18/12/05 (B329) LDDH : devoir de mémoire pour les victimes du régime. Récits photos et témoignage d’un médecin français.
Le Président |
DEVOIR DE MEMOIRE |
Djibouti le, 17 Décembre 2005
« Le combat des Défenseurs des Droits de l’Homme, pour le respect de la dignité humaine, est un combat universel, un combat de et pour nous tous ».
En guise de contribution au devoir de mémoire pour toutes les victimes du massacre d’Arhiba II le 18 décembre 1991, la Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) propose des documents d’époque tirés du bulletin n° 1 de janvier 1992 publié par le MSVC (Mouvement de soutien aux victimes civiles).
Ces documents portent sur :
– le déroulement du massacre ;
– La liste des morts ;
– Le témoignage d’un médecin français.
L’impunité assurée en haut lieu aux crimes d’Etat étant une dangereuse constante de cette dictature sournoise et liberticide,. et aux fins de soigner les séquelles physiques et morales de cette barbarie et en prévenir définitivement le renouvellement.
La Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH) exige :
1. l’indemnisation immédiate de toutes les victimes d’Arhiba du 18 décembre 1991 et du 30 novembre 2005 ;
2. la poursuite en Justice des auteurs de tous ces crimes odieux;
3. la constitution d’une commission d’enquête indépendante sur la dernière tuerie survenue dans ce même quartier le mercredi 30 novembre 2005
L’impunité des commanditaires et exécutants de ce massacre et des suivants ainsi que le refus d’Etat d’indemniser les ayant-droits constituent une offense à la Mémoire des victimes et plus grave, la porte ouverte à la continuation de ces crimes abominables.
M. NOEL ABDI Jean-Paul
_____________________________________________
ANNEXE
SUR LE MASSACRE D’ARHIBA DU 18 DECEMBRE 1991
Le Déroulement
6H00 du matin, le quartier d’Arhiba est totalement investi et encerclé par les forces armées djiboutiennes coalisées dans une action militaire sans précédent à Djibouti-ville d’environ 400 personnes en armes et équipements de guerre.
Alors que l’essentiel des troupes d’assaut est placé en position de tir dans les tranchées, dans les tanks, sur des -jeeps et sur les vedettes, le groupe des policiers Afars sans armes munis des gourdins, est chargé de convaincre leurs frères de sang avec lesquels ils engagent le dialogue. Parallèlement, les « crânes rasés » issus de la mobilisation générale vident tous les civils de leurs cases en cartons et les rassemblent sur le terrain vague
7H00 : Les premiers lève-tôt d’Arhiba II , sortis de chez eux sont aussitôt embarqués dans des camions mis à la disposition des forces de l’ordre par les entrepreneurs privés qui se trouvent alignés au sud du quartier.
Après triage, le groupe ciblé est isolé du reste et une partie est embarquée dans un premier camion.
7h15 : les rafles continuent. Les forces armées tirent de leur huttes, hommes, femmes et enfants, les regroupent par dizaines en les faisant asseoir parterre, et une fois le nombre suffisant pour contenir un camion, le chauffeur approche du secteur et l’on embarque tout le monde. La cité étant étendue sur 3 à 4 km, une scène identique à celle ci se déroule à plusieurs endroits, couvrant ainsi, tout Arhiba Il
7h30 : Sur un des « points de’ rassemblement » d’Arhiba II, certaines personnes ne se contentant pas de l’explication facile donnée par les hommes en uniforme selon laquelle il ne s’agirait que d’une simple vérification d’ identité, elles voudraient comprendre et demandent des explications.
Ne pouvant supporter plus longtemps cette situation macabre, un policier Afar se détache du rang, dans un dernier élan de solidarité ethnique, déconseille vivement aux futures victimes de se laisser déporter en demandant d’opposer une résistance passive.
Pour son geste, il sera sommairement abattu par ses collègues de la FNS au cours de la fusillade.
Voyant leur plan dévoilé et devant le refus des civils de monter dans le camion, les forces armées s’apprêtent dès ce moment, à tirer sans sommation sur tout ce qui bouge
Ayant remarqué’ des mouvements qui contrarient le plan initialement établi, les forces armées qui s’étaient préparées à l éventualité d’une réticence de la part des civils, reçoivent l’ordre d’exécuter sur place leur plan : l’acte d’extermination qu’elles devaient accomplir ailleurs. Elles ouvrent le feu sans sommation sur une foule sans défense (femmes, enfants, vieillards) qui tombe comme des mouches, tués à bout portant.
Dès les premières rafales, une panique folle s’empare très logiquement de toute la population d’Arhiba II et aux quatre coins de la cité, loin de contenir, les forces de l’ordre tirent è vue. La chasse à l’Afar commence, un déluge de feu s’abat sur les civils, une course poursuite abominable s organise .Qui à pied, qui. en véhicule tout terrain, les forces de l’ordre s’en donnent à coeur joie. Un safari humain.
FAIT ELOQUENT Trois policiers, Kalachnikov aux poings, font irruption dans l’Ecole Primaire Public d’Arhiba dont le Directeur est sommé sous la contrainte par un vif et bref échange de propos, de faire sortir ces classes les élèves (probablement pour les exposer au carnage prévu) . Le Directeur de l’Ecole n’a pas manqué, malgré la menace, de leur faire observer qu’il y va de sa responsabilité professionnelle de mettre en sécurité les élèves et qu’il ne peut satisfaire leur dangereuse requête aussi longtemps que les armes ne se seront pas tues à Arhiba.
Pendant ce temps, les deux autres policiers s’introduisent dans les classes où ils n’hésitent pas à tirer plusieurs rafales créant une panique généralisée tant parmi les enseignants que parmi les élèves qui fuient à toutes jambes.
