Lien avec l’article original http://www.syndicat-magistrature.org/article/615.html
______________________ Note de l’ARDHD
Le dernier paragraphe mérite d’être lu, car il laisse sous-entendre que l’attitude des autorités françaises tout au long de cette affaire si elle se poursuivait, pourrait laisser supposer quelques responsabilités ou faits peu avouables ….
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Le 19 octobre 1995, à 80 KM de Djibouti est découvert au pied d´une falaise le corps en partie carbonisé du magistrat français Bernard Borrel, conseiller technique auprès du ministre de la justice djiboutien. Ce décès entre rapidement dans cette catégorie de “cadavres exquis” sur lesquels il est urgent de plaquer une vérité officielle, celle du suicide. Malheureusement pour les fabricants de cette thèse, les malfaçons de l´enquète (pas d´autopsie, disparition des radiographies
) et de l´instruction jusqu´en juillet 2000, mises en évidence par Elisabeth Borrel et ses avocats avec le soutien du syndicat de la magistrature, sont dénoncées publiquement; le dessaisissement des deux juges le 21 juin 2000 va permettre un tournant décisif dans l´ instruction.
Aujourd´hui, l´hypothèse de l´assassinat de Bernard Borrel est confirmée par les développements de l´instruction et notamment par des expertises médico légales et techniques précédées d´un transport sur les lieux en février 2002. En effet, la découverte d´un traumatisme cranien provoqué par un instrument vulnérant et d´une lésion de défense matérialisée par une fracture du bras ainsi que la mise en évidence d´un second produit inflammable provenant d´un récipient distinct du bidon retrouvé sur les lieux, détails qui semblent avoir échappé curieusement à l´attention des premiers experts, conforte définitivement le scénario de l´assassinat, thèse à laquelle se range le procureur de la république le 1er mars 2004 ainsi que le ministère de la justice le 25 mars 2004 dans le cadre d´une procédure administrative parallèle .
C´est précisément à ce moment que l´instruction se heurte à nouveau à des silences, des blocages et des pressions émanant cette fois directement des autorités françaises; les pressions du ministère de la défense sur Pierre Lelong, président de la commission consultative du secret défense, pour qu´il ne déclassifie pas les documents demandés par la juge et le silence prolongé opposé par Michèle Alliot Marie ont été dénoncées par Elisabeth Borrel ses avocats et le SM au terme d´une conférence de presse à l´issue de laquelle la ministre de la défense finissait par publier l´avis de la commission au journal officiel et acceptait la déclassification.
Ces tentatives d´obstruction conjuguées à une avalanche de procédures visant les avocats d´ Elisabeth Borrel, le syndicat de la magistrature, des témoins décisifs et des journalistes n´ayant fait que leur métier font craindre de nouveaux blocages et tentatives d´intimidations; une information a du étre ouverte à Versailles début 2003 pour subornation de témoins, suite aux déclarations circonstanciées de témoins djiboutiens mettant en cause de hautes personnalités djiboutiennes parmi lesquelles se trouvent notamment l´actuel procureur de Djibouti, le chef des services secrets djiboutien mais également l´une des juges d´instruction dessaisie du dossier Borrel en juin 2000.
L´annonce faite le 29 janvier dernier par le quai d´Orsay de la prochaine transmission du dossier français aux autorités djiboutienne a constitué une tentative de pression directe sur la juge d´instruction; celle ci a opposé un refus à la demande de son homologue djiboutien, estimant qu´ elle constituait un détournement de procédure eu égard à l´implication possible de personnalités djiboutiennes; en outre, cette transmission pouvait porter atteinte aux intérets fondamentaux de l´état français compte tenu de l´existence de documents déclassifiés émanant des services secrets français.
Le syndicat de la magistrature, partie civile aux cotés d´Elisabeth Borrel, a saisi le conseil supérieur de la magistrature de ce qu´il considère comme une tentative de pression sur la juridiction d´instruction tandis que les avocats d´ Elisabeth Borrel déposaient plainte avec constitution de partie civile . Face à de tels dysfonctionnements, le ministre de la justice a préféré conforter le comportement de son collègue du quai d´Orsay en soutenant que l´état français n´était pas lié par le refus de la juge d´instruction de communiquer ce dossier aux autorités djiboutiennes.
Le garde des sceaux ne peut pourtant ignorer qu´une transmission du dossier à Djibouti permettrait à la justice djiboutienne d´arreter et de juger un coupable moins dérangeant pour le régime d´Ismael Omar Guelleh ce qui justifierait en retour une demande visant à cloturer le dossier en France.
Inquiétante également, la déprogrammation d´une émission consacrée à ce dossier sur Radio France International en raison des interrogations du journaliste sur l´implication des services secrets français dans cette affaire suivie du retrait 3 jours après sa mise en ligne d´un article sur le site internet de RFI suscite de graves interrogation sur la liberté d´informer dès lors qu´il s´agit des affaires africaines. Ce cas emblématique de censure a provoqué l´indignation des syndicats SNJ, CGT et CFDT et une motion des journalistes de RFI votant à l´unanimité une motion condamnant la censure exercée à l´occasion du dossier Borrel.
Un pas supplémentaire a été franchi dans le sens du cynisme lorsqu´à l´occasion de la réception du chef d´état djiboutien par Jacques Chirac le 17 mai 2005: alors qu´ Ismael Omar Guelleh était convoqué comme témoin par la juge chargée d´instruire l´assassinat du juge Borrel, le quai d´Orsay faisait savoir qu´il était normal qu´il ne réponde pas à cette convocation compte tenu de son immunité de chef d´état tandis que Jacques Chirac réaffirmait ostensiblement son soutien à Guelleh et rappelait la justice à l´ordre en insistant sur la durée excessive de cette procédure.
Aujourd´hui, beaucoup déplorent la dimension tragique de cette affaire et témoignent de leur compassion en faveur d´Elisabeth Borrel; moins nombreux, y compris au sein de la magistrature, ont été ceux qui ont osé dénoncer les entraves multiples de ce dossier qui prend la dimension exceptionnelle d´une affaire d´état au cur des relations franco-africaines; un membre du précédent conseil supérieur de la magistrature avait d´ailleurs parfaitement compris cet enjeu en déclarant en substance à Elisabeth Borrel qu´il était inutile de persévérer dans la recherche de la vérité compte tenu de la nature de ce dossier.
La crainte de perdre une base militaire et une capacité d´intervention dans une zone sensible au plan géopolitique ne peuvent pas justifier le soutien ostensible à un régime dictatorial et corrompu, dominé par un clan mafieux pouvant etre à l´origine de l´assassinat d´un magistrat français et impliqué dans l´étouffement de ce dossier.
L´état français doit s´interdire toute tentation de limiter la liberté des journalistes d´informer les citoyens sur les développements de cette affaire.
Tout doit etre entrepris désormais pour permettre à la juge d´instruction de poursuivre ses investigations sans avoir à redouter de pressions de la part de l´exécutif français; le ministre de la justice doit notamment prendre l´engagement de ne prendre aucune initiative visant à transmettre tout ou partie du dossier Borrel aux autorités djiboutiennes.
Enfin, si l´état français n´a rien à se reprocher dans cette affaire, il doit désormais lever lui meme les obstacles qui jalonnent la procédure, notamment en remettant au juge d´instruction la totalité des documents émanant des services de l´Etat et pouvant avoir un lien avec cet assassinat.