20/10/08 (B470-B) Le Monde Fuyant les combats, les réfugiés somaliens affluent au Kenya

DADAAB (FRONTIÈRE KENYA-SOMALIE) ENVOYÉ SPÉCIAL

De la raison, de l’impuissance ou du coeur, on ne sait ce qui l’a emporté, mais le fait est là : la frontière avec la Somalie demeure officiellement close, mais les autorités kényanes, submergées, ferment à présent les yeux, laissant les malheureux Somaliens se faufiler par la brousse pour se réfugier sur leur territoire. Pour tous ceux qui fuient leur pays dépourvu de gouvernement central depuis 1991, nul besoin de justifications.

En Somalie, les combats se poursuivent entre les groupes insurgés à tendance djihadiste et leurs ennemis du Gouvernement fédéral de transition (TFG), structure-croupion soutenue par l’Ethiopie et son contingent déployé dans le pays.

L’Amisom, une force de maintien de la paix de l’Union africaine, est elle aussi l’objet d’attaques violentes.

Loin des yeux, loin de la crise financière, la Somalie est aujourd’hui au seuil d’une catastrophe de grande ampleur. « C’est une tragédie oubliée », a déclaré Rama Yade, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères en charge des droits de l’homme, en visite, jeudi 16 octobre à Dadaab, dans l’extrême est du Kenya, en découvrant les Somaliens qui arrivent sans discontinuer.

Certains viennent d’aussi loin que Mogadiscio, à plusieurs centaines de kilomètres de là, où les combats tuent les civils à l’aveuglette. Depuis le déclenchement de l’insurrection, en 2007, environ 700 000 personnes ont fui la ville. Près de la moitié d’entre eux campent aux environs de la capitale, alors que les insurgés les plus radicaux ont lancé un mouvement pour chasser les organisations humanitaires internationales de Somalie.

Combien de personnes se glissent-elles chaque jour, chaque nuit, dans les alentours de Dadaab ?

Au moins 200. Ils arrivent, exténués, comme Nasra Abdi Farah, qui a fui le quartier de Tawfiq, à Mogadiscio, pilonné et ravagé depuis dix-huit mois. Sa fille, d’une maigreur extrême, reprend des forces en tétant un lait enrichi. « Je n’ai pas d’endroit où dormir. Et nous sommes nombreux dans ce cas », explique-t-elle sombrement. A l’extérieur des trois camps qui composent Dadaab, ouvert depuis 1991, des hordes de malheureux s’entassent dans des huttes sommaires.

Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), qui a ouvert Dadaab en 1991, et vu des générations entières de Somaliens y naître et grandir, travaille à l’ouverture en urgence d’un nouveau camp au milieu de la plaine ingrate où ne prospèrent que les épineux et la poussière. « Il faudrait en ouvrir deux. On ne sait pas si on aura des fonds pour cela », explique Ephraïm Tan, en charge des enregistrements, qui note que la population de Dadaab a augmenté de 25 % au cours des huit derniers mois.

APPEL À L’AIDE

Encore ces arrivants ne représentent-ils qu’un condensé modeste du drame vécu par les Somaliens à l’intérieur de leur pays. Le nombre de personnes dépendant de l’aide humanitaire internationale y a augmenté de 77 % depuis janvier, selon l’ONU, pour concerner désormais un total étourdissant de 3,2 millions de Somaliens, la moitié de la population du pays. Or, sur place, les humanitaires sont devenus des cibles.

Un groupe de 52 organisations humanitaires a lancé, le 6 octobre, un appel à l’aide, rappelant que, depuis le début de l’année, 24 personnes travaillant pour des ONG, des Somaliens pour la plupart, ont été assassinées. Deux semaines plus tard, il faut ajouter deux nouvelles victimes à la liste, alors que la sécheresse régionale et l’inflation galopante sont sur le point d’entraîner une catastrophe majeure.

Le seul espoir, bien mince, est représenté par l’initiative de paix portée à bout de bras par Ahmedou Ould Abdallah. Le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU a déjà obtenu d’une partie des belligérants la signature d’un accord prévoyant un déploiement d’unités conjointes TFG-insurgés.

A Nairobi, Mme Yade a tenu à assurer que la France appuyait l’initiative d’Ahmedou Ould Abdallah, lequel, lucide, sait qu’il est condamné à faire des miracles. Selon une source diplomatique : « Il faut que cela se mette en place bientôt, sinon c’est tout l’accord (signé entre les deux parties le 18 août à Djibouti) qui est mort. »

Jean-Philippe Rémy