14/06/04 (B251) 14/06/04 (B251) L’affaire Borrel est relancée dans le Journal Le Monde qui accrédite la thèse vraissemblable du Meurtre (Extrait du Monde daté du 15/06/04)

La
piste de l’assassinat du juge Borrel est de plus en plus crédible

LE MONDE | 14.06.04 | 13h24 . MIS A JOUR LE 14.06.04 | 15h41

Les expertises et les
constatations matérielles s’accumulent au sujet de la mort de ce magistrat
français, à Djibouti, en 1995, et tendent à invalider
la thèse du suicide, longtemps privilégiée par la justice.
La République de Djibouti s’affirme prête à ouvrir une
nouvelle information judiciaire.

Les éléments
s’accumulent dans le dossier judiciaire lié à la mort, à
Djibouti, le 19 octobre 1995, du juge français Bernard Borrel, pour
accorder de moins en moins de crédibilité à la thèse
du suicide. Plusieurs rapports en avaient déjà fait état,
mais les experts Jean-Claude Martin et Patrice Mangin ont à leur tour
confié, le 3 février, à la juge Sophie Clément,
leurs certitudes quant à l’intervention d’un tiers dans le décès
du magistrat.

Bernard Borrel avait été
retrouvé mort à 80 kilomètres de Djibouti, au pied d’une
falaise, aspergé d’essence et à moitié brûlé.
L’hypothèse du suicide, qui avait longtemps prévalu au fil d’une
enquête judiciaire à rebondissements, semble aujourd’hui battue
en brèche par les dernières expertises. Le parquet de Paris,
qui a reçu récemment Mes Laurent de Caunes et Olivier Morice,
les avocats respectifs des enfants et de la veuve du magistrat, parties civiles,
penche désormais, lui aussi, pour la thèse du meurtre.

Le 8 novembre 2002, Patrice
Mangin et ses confrères Eric Baccino et Daniel Malicier avaient conclu
leur rapport en ces termes : « L’hypothèse d’une autoagression
à l’origine du décès est difficilement plausible. Dès
lors, l’hypothèse de l’intervention d’un ou de plusieurs tiers peut
être envisagée. » Le 30 juillet 2003, après la troisième
autopsie du corps de Bernard Borrel, les experts estimaient leur opinion renforcée
par des « éléments étayant l’hypothèse de
la survenue d’un traumatisme crânien, notamment à la suite d’un
coup porté par un instrument vulnérant » et par « la
constatation d’une fracture du cubitus gauche, pouvant évoquer une
lésion de défense face au danger représenté par
un agresseur ».

Un avis confirmé
par un spécialiste en anthropologie, le professeur Gérald Quatrehomme.
Le professeur Jean-Claude Martin avait également fini par établir
que l’essence retrouvée sur le cadavre provenait probablement de deux
récipients différents : un détail essentiel puisque,
dans l’enquête initiale, il avait été établi que
M. Borrel avait bien acheté de l’essence le 18 octobre 1995, mais qu’il
l’avait versée dans un seul bidon.

Devant le juge Clément,
les experts sont revenus longuement sur les résultats de la deuxième
autopsie du 27 juin 2002. « Nous nous sommes posé la question des
causes de la mise à feu à cet endroit, a indiqué, le
3 février, M. Mangin au magistrat. Il a pu s’agir d’une mort intervenue
suite à des violences, comme par exemple une strangulation dont les
traces auraient été masquées intentionnellement par la
carbonisation. (…) Cela aurait pu être aussi une mort due au traumatisme
crânien que l’on a observé par la suite, et ensuite le corps
aurait été brûlé intentionnellement également. »
Et le spécialiste de préciser :  » Selon le professeur Quatrehomme,
il était également fort probable que les fractures fussent intervenues
du vivant de l’intéressé. »

Pourquoi ces fractures
n’avaient-elles pas été relevées, lors de la première
autopsie pratiquée à Toulouse, le 15 février 1996 ? La
réponse de M. Mangin est fort peu diplomatique : « Je pense que
cela tient à la qualité du travail réalisé par
les experts. (…) Si on ne va pas regarder quelque chose, on ne voit pas. »Il
avait également été soutenu que M. Borrel aurait pu s’asperger
d’essence, puis aurait couru vers l’endroit où il avait finalement
été découvert. Pour M. Mangin, « en prenant en compte
tous les aspects environnementaux et contextuels, ce n’est pas possible ».

Les premières constatations
des gendarmes djiboutiens étaient pourtant sans équivoque, en
1995 : « Il -M. Borrel- aurait enjambé les barricades, (…) se
serait dévêtu de sa culotte verte avant de s’asperger de carburant
contenu dans le bidon puis s’enflammer avec un briquet (…) aussitôt,
il se serait balancé dans le vide. »

Neuf ans après,
le dossier prend donc une nouvelle tournure. Selon les experts, il n’est plus
vraiment permis de douter : M. Borrel aurait bien été tué,
le 18 octobre 1995, et une mise en scène aurait ensuite été
réalisée, pour renforcer l’hypothèse du suicide. Le procureur
de la République de Djibouti, Djama Souleiman, a assuré, le
5 mai, lors d’une conférence de presse, qu’il allait demander à
son homologue parisien de lui communiquer les nouveaux éléments
contenus dans l’enquête française, et notamment l’avis des experts.

 » S’il apparaît
que la mort du juge Borrel n’est pas un suicide, a indiqué Me Francis
Szpiner, l’avocat de la République de Djibouti, M. Souleiman ouvrira
une information judiciaire pour assassinat. »Si M. Borrel a bien été
tué, quelle peut être la raison de cet assassinat ? Le juge français,
arrivé en 1993 à Djibouti, était censé travailler
sur le code de procédure pénale djiboutien. Mais il avait également
facilité la mise en oeuvre de commissions rogatoires, dans le cadre
de l’attentat, commis en 1990, contre le Café de Paris (un mort, quatorze
blessés), un établissement fréquenté par la communauté
française à Djibouti. Un attentat dans lequel certains avaient
voulu impliquer les autorités djiboutiennes.

Dans une diffusion « confidentiel
défense », datée du 25 janvier 2000, la DGSE avait tenté
de faire le point sur ce dossier : « Aucun élément concret
n’a jusqu’à présent permis d’étayer la thèse de
l’assassinat », indiquaient les services secrets français. L’officier
en poste à Djibouti avait ajouté : « Le service a recueilli
(…) certaines rumeurs non recoupées selon lesquelles le clan du président
Ismaël Omar Guelleh avait commandité l’assassinat du juge Borrel.
Le juge aurait menacé les autorités djiboutiennes de révéler
l’existence de divers trafics, notamment d’armes, les mettant en cause. »

Dans une deuxième
note, datée du 16 mai 2000, la DGSE assurait que « la diffusion
-était- totalement neutre à l’égard du chef de l’Etat
djiboutien », précisant que « le service n’a jamais fait le
moindre lien entre le président Guelleh et l’attentat du Café
de Paris ». A l’époque, M. Guelleh était chef de cabinet
de la présidence de la République, avant d’être élu
président en 1999. « Nous allons demander au juge que d’autres
documents, émanant des RG -renseignements généraux-,
soient versés au dossier », a indiqué Me Morice. Ces « notes »,
selon lui, impliqueraient l’entourage de M. Guelleh dans l’affaire du Café
de Paris. « Cette affaire a été jugée, a indiqué
au Monde Me Szpiner, elle est transparente. Par ailleurs, le juge Borrel ne
disposait d’aucun pouvoir d’investigation. »

Gérard
Davet


——————————————————————————–

Neuf années
d’enquête


19 octobre 1995.
Le juge Bernard Borrel est retrouvé mort au pied d’un ravin, à
demi calciné. Les premiers éléments de l’enquête
concluent à un suicide par immolation.

15 février 1996.

Une première autopsie, demandée par l’épouse du juge,
Elisabeth Borrel, est effectuée dans le cadre d’une information ouverte
au parquet de Toulouse pour « recherche des causes de la mort ». Les
résultats, connus un an plus tard, remettent en question la thèse
du suicide : aucune trace de suie n’a été décelée
dans ses poumons, ce qui signifie que le juge était déjà
mort au moment de la combustion de son corps.

Novembre 1997.
L’enquête est dépaysée à Paris. Les juges d’instruction
Roger Le Loire et Marie-Paule Moracchini sont chargés du dossier.

Mars 2000.
Les deux juges se rendent à Djibouti, pour mener des investigations
sur place. Ils confirment la thèse du suicide.

21 juin 2000.
Les juges Le Loire et Moracchini sont dessaisis du dossier, après plusieurs
interventions de Mme Borrel et de ses avocats auprès d’Elisabeth Guigou,
alors garde des sceaux.

Février 2002.

Le juge Jean-Baptiste Parlos, qui a repris le dossier, se rend à Djibouti
en compagnie de Mme Borrel et de trois experts en médecine légale.

27 juin 2002.
Le corps de Bernard Borrel est exhumé, pour subir une deuxième
autopsie. Un autre juge d’instruction, Sophie Clément, est nommé.

30 juillet 2003.
Après une troisième autopsie, les trois experts en médecine
légale achèvent leur rapport, privilégiant une mort violente
« liée à une intervention extérieure ».

. ARTICLE PARU DANS
L’EDITION DU 15.06.04