7h45 : Un hélicoptère de l’armée française survole les lieux du massacre, panique cette fois coté tueurs, par la crainte des caméras que les français n’ont certainement pas manqué de sortir pour un tel flagrant délit.
Au premier passage, les tireurs cessent la fusillade, certains ont le ridicule réflexe de se cacher derrière les maisons, mais continuent à pourchasser les rescapés dès que le Puma s’éloigne. Au second passage, les chasseurs décident de se retirer et maquillent le chiffre réel du carnage en s’empressant d’entasser dans deux camions un maximum de cadavres.
Combien de morts? Impossible à dire avec précision. Les témoins oculaires les plus optimistes chiffrent à 50 cette cargaison funeste. Le convoi se dirige vers la ville, les hommes en uniforme quittent enfin Arhlba.
8H00 Les habitants dEinguela constatent que le terrain vague des Salines qui s’étend au Nord d’Arhiha est lui aussi quadrillé par les hommes de la FNS, à la hauteur du chantier séoudien jusqu’aux Théâtres des Salines. Toutes les routes menant à Einguela sont bloquées par les agents de la circulation et ni piétons ni véhicules ne passent. Certains observateurs constatent qu’un long convoi de véhicules militaires qui assure l’encadrement, se dirige vers le secteur bouclé
BILAN DU MASSACRE
33 corps abandonnés sur le terrain vague,
7 personnes décédées à l’hôpital Peltier le lendemain des suites de leurs blessures,
7 corps retrouvés le 19 en mer à marée basse,
12 corps que les forces de l’ordre ont emportés,
Soit un total de 59 morts dont 47 ont été enterrés
LISTE DES PERSONDES DISPARUES
|
|
|
|
Personnes retrouvées à marée basse |
|
A l’hôpital Peltier 41 OSMAN YOUSSOUF 42.HASSAN HAMID 43 ABDOULKADER MOHAMED ISSA 44.ARISSO ONDE ARISSO 45.MOHAMED MOUSSA MOHAMED 46,MOHANED ALI AHMED 47.MOHAMED HOUMED MOHAMED |
N.B. Les impacts de balles relevés sur les blessés nous autorisent à penser qu’il y avait plusieurs groupes de tireurs et que nombreuses étaient les personnes en train de fuir lorsqu’elles ont été atteintes par les projectiles.
Ainsi, 50 % des survivants sont atteints au dos, 30% de face e 20 % de côté.
De plus, il a pu être dénombré environ 300 blessés dont 70 seulement furent admis à Peltier, une dizaine à l’hôpital militaire français alors que les autres ont été soignés par leurs propres familles de peur de représailles éventuelles.
____________________________________________________________
TEMOIGNAGE D’UN MEDECIN FRANCAIS :
François DE CHABALIER
(Médecin-Chef du district d’OBOCK)
Le quartier est bouclé, les forces de l’ordre ont brûlé des cartes d’identité. La tension a monté. Un gendarme a été poignardé par un afar juste après la fusillade. 2 policiers afars qui essayaient de prendre la défense des habitants d’Arhiba ont été tués par balle par leurs propres collègues. A ce moment là, c’est la fusillade et les exécutions sommaires. C’est le carnage, les forces de l’ordre tirent sur tout ce qui n’a pas d’uniforme.
J’ai été très impressionne à l’hôpital Peltier par la foule de blessés qui affluaient. Il faut imaginer un grand couloir avec de chaque côte une enfilade de brancards avec dessus des gens, tous. blessés par balles, tous afars, tous civils.
Au bas mot, une quarantaine de morts. 26 ont été entérrés dans les cimetières hors de la ville plus une quinzaine dans la ville puisque les gens n’avaient pas le droit (le sortir pour enterrer leurs morts ailleurs.
La majorité des victimes était des hommes jeunes également des femmes et des enfants mais aussi un vieil homme dont le crâne a été défoncé à coups de crosse et qui en est mort. J’ai vu un enfant de moins de 5 ans avec un poignet éclaté par balle.
Il semble certain qu’une intervention musclée des forces de l’ordre sur quartier afar était prévue à titre de vengeance et de représailles depuis la veille au soir à cause d’une sévère défaite militaire, dans la zone nord de Tadjourah où l’armée aurai eue 3oo morts ou disparus. A Tadjourah, l’armée nationale a subi de lourdes pertes et de lourdes défaites.
A Obock, c’est une ville morte, occupée par les forces de I ordre et encerclée par les rebelles et la population civile est avec les rebelles en brousse. Leur souci est un souci d’alimentation et de soutien sanitaire.
On comprend bien qu’ils ont la possibilité de se ravitailler par l’Ethiopie ou par le Yémen mais pour cela il faut de l’argent et les fonctionnaires ont des difficultés pour récupérer de l’argent sauf ceux qui sont à Djibouti.
Le pays est coupé en deux. Les gens d’Obock s’ils veulent venir à Djibouti doivent passer par l’Ethiopie, c’est à dire:’ qu’ils font un tour gigantesque pour contourner le pays. On ne peut plus passer par la mer puisque l’armée contrôle les sorties. D’ailleurs les pêcheurs d’Obock qui s’étaient réfugiés à Djibouti se sont vu confisquer leurs boutres.
L’inquiétude majeure des djiboutiens est que Djibouti devienne comme Mogadiscio.
Les tracts dans le sens de la guerre civile distribués à Djibouti n’ont pas trouvé une oreille à haut niveau On craignait que les quartiers Issas déferlent Djibouti sur les quartiers afar. Mais en réalité jusqu’à présent ce ne sont que les forces de l’ordre qui arrivent sur les quartiers afar ; La majorité des djiboutiens voudrait préserver leur pays. La situation ethnique est plutôt calme au regard de la gravité des événements.