœur d’une économie,
il est rare que l’État ne soit pas concerné d’une
manière ou d’une autre par tout bakchich donné ou reçu.

L’idée de
corruption appartient à une pensée juridique géographiquement
et historiquement située : elle est liée en particulier au type
de domination légale et rationnelle qui a triomphé en Occident.

Il ne peut y avoir corruption
sans une idéologie de service public. Or, cette conception du monde,
fondée sur une claire distinction entre la chose ublique et l’intérêt
privé du monarque, était largement étrangère aux
sociétés africaines pré-coloniales.

La corruption, devenue
un mode de vie dans les années 1980, a des effets néfastes à
moyen terme : les effets économiques, mais les dommages les plus graves
sont peut-être moraux.

L’égalité
devant la loi n’a plus de sens ; l’opinion publique djiboutienne
ne condamne plus l’argent acquis frauduleusement, mais seulement la maladresse
de celui qui est pris la main dans le sac.

Par conséquent,
à Djibouti, la corruption illustre à mon sens les limites d’une
régulation politique axée sur la survie d’un système
de gouvernement personnel au mépris de tout impératif d’intérêt
général et de long terme.

Cela montre combien "la
corruption" est une modalité de la lutte sociale, au sens plein
du terme, et combien elle repose sur une vive conscience politique de l’inégalité.

Autrement dit, elle nécessite
d’être comprise pour ce qu’elle est : un mode de conquête brutal,
par une minorité agissante et désespérée, des
richesses de l’Etat. Cette criminalisation de l’Etat risque de surprendre
et de choquer bon nombre d’observateurs.

Et puisque le règne
de la terreur a été instituée en méthode de gouvernement,
quoi de plus naturel que de voir éclore un fascisme mussolinien à
Djibouti ?

Cependant et curieusement,
personne ne souffle mot aujourd’hui, des méfaits du despotisme guéllien
dont les liquidations physiques et les génocides. tant au Nord qu’au
Sud de Djibouti causèrent des milliers de victimes.

On ne peut que relever
le cynisme d’une telle position.

Les intérêts
des parties en cause sont si intimement imbriqués qu’on retrouve toujours,
en fin de compte, les éléments qui constituent la trame d’une
alliance stratégique entre, d’un côté, la France , les
USA et de l’autre, Djibouti.

C’est une assurance de
pouvoir compter sur ces puissances mondiales qui permet au kleptomane éhonté
de narguer les lois internationales, convaincu de son impunité.

Le jeu commence à
paraître un peu lassant au public qui découvre que les manipulateurs
et les pantins sont reliés par un même fil. Le fil de la supercherie
et de la complicité.

Il est choquant de constater
que des pays occidentaux, réputés incarner le génie d’une
civilisation humaine dans son plein épanoussement, s’adonner à
des actes aussi peu conformes à la conscience que ceux qui ont été
commis contre le peuple djiboutien.

Mais où sont
passés les pétitionnaires, les scandalisés et autres
pleureuses ? Leur silence m’assourdit.

Dans un système
où la corruption et le clientélisme constituent la règle,
celui qui ne joue pas le jeu est traité comme une brebis galeuse.

Le débat sur la
corruption à Djibouti comme ressource doit prendre en compte la logique
du clientélisme politique. Les individus cooptés dans la clientèle
du "Big Brother" cherchent d’abord à satisfaire leur
intérêt personnel et celui de leur proche parentèle ;
ils ne défendent pas nécessairement l’intérêt
de toute leur famille ou de tout leur clan.

Ils doivent leur position
éminente moins à leurs talents qu’à la faveur du "Big
Brother".

IOG (1) sélectionne
ses "élus" en fonction de plusieurs critères pertinents
sous l’angle de la domination personnelle : loyauté manifeste
envers le régime (la ministre Hawa, Fathi Chamsan Sécretaire/Général
de l’éducation, le commaissaire Samireh et autres), appartenance clanique
et régionale (Ministres larbins Yacin Elmi, Johar, Ougoureh Kifleh,
Said Barkat, Ali Abdi, Rifki Bamakrama. . . ) ou encore activité professionnelle
, afin de donner l’apparence d’une réprésentation
fidèle du peuple djiboutien.

