12/12/07 (B425) LIBERATION : Opération commando pour protéger l’aide humanitaire (Info lectrice)

Envoyée spéciale au Kenya STÉPHANIE BRAQUEHAIS

Un peu plus d’une heure après avoir quitté le port de Mombasa, au Kenya, les eaux internationales sont atteintes : il est temps pour les 15 commandos de marine français, venus de Djibouti, de quitter l’aviso Commandant Ducuing pour embarquer sur les deux cargos affrétés par le Programme alimentaire mondial (PAM).

A leur bord, un peu moins de 4 000 tonnes de nourriture – principalement du sorgho – à destination du port de Merka, en Somalie, pour les déplacés de Mogadiscio.

Chaque opération d’escorte des bateaux de transport humanitaire par la marine française dure quinze jours ; cela a débuté fin novembre et doit durer deux mois. Dans le hors-bord, les commandos français embarquent pistolets Taser, matraques, lacrymogènes, mais aussi des Famas, des mitrailleuses 12,7 mm. «Il s’agit d’une mission antipiraterie ; nous défendons les bateaux, mais nous ne traquons pas les pirates, explique le chef de détachement.

Lorsque nous apercevons un bateau suspect, il y a toute une gradation : avertissements verbaux, fumigènes, tirs de semonce et, en ultime recours, faire feu. Nous luttons contre la menace extérieure, mais aussi intérieure, car parfois les pirates sont en liaison avec l’équipage.»

«Rançon». Sur le Semlow, cargo vraquier de 850 tonnes affrété par le PAM, l’idée de cohabiter avec toute cette armada est appréciée. Juma Vita, le chef mécanicien d’origine tanzanienne, préfère cette promiscuité-là à celle qu’il a vécue pendant cent onze jours avec des pirates somaliens il y a deux ans.

«Nous étions 10 membres d’équipage. J’étais aux machines lorsque j’ai entendu qu’on tirait en l’air. Personne ne les avait vus arriver. Ils ont foncé sur de petites vedettes rapides et ont pris le contrôle du bateau par l’arrière, nous n’avons rien pu faire.» Au bout de quelques jours, des renforts sont arrivés… mais de pirates. «Ils tournaient à 25 personnes environ toutes les deux semaines.»

Ces derniers ont dérouté le bateau pour mouiller à Harardere, une localité à 400 km au nord de Mogadiscio, considérée comme un des principaux bastions de la piraterie organisée en Somalie. «L’équipage a eu peur, puis il a commencé à se plaindre du manque de nourriture. Nous pensions que cela n’en finirait jamais. Au bout de quelques semaines, ils nous ont débarqués à terre, le commandant et moi, pour rencontrer un chef de guerre. Il y a eu des négociations, mais je n’ai jamais su si il y avait eu une rançon. Tout ce qui comptait, c’était que nous soyons enfin libres.»

Depuis le début de l’année, 26 actes de piraterie ont été recensés au large des côtes somaliennes par l’Organisation maritime internationale, dont 10 avec versement de rançon. Au fur et à mesure, les pirates se montrent de plus en plus téméraires, agissant jusqu’à 200 milles nautiques des côtes (près de 400 km).

Leur méthode est bien rodée : trois vedettes rapides, dont une servant à transporter le fioul et les armes, prennent le contrôle d’un cargo dont la ligne de flottaison ne dépasse généralement pas un mètre et où il est donc aisé de grimper. Au loin, un mothership, sorte de vaisseau de ravitaillement qui est bien souvent un ancien chalutier piraté, donc difficilement identifiable, sert de base arrière aux pirates, qui ne craignent pas d’engager des prises d’otages de plus en plus longues.

Six mois. Début mai, le chalutier taïwanais Ching Fong Hwa a été capturé et les pirates ont pris en otage l’équipage durant six mois. Le Danica White, un cargo danois appréhendé le 2 juin est resté aux mains des pirates jusqu’au 22 août, date à laquelle une rançon de 1,5 million de dollars (1 million d’euros) a été versée. Une somme astronomique qui va servir à faire fructifier des réseaux de plus en plus structurés et professionnels.

«Ces actions de piraterie sont le fait d’hommes entraînés et très bien organisés, explique le commandant de l’aviso, Philippe Le Gac. Pour lutter contre ce phénomène, il faudrait avoir les moyens de patrouiller le long de près de 4 000 km de côtes, des unités entraînées prêtes à intervenir sur-le-champ.»

Les nombreux bâtiments militaires qui, dans le cadre de la Taskforce 150 – le volet maritime, basé à Djibouti, de l’opération anti-Al-Qaeda «Enduring Freedom» («Liberté immuable») -, circulent dans la zone sont en fait chargés de lutter contre le terrorisme et non contre la piraterie, ce qui requiert des moyens spécifiques. L’aviso français doit protéger, durant deux mois, les bateaux du PAM, qui ont du mal à convaincre de gros armateurs d’envoyer leurs cargos en Somalie. Au-delà, il faudra trouver d’autres pays volontaires.