12/01/06 (B332-B) Publication, pour information, de l’Appel de l’ACAT (Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) de novembre 2005, en soutien à l’action de Mme Borrel. (Info correspondante)

APPEL URGENT

Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture
Mardi 8 novembre 2005

Appel urgent n°82
France / Djibouti

L’affaire Borrel piétine

Intervenir avant le 28 novembre 2005

Le 19 octobre 1995, le cadavre, à moitié calciné, de Bernard Borrel, magistrat français, est retrouvé au pied d’une falaise à Djibouti. Le jour même et alors qu’aucune autopsie n’a été effectuée, le chef de la mission de coopération française envoie un télégramme diplomatique annonçant que « Monsieur Borrel a mis fin à ses jours ».

Le magistrat français enquêtait sur différentes affaires – trafics d’armes, attentat du café de Paris – dans lesquelles était impliqué le prés ident actuel, Ismael Omar Guelleh, alors chef de cabinet de son oncle, le chef d’Etat Hassan Gouled Aptidon.

L’affaire aurait pu en rester là si la femme de Bernard Borrel, Elisabeth Borrel – qui n’a jamais cru à la thèse du suicide – ne s’était pas battue pour connaître la vérité.
Sans doute par crainte de perdre une base militaire française et une capacité d’intervention dans une zone sensible sur le plan géopolitique, les autorités politiques françaises ont multiplié, pendant 10 ans, pressions et manipulations pour empêcher qu’éclate la vérité. Malgré cela, la thèse de l’assassinat de Bernard Borrel a finalement été confirmée par des expertises médico-légales, ordonnées par les autorités françaises, en 2003.
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Un meurtre déguisé en suicide

Dès février 1997, plusieurs légistes français doutent du suicide de Bernard Borrel.

Aucune trace de suie n’est décelée dans les poumons de la victime, ce qui signifie que la victime ne respirait plus au moment de la combustion. Par ailleurs, la présence très importante de liquide inflammable sur le haut du corps de la victime, et la quasi-absence de ce liquide sur le bas du corps, mettent en doute la thèse de l’auto-aspersion. Si Bernard Borrel s’était auto-aspergé d’essence, debout, comme le prétend la thèse officielle, davantage de pétrole aurait été retrouvé sur ses jambes.

En juin 2003, le corps de Bernard Borrel est exhumé. De nouvelles expertises médico-légales sont effectuées. Les toxicologues découvrent sur la victime la présence de deux liquides inflammables. Or sur les lieux du drame, un seul jerrycan d’essence a été retrouvé. L’absence d’un second récipient prouve que Bernard Borrel n’était pas seul au moment de sa mort. Les légistes découvrent sur la victime une fracture du bras (réflexe de défense) et un traumatisme crânien provoqué par un instrument tranchant. Des résidus de cannabis sont par ailleurs retrouvés dans la poche du short de Bernard Borrel. Or les analyses de cheveux prouvent qu’il n’en a jamais fumé. La présence de cannabis conforte la thèse d’une mise en scène : faire croire qu’il s’était drogué avant de se suicider.

Le mobile du meurtre

En 1990, un attentat est commis au Café de Paris, à Djibouti. L’enfant d’un militaire français est tué. Le juge Roger Le Loire est saisi de l’instruction. En 1994, il fait appel à Bernard Borrel, pour l’aider dans l’enquête. Selon des témoins djiboutiens, le magistrat français aurait découvert l’implication du président Guelleh dans cet attentat et dans un trafic d’armes. Cela pourrait expliquer son assassinat.

Les intérêts français à Djibouti

Djibouti abrite depuis des décennies la plus importante base militaire française en Afrique (2.800 hommes), ainsi qu’une énorme station d’écoutes captant toutes les communications du Proche-Orient. Jusqu’à peu, l’aide financière de la France représentait environ 60 % des ressources de Djibouti. Mais depuis les attentats du 11 septembre 2001, la France est vivement concurrencée dans son « pré-carré ».

La position géostratégique privilégiée de Djibouti – au coeur de la Corne de l’Afrique et en face de la péninsule arabique – dans la guerre contre le terrorisme est convoitée par plusieurs armées occidentales. Des militaires européens allemands, espagnols, italiens y sont implantés. Une base militaire américaine a été créée en 2001, permettant à 1.500 « marines » de s’entraîner en terrain désertique.

La présence d’un port et d’un aéroport modernes ont également permis à l’armée américaine de mettre en place un système régional de veille maritime et aérienne, pour tenter d’empêcher l’infiltration d’éléments du réseau Al-Qaida sur les côtes yéménite, somalienne o u kényane. Bénéficiant du soutien appuyé des américains (octroi d’une rente de 31 millions de dollars par an en échange de la présence américaine sur le sol djiboutien ; visite du président Ismaïl Omar Guelleh à Washington, en janvier 2003),

Djibouti est en mesure de revoir ses alliances, si la France ne met pas un terme aux demandes d’audition répétées de la justice de plusieurs hauts responsables djiboutiens sur l’affaire Borrel. Se pourrait t-il, que par crainte de perdre une base militaire française et une capacité d’intervention dans une zone sensible sur le plan géopolitique, les autorités françaises aient été tentées de maquiller ce crime en suicide ?

Une volonté d’étouffer l’affaire ?

La progression de l’instruction est régulièrement entravée, depuis près de 10 ans, par des blocages et des pressions émanant directement des autorités françaises : différentes procédures visant les avocats d’Elisabeth Bor rel, le Syndicat de la magistrature français et des témoins décisifs ayant osé impliquer l’entourage présidentiel djiboutien.

Le 29 janvier 2005, alors que la juge Sophie Clément, en charge du dossier, fait connaître son refus de transmettre le dossier Borrel aux autorités djiboutiennes – estimant que cette demande est un détournement de procédure – le ministère des Affaires étrangères assure qu’une copie du dossier d’instruction sera transmise à la justice de Djibouti.

Bien que le Syndicat de la magistrature ait dénoncé « une nouvelle immixtion inadmissible de l’exécutif dans le cours de l’instruction judiciaire concernant l’assassinat du juge Borrel » et saisi le Conseil supérieur de la magistrature, cette violation du principe de la séparation des pouvoirs n’a suscité aucun rappel à l’ordre du Garde des sceaux de l’époque, Dominique Perben.

Le 17 mai 2005, à l’occasion d’une réception donnée par la France pour le chef de l ‘Etat djiboutien, le président français a même réaffirmé son soutien au président Guelleh et a rappelé la justice à l’ordre, en insistant sur la durée excessive de cette procédure. Alors que le président Guelleh est convoqué comme témoin par la justice française, le Quai d’Orsay a fait savoir qu’il était normal qu’il ne réponde pas à cette convocation compte tenu de son immunité de chef d’Etat.

L’Etat français tente également de restreindre la liberté d’expression des journalistes sur les développements de l’affaire Borrel via les autocensures de Radio France International sur ce sujet et via la multiplication des poursuites pénales visant les journalistes et les organes de presse (Libération, Le Monde, Golias, Canal plus, Canard enchaîné), « coupables » de s’être écartés de la thèse officielle du suicide qui a prévalu jusqu’en juin 2000.

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Modèle de courrier à adresser à :

Monsieur Dominique de Villepin
Premier ministre
Hôtel de Matignon
57, rue de Varenne
75700 Paris
Fax : 01.45.44.15.72

Ci-joint une proposition de lettre, que vous pouvez adresser telle quelle, datée et signée, sans oublier vos nom et adresse, ou réécrite à votre manière, sous lettre à 0,53 euros ou par fax.

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Monsieur le Premier ministre
Hôtel de Matignon
57, rue de Varenne
75700 Paris

Monsieur le Premier ministre,

Membre de la l’ACAT-France, je suis sérieusement préoccupé(e) par l’affaire Borrel. Depuis près de 10 ans, la multiplication des blocages et des pressions émanant du gouvernement français, entrave la progression de l’instruction judiciaire, empêchant ainsi toute la vérité sur cette affaire.

Plusieurs journalistes et organes de presse, qui se sont écartés de la thèse officielle du suicide qui a prévalu jus qu’en juin 2003, font l’objet de poursuites pénales.

Tout doit être entrepris pour permettre à la juge d’instruction, Sophie Clément, de poursuivre ses investigations, sans avoir à redouter des pressions de la part du gouvernement.

La liberté d’expression des journalistes dans cette affaire ne peut être remise en cause et Madame Borrel a droit à connaître toute la vérité.

Je vous demande de lever les obstacles qui jalonnent la procédure, notamment en remettant au juge d’instruction la totalité des documents émanant des services de l’Etat et pouvant avoir un lien avec cet assassinat.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’assurance de ma haute considération.