Rares sont ceux qui, au
nom d’un idéal moral, résistent à l’appât du gain,
les hommes étant tout guidés par l’intérêt personnel.

La clientèle personnelle
d’IOG n’a pas été constituée exclusivement
sur la base de l’appartenance clanique, elle a été forgée
tout au long de sa carrière et non dans les années 1990.

Plus que tout autre, IOG
a usé magistralement des mariages politiques pour cimenter les alliances
au sein de l’élite dirigeante, ainsi que pour élargir sa
clientèle et par là son influence dans chaque clan.

Pour conquérir
et conserver le pouvoir, tous les moyens sont bons pour IOG. Un prince qui
fait preuve de faiblesse court à sa perte.

À en juger, les
révélations quotidiennes sur les infamies que commettent les
milices ioguistes et les excès auxquels ils se livrent, notamment sur
le Nord de Djibouti, semblent tourner assez mal pour IOG.

La grande masse de la
population djiboutienne semble en fin de compte ne pas tellement "relisher"
(apprécier) ce régime totalitaire, avec ses lois de déportation
octroyées, qui a décidé de mener une guerre insane contr
e une partie de son peuple.

Ce terrorisme d’État
sans foi ni loi se développe trop rapidement et s’étale
avec trop d’impudeur.

Face à l’impressionnante
machine de propagande du régime et de ses relais, serions-nous capables
d’opposer la vérité des faits et la volonté d’aller
jusqu’au bout pour faire éclater cette vérité, de dénoncer
les atteintes graves aux droits de l’Homme qu’engendrait la politique d’éradication
quand d’autres se taisaient (le sophiste Me Aref, le philantrope Me Martinet),
versaient dans l’indignation sélective ( le fossoyeur de la RDD Aden
Roble) ou plus grave, approuvaient et applaudissaient (les prostitués
politiques Moumin Bahdon, Gabyo, Hassan Delga).

Avec le temps et grâce
à cette volonté inébranlable des Djiboutiennes et Djiboutiens
dignes, militant(e)s des droits de la personne humaine, intellectuels et autres,
le mur de la désinformation s’est largement lézardé pour
montrer au monde l’autre versant de la tragédie djiboutienne que le
prisme déformant du régime ne montrait pas. Des témoignages
accablants et irréfutables et des preuves irréfragables s’amoncellent
aujourd’hui sur les bureaux des institutions, organisations et avocats internationaux.

Ce système dictatorial
est complètement verrouillé afin d’empêcher toute remise
en cause de sa présence au pouvoir.

Un véritable système
repoussoir que l’observateur assimile à l’arbitraire et qu’il voit
exclusivement reposer sur la crainte. L’obéissance y est immédiate
et sans réserve.
« Le cancre de la liberté d’expression », pour ne reprendre
que l’expression de l’association Survie, s’arroge à peu près
toute prérogative, décidant seul sans formalisme excessif, un
pouvoir autoritaire et personnel, qui ne laisse au parlement d’un rôle
de figuration : l’Assemblée nationale djiboutienne se réunit
deux fois par an, pendant deux semaines à chaque fois et n’est qu’une
simple chambre d’enregistrement.

Être député(e)
aujourd’hui, c’est tenter de se placer aux sources de redistribution de ce
qui reste encore comme ressources du pays, et d’avoir un œil su les marchés
publics et d’en profiter ou d’en faire profiter des proches, mo yennant une
commission en plus des indemnités de député.

L’UMP de Djibouti a compris
que le nerf de la guerre démocratique est l’argent.
L’UMP d’IOG vit à la lettre de son chef. Son image se voit à
chaque pas ; son nom est prodigué aux lieux publics à l’égal
de l’ex-dictateur ; à peine y eut-il un discours où sa gloire
ne fût rappelée.

Une anecdote moins récente
le montre des plus sourcilleux quant aux comportements anti-égalitaires
de ses concitoyens:c’était au cours d’un dîner, dans la somptueuse
villa d’Haramous, cité alors prospère et luxueuse. Le dîner
fut suivi de l’habituel symposion djiboutien, ou "séance de boisson"
au cours de laquelle on buvait du vin en grignotant des fruits secs, en bavardant,
en écoutant de la musique ou des poèmes, en regardant des danses.

La coutume était
de nommer un "roi" du symposion, qui fixait à la fois le
dosage du mélange de vin et d’eau dans le cratère et le nombre
de coupes qui devrait être absorbées par chaque convive. Or,
l’hôte, ce soir-là, se refusait à commencer le symposion
tant que ne serait pas arrivé l’un des invités, important chef
politique, qui était en retard.

En dépit des violentes
protestations d’iog, qui réclamait bruyamment qu’on lui apportât
son vin, il fallut attendre. Dès l’arrivée du politicien, l’hôte
le nomma d’office roi du symposion, alors que d’habitude cette charge était
tirée au sort. Immédiatement, le "roi" donna toutes
sortes d’ordres sadiques. IOG se tait, puisque aussi bien la règle
du jeu était de ne jamais s’insurger contre les ordres du roi dans
un symposion.

Mais le lendemain, il
fait citer devant sa justice aux ordres, aussi bien l’hôte que le banquet
et les fait condamner tous deux à mort pour symptômes d’esprit
tyrannique naissant ! Sans doute son éloquence fît-elle beaucoup
pour la promptitude et la sévérité du verdict.

Or tout État, tout
pouvoir doit être au service des hommes. Et non au service d’un seul
homme ou d’une conception abstraite de l’État, d’un « monstre
froid » (Hegel) qui mettrait la « raison d’ État »
au-dessus des droits de l’individu. La politique, pour être légitime,
doit nécessairement être fondée sur la morale.

Peut-on affirmer, sans
être profondément immoral, que le parjure, la traîtrise,
la cruauté sont, dans certaines circonstances, des vertus politiques
? Voilà des préceptes que ne désavoueraient pas un Hitler
ou un Staline.

L’État ayant pour
finalité le bonheur de tous les citoyens, il serait contradictoire
qu’un gouvernement ait recours à des moyens immoraux pour conquérir
le pouvoir ou s’y maintenir.

La question de la fiabilité
et du rôle des partis politiques dits de l’opposition, dans un processus
démocratique fragile, se pose de manière cruciale. Il y va de
l’avenir même de la démocratisation parce que beaucoup de ces
partis ont surgi au sein de groupes ethniques et n’ont pour point commun que
leur opposition face au pouvoir en place. Ces partis n’ont aucun projet politique
national ou régional, aucune vision globale de réforme d’où
si peu de vision politique.

C’est pourquoi pour entrer
par la grande porte de la démocratie, des présidents sortants,
à travers des élections de complaisance et fautes de candidatures
de l’opposition, ont , semble-t-il, financé la campagne de certains
adversaires pour qu’ils se présentent contre eux afin de satisfaire
l’opinion publique internationale (surtout les bailleurs de fonds) faute de
candidats parce que l’opposition a appelé à l’abstention ou
au boycott.

Plus grave encore est
le constat de divisions et de clivages entretenus entre les différents
partis d’opposition et que le pouvoir dictatorial djiboutien exploite à
l’envie (absence de dialogue entre eux, vieux débats idéologiques,
autocrates divisés jusqu’à l’inconscience etc. . . ).

L’opposition djiboutienne
est passée maître dans cette technique de l’esquive et du faux-semblant
que déplorait déjà l’ex-colonisateur.

Comme jadis, elle privilégie
ces tactiques d’évitement et de muette contestation, distinctives du
"métabolisme de la prédation" si bien décrit
par M. Izard au sujet du Yatenga.

Ne faudra-t-il
pas œuvré à côté d’autres Djiboutiennes et
Djiboutiens à cette démystification et à lever le voile
sur la nature de ce régime et sur ses pratiques.

Mohamed
Qayaad