13/07/05 (B306) L´assassinat du juge Borrel : la justice à l´épreuve de la raison d´état (Article publié sur le site de la magistrature / Info lecteur)

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______________________ Note de l’ARDHD
Le dernier paragraphe mérite d’être lu, car il laisse sous-entendre que l’attitude des autorités françaises tout au long de cette affaire si elle se poursuivait, pourrait laisser supposer quelques responsabilités ou faits peu avouables ….
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Le 19 octobre 1995, à 80 KM de Djibouti est découvert au pied d´une falaise le corps en partie carbonisé du magistrat français Bernard Borrel, conseiller technique auprès du ministre de la justice djiboutien. Ce décès entre rapidement dans cette catégorie de « cadavres exquis » sur lesquels il est urgent de plaquer une vérité officielle, celle du suicide. Malheureusement pour les fabricants de cette thèse, les malfaçons de l´enquète (pas d´autopsie, disparition des radiographies …) et de l´instruction jusqu´en juillet 2000, mises en évidence par Elisabeth Borrel et ses avocats avec le soutien du syndicat de la magistrature, sont dénoncées publiquement; le dessaisissement des deux juges le 21 juin 2000 va permettre un tournant décisif dans l´ instruction.

Aujourd´hui, l´hypothèse de l´assassinat de Bernard Borrel est confirmée par les développements de l´instruction et notamment par des expertises médico légales et techniques précédées d´un transport sur les lieux en février 2002. En effet, la découverte d´un traumatisme cranien provoqué par un instrument vulnérant et d´une lésion de défense matérialisée par une fracture du bras ainsi que la mise en évidence d´un second produit inflammable provenant d´un récipient distinct du bidon retrouvé sur les lieux, détails qui semblent avoir échappé curieusement à l´attention des premiers experts, conforte définitivement le scénario de l´assassinat, thèse à laquelle se range le procureur de la république le 1er mars 2004 ainsi que le ministère de la justice le 25 mars 2004 dans le cadre d´une procédure administrative parallèle .

C´est précisément à ce moment que l´instruction se heurte à nouveau à des silences, des blocages et des pressions émanant cette fois directement des autorités françaises; les pressions du ministère de la défense sur Pierre Lelong, président de la commission consultative du secret défense, pour qu´il ne déclassifie pas les documents demandés par la juge et le silence prolongé opposé par Michèle Alliot Marie ont été dénoncées par Elisabeth Borrel ses avocats et le SM au terme d´une conférence de presse à l´issue de laquelle la ministre de la défense finissait par publier l´avis de la commission au journal officiel et acceptait la déclassification.

Ces tentatives d´obstruction conjuguées à une avalanche de procédures visant les avocats d´ Elisabeth Borrel, le syndicat de la magistrature, des témoins décisifs et des journalistes n´ayant fait que leur métier font craindre de nouveaux blocages et tentatives d´intimidations; une information a du étre ouverte à Versailles début 2003 pour subornation de témoins, suite aux déclarations circonstanciées de témoins djiboutiens mettant en cause de hautes personnalités djiboutiennes parmi lesquelles se trouvent notamment l´actuel procureur de Djibouti, le chef des services secrets djiboutien mais également l´une des juges d´instruction dessaisie du dossier Borrel en juin 2000.

L´annonce faite le 29 janvier dernier par le quai d´Orsay de la prochaine transmission du dossier français aux autorités djiboutienne a constitué une tentative de pression directe sur la juge d´instruction; celle ci a opposé un refus à la demande de son homologue djiboutien, estimant qu´ elle constituait un détournement de procédure eu égard à l´implication possible de personnalités djiboutiennes; en outre, cette transmission pouvait porter atteinte aux intérets fondamentaux de l´état français compte tenu de l´existence de documents déclassifiés émanant des services secrets français.

Le syndicat de la magistrature, partie civile aux cotés d´Elisabeth Borrel, a saisi le conseil supérieur de la magistrature de ce qu´il considère comme une tentative de pression sur la juridiction d´instruction tandis que les avocats d´ Elisabeth Borrel déposaient plainte avec constitution de partie civile . Face à de tels dysfonctionnements, le ministre de la justice a préféré conforter le comportement de son collègue du quai d´Orsay en soutenant que l´état français n´était pas lié par le refus de la juge d´instruction de communiquer ce dossier aux autorités djiboutiennes.

Le garde des sceaux ne peut pourtant ignorer qu´une transmission du dossier à Djibouti permettrait à la justice djiboutienne d´arreter et de juger un coupable moins dérangeant pour le régime d´Ismael Omar Guelleh ce qui justifierait en retour une demande visant à cloturer le dossier en France.

Inquiétante également, la déprogrammation d´une émission consacrée à ce dossier sur Radio France International en raison des interrogations du journaliste sur l´implication des services secrets français dans cette affaire suivie du retrait 3 jours après sa mise en ligne d´un article sur le site internet de RFI suscite de graves interrogation sur la liberté d´informer dès lors qu´il s´agit des affaires africaines. Ce cas emblématique de censure a provoqué l´indignation des syndicats SNJ, CGT et CFDT et une motion des journalistes de RFI votant à l´unanimité une motion condamnant la censure exercée à l´occasion du dossier Borrel.

Un pas supplémentaire a été franchi dans le sens du cynisme lorsqu´à l´occasion de la réception du chef d´état djiboutien par Jacques Chirac le 17 mai 2005: alors qu´ Ismael Omar Guelleh était convoqué comme témoin par la juge chargée d´instruire l´assassinat du juge Borrel, le quai d´Orsay faisait savoir qu´il était normal qu´il ne réponde pas à cette convocation compte tenu de son immunité de chef d´état tandis que Jacques Chirac réaffirmait ostensiblement son soutien à Guelleh et rappelait la justice à l´ordre en insistant sur la durée excessive de cette procédure.

Aujourd´hui, beaucoup déplorent la dimension tragique de cette affaire et témoignent de leur compassion en faveur d´Elisabeth Borrel; moins nombreux, y compris au sein de la magistrature, ont été ceux qui ont osé dénoncer les entraves multiples de ce dossier qui prend la dimension exceptionnelle d´une affaire d´état au cœur des relations franco-africaines; un membre du précédent conseil supérieur de la magistrature avait d´ailleurs parfaitement compris cet enjeu en déclarant en substance à Elisabeth Borrel qu´il était inutile de persévérer dans la recherche de la vérité compte tenu de la nature de ce dossier.

La crainte de perdre une base militaire et une capacité d´intervention dans une zone sensible au plan géopolitique ne peuvent pas justifier le soutien ostensible à un régime dictatorial et corrompu, dominé par un clan mafieux pouvant etre à l´origine de l´assassinat d´un magistrat français et impliqué dans l´étouffement de ce dossier.

L´état français doit s´interdire toute tentation de limiter la liberté des journalistes d´informer les citoyens sur les développements de cette affaire.

Tout doit etre entrepris désormais pour permettre à la juge d´instruction de poursuivre ses investigations sans avoir à redouter de pressions de la part de l´exécutif français; le ministre de la justice doit notamment prendre l´engagement de ne prendre aucune initiative visant à transmettre tout ou partie du dossier Borrel aux autorités djiboutiennes.

Enfin, si l´état français n´a rien à se reprocher dans cette affaire, il doit désormais lever lui meme les obstacles qui jalonnent la procédure, notamment en remettant au juge d´instruction la totalité des documents émanant des services de l´Etat et pouvant avoir un lien avec cet assassinat.