22/07/10 (B561) Ouest-France / Affaire Borrel / Affaire Borrel: l’épouse seule et déterminée (Info lecteur)

Depuis quinze ans, elle se bat pour établir la vérité sur l’assassinat de son mari, en 1995. Officiellement, Bernard Borrel, 39 ans, magistrat détaché à Djibouti, s’était suicidé…

Ce matin du 19 octobre 1995, après une nuit d’angoisse à guetter son retour, le monde d’Élisabeth