31/05/08 (B450) Alternatives internationales : Selon la FAO, plus de 2,6 millions de Somaliens sont menacés par la famine.
par Pierre BEAUDET
C’est beaucoup pour un pays qui compte moins de 9 millions d’habitants.
Depuis l’invasion éthiopienne de décembre 2006, une grande partie des habitants de Mogadiscio, la capitale, a fui la ville pour aboutir dans des camps de déplacés informels, sans accès à aucun service. En tout, c’est plus d’un million de Somaliens qui ont fui les combats.
Récemment, la situation s’est aggravée à cause de la hausse des prix alimentaires. Ainsi le prix du sorgho, aliment de base pour la plupart des ruraux, a grimpé de 375% depuis un an. Par ailleurs, la sécheresse a frappé le sud du pays (traditionnel pourvoyeur de grains). Au-delà du contexte alimentaire dramatique qui sévit, la Somalie est cependant pénalisée puisqu’elle est engouffrée dans la « guerre sans fin » menée par les États-Unis et ses alliés dans cette partie du monde.
De crise en crise
Pratiquement sans état depuis 1991 lorsque le régime de Siad Barré s’est écroulé, la Somalie a vécu de nombreuses crises et guerres civiles tout au long des années 1990. Par la suite, divers seigneurs de guerre se sont emparés des régions tout en se disputant le contrôle de la capitale. Une malheureuse intervention militaire des États-Unis s’est terminée en queue de poisson en 1992. Par la suite un contingent mandaté par l’ONU (incluant des militaires canadiens) a été incapable de ramener l’ordre. En 2000 toutefois, l’espoir renaissait à la suite de négociations entre les chefs traditionnels qui ont alors convenu de mettre en place un gouvernement transitoire.
Mais rapidement, les tensions ont été ranimées dans le sillon des rivalités régionales qui abondent dans la Corne de l’Afrique. En effet, la Somalie est voisine de l’Éthiopie et de l’Érythrée, deux pays qui sont sur le pied de guerre l’un contre l’autre depuis plusieurs années, et qui ont tendance à s’affronter sur le terrain de leur voisin à travers diverses milices. En 2006 dans ce contexte d’interventions étrangères et de désintégration sociale, un groupe a émergé sous le label de l’« Union des tribunaux islamiques » et a réussi à s’emparer du pouvoir sur pratiquement l’ensemble du territoire. Appuyé par une partie importante de la population, une sorte de nouveau gouvernement a été mis en place pour réussir, après des années de chaos, à remettre un peu d’ordre et de sécurité dans le pays.
Dans l’engrenage de la guerre sans fin
Dans la réalité, ces Islamistes somaliens représentaient une alliance assez vaste surtout basée sur les secteurs urbains désireux d’abord et avant tout de faire cesser les massacres. Pour la première fois depuis longtemps à Mogadiscio en 2006, les approvisionnements se sont faits d’une manière presque normale.
Les agences humanitaires sur place ont constaté que les nouvelles autorités pouvaient garantir leur sécurité et remettre en état le port et plusieurs infrastructures du pays. Entre-temps, les forces fidèles au gouvernement transitoire présidé par Abdullahi Yusuf Ahmed se sont évaporées et réfugiées en Éthiopie. Par la suite, les Islamistes somaliens se sont attirés la foudre des États-Unis qui ont affirmé qu’ils avaient des liens avec la mouvance Al-Qaïda, ce que les responsables de l’Union des tribunaux islamistes ont toujours nié.
En décembre 2006, l’armée éthiopienne avec l’appui logistique et aérien de l’armée américaine a envahi, soit disant pour éradiquer les islamistes et remettre le gouvernement intérimaire au pouvoir. Cette invasion s’est trouvée en fait à annihiler les efforts de l’ONU qui espérait un processus de négociation sous l’égide des pays de la région, hormis l’Éthiopie compte tenu de l’histoire conflictuelle entre ce pays et la Somalie.
Catastrophe
Au début, l’arrivée de l’armée éthiopienne s’est faite sans trop de heurts, les islamistes somaliens ne disposant pas d’armes lourdes. Mais rapidement une guerre de guérilla a éclaté. Dans sa vaste majorité, la population éthiopienne ne peut pas accepter cette occupation d’un ennemi historique. Également, l’armée éthiopienne a commis de nombreuses atrocités, comme l’ont rapporté des organisations comme Amnistie Internationale et Human Rigths Watch.
En tout, plus de 6 500 personnes ont été tuées. Des centaines de civils sont sommairement assassinés. Dans la capitale, les militaires éthiopiens tirent sans sommation, y compris dans les quartiers densément peuplés. La torture, le viol, les disparitions sont monnaie courante. Selon Amnistie internationale, les Éthiopiens ont assassiné 21 personnes dont 11 civils dans la mosquée Al Hidya de Mogadiscio le 19 avril. Sept de ces personnes ont été retrouvées la gorge tranchée, une pratique qui semble répandue au sein des forces éthiopiennes pour envoyer un message « clair » à la population.
Lors d’une manifestation pacifique contre la hausse des prix alimentaires à Mogadiscio le 5 mai dernier, l’armée a encore une fois tiré dans le tas faisant deux morts et plusieurs dizaines de blessés. Présentement dans le sud du pays autour de la ville de Kismaayo, les combats font rage. Des militaires se sont révoltés contre le gouvernement et menacent de rejoindre la guérilla.
Entre-temps, les insurgés se radicalisent et se mettent effectivement en lien avec des mouvements de résistance anti-américains dans la région qui opèrent en réseaux et qui sont en train d’acquérir une efficacité redoutable comme on le constate en Afghanistan, en Irak, au Liban.
Le silence assourdissant de la communauté internationale
Le drame somalien atteint une intensité singulière qui fait paraître « mineures » d’autres crises africaines comme celle du Darfour ou de la République démocratique du Congo.
Comment expliquer alors la négligence de la communauté internationale ?
Certes, l’alliance entre l’Éthiopie et les États-Unis est un facteur important. Pour Washington, il semble plus important de permettre à son principal partenaire régional de consolider son occupation en Somalie.
Le fait est que la Corne de l’Afrique borde la Mer Rouge et donc se retrouve devant une région qui reçoit le maximum d’« attention » de la part de l’administration Bush. D’autre part, la Somalie n’a ni gaz ni pétrole, contrairement au Soudan plus à l’ouest et aux pays du Golfe juste en face, ce qui fait en sorte que les « intérêts stratégiques » des pays occidentaux ne sont pas directement en jeu. C’est ce contexte qui fait en sorte que la question somalienne malgré les efforts de certains pays européens et africains n’apparaît pas sur l’agenda international.
Pierre BEAUDET