16/10/06 (B365) Le Canard enchaîné : La déraison d’État.

Canard
Enchaîné du 04/10/06

«
Je t’embrasse, Djama. »

Onze ans
: il aurai fallu onze ans de bagarre pour que la veuve du juge Borrel, assassiné
à Djibouti en octobre 1995, remporte une première victoire sur
la raison d’Etat. Victoire encore modeste : deux responsables djiboutiens,
le procureur de la république et le chef des services secrets, font
l’objet d’un mandat d’arrêt, car la justice française
exige désormais leur audition.

Pas pour
l’assassinat lui-même, mais pour avoir tenté d’influencer
des témoins et d’entraver l’enquête criminelle.

Deux
suspects devraient bientôt subir le même sort, cette fois comme
auteur ou complice présumés de l’assassinat. Il restera
le plus délicat, la mise en cause d’Omar Guelleh, chef de l’Etat
djiboutien, et probable commanditaire…

Le
procès de ces hommes-là n’aura sans doute jamais lieu.
Mais le retournement (même tardif) de la justice mérite d’être
salué.

Tout a
été tenté dés les premiers jours qui ont suivi
le meurtre, pour ne pas compromettre les bonnes relations diplomatiques avec
Djibouti. Ce petit Etat abrite, il faut le rappeler, une des plus importantes
bases militaires françaises L’armée a d’ailleurs
prêté la main à la dissimulation des preuves.

Les radios
du corps, effectuées par des médecins militaires, ont été
« perdues ». On sait aujourd’hui qu’elles battaient en
brèche la thèse du suicide qui convenait tellement bien à
la justice djiboutienne. Et le procureur de la république de Djibouti,
celui-là même qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt,
entretenait des relations cordiales avec ses collègues français.

Un
petit mot destiné à la juge d’instruction Marie-Paule
Moracchini, retrouvé dans le dossier, se terminait par ces mots : «
Je t’embrasse, Djama. »

Quelque
chose n’a, finalement, pas fonctionné dans cet enterrement programmé.

Peut-être
parce que la victime était elle-même un magistrat, quelques juges
n’ont pas accepté de se coucher, et ont fait leur travail. Seulement
leur travail, sans tenir compte des impératifs économico-diplomatiques.
L’événement, c’en est un, est absolument sidérant
!