07/10/08 (B468) IPS / Des victimes de restitution »portées disparues » en Ethiopie
Wolfgang Kerler
Un nouveau rapport de ‘Human Rights Watch’ (HRW) accuse le gouvernement éthiopien de détenir au moins 10 victimes de restitution illégale en secret et sans chef d’accusation depuis le début de 2007.
»HRW appelle le gouvernement éthiopien à libérer immédiatement tous les détenus ou à les poursuivre en justice pour des délits flagrants dans un tribunal qui remplit les normes internationales de procès équitable », a déclaré à IPS, Jennifer Daskal, une avocate principale à HRW.
Daskal est l’auteur du rapport de 54 pages publié mercredi dernier et qui retrace la capture et la restitution d’au moins 85 hommes, femmes et enfants en 2006 et en 2007, impliquant des forces de sécurité et des agents de renseignements en provenance du Kenya, d’Ethiopie et des Etats-Unis. (La restitution ici, c’est le transfert secret des personnes d’un pays dans un autre en dehors de toute procédure judiciaire).
A la fin de 2006, des centaines de personnes ont fui la Somalie après l’éclatement d’intenses violences entre le Gouvernement fédéral de transition — assisté par l’armée éthiopienne — et l’Union des tribunaux islamiques.
Sans doute plus de 150 réfugiés ont été capturés par des autorités kenyanes le long de la frontière somalienne. Ils étaient accusés d’avoir des liens avec le groupe terroriste islamique, al Qaeda.
HRW estime que les Kenyans ont gardé des détenus en provenance de plus de 18 pays – y compris les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada — pendant plusieurs semaines sans les accuser formellement.
Parmi ces détenus, figurait Kamilya Mohamed Tuwein, une mère de trois enfants, âgée de 43 ans et originaire de Dubai, qui était venue à Nairobi, au Kenya. Le 10 janvier 2007, Tuwein et deux partenaires commerciaux ont été arrêtés par la police kenyane.
»Nous continuons de demander à parler à nos ambassades », a déclaré Tuwein à HRW. »Ils ont répondu : ‘Lorsque le moment viendra’. A un moment, l’un des commissaires de police nous a dit que si nous payions un pot-de-vin de 35.000 shilling (500 dollars), nous serions libérés ».
Tuwein n’a pas payé le pot-de-vin et elle a été restituée à la Somalie et ensuite à l’Ethiopie, sans que personne ne lui dise ni à sa famille l’endroit où on l’a emmenée.
Selon HRW, un total d’environ 85 personnes ont connu le même sort entre le 20 janvier et le 10 février 2007 — y compris 19 femmes et 15 enfants. En juillet, des responsables kenyans ont expulsé trois autres hommes en Somalie où ils ont été remis à des officiels éthiopiens et restitués à l’Ethiopie.
L’un de ceux qui ont été arrêtés en janvier 2007 était Ishmael Noor, un berger éthiopien âgé de 37 ans.
»Nous avons été menottés les mains derrière le dos avec des menottes plastiques blanches qui nous faisaient très mal. Nos chaussures ont été enlevées et nous avons été poussés dans l’avion. Nos jambes ont été attachées et nous avons été attachés au siège de l’avion. J’ai vu des officiers tabasser un homme — ils lui donnaient des coups de pied, des coups de poing et le maintenaient au sol », a affirmé Noor à HRW.
Les détenus ont rapporté à HRW qu’en Ethiopie, ils ont été »gardés pendant des mois sans chef d’accusation, interrogés et torturés par des hommes en uniformes militaires éthiopiens ».
Noor a déclaré : »Ils m’ont battu de la tête au pied. Ils ont utilisé un bâton fait à partir d’un arbre. Ils ont également utilisé le bout de leur fusil. S’ils pensaient que j’étais trop fort, ils viseraient mes testicules ».
Au début de 2007, des agents de l’Agence centrale de renseignements (CIA) et du Bureau fédéral d’investigation (FBI) des Etats-Unis ont interrogé des détenus à Addis-Abeba, selon les informations de HRW qui ont été confirmées par un fonctionnaire du gouvernement américain.
»Le gouvernement américain est complice de cette affaire », a indiqué Daskal.
Après que les interrogatoires américains ont pris fin en mai 2007, le gouvernement éthiopien a libéré la plupart des captifs sans cependant reconnaître qu’il gardait au moins 41 personnes en détention provisoire qui avaient été transférées du Kenya.
Selon HRW, neuf ressortissants kenyans et un ressortissant canadien-éthiopien sont toujours en détention, et personne ne sait où se trouvent 22 Somaliens, Ethiopiens, Erythréens, et Kenyans qui ont été également restitués à la Somalie au début de 2007.
A travers cette restitution systématique, l’Ethiopie, le Kenya et la Somalie ont violé plusieurs droits humains élémentaires garantis par le droit international, souligne HRW. Les forces de sécurité éthiopiennes sont également soupçonnées de torturer et de maltraiter leurs détenus.
Appuyées par les Etats-Unis, les forces militaires éthiopiennes ont d’abord envahi la Somalie en 2006 pour soutenir le Gouvernement fédéral de transition (TFG) à combattre l’Union des tribunaux islamiques (ICU).
Au début de cette année-là, les ICU avaient repris la capitale de la Somalie, Mogadiscio, et de grandes régions du pays — assistée par l’ennemi juré de l’Ethiopie, l’Erythrée. L’Ethiopie craignait aussi que les ICU et l’Erythrée ne supportent des groupes d’insurgés éthiopiens basés en Somalie.
Le 29 décembre — neuf jours après l’éclatement d’intenses combats — le TFG et les troupes éthiopiennes ont gagné le contrôle de Mogadiscio, évinçant les ICU de la ville. Ce combat a déclenché des vagues de réfugiés.
Le soutien des Etats-Unis à l’Ethiopie a été une partie importante de la »guerre contre le terrorisme » menée par l’administration de George W. Bush dans la région de la Corne de l’Afrique, puisque les ICU ont été accusés de supporter des groupes islamistes militants et d’abriter des membres d’al Qaeda qui étaient responsables des bombardements de l’ambassade américaine en 1998 au Kenya et en Tanzanie.
Se référant aux tactiques de l’administration Bush, lesquelles ont fait l’objet de critiques des associations des droits de l’Homme à travers le monde, Daskal a déclaré : »Trop souvent, les droits de l’Homme et l’Etat de droit ont été négligés pendant ces sept dernières années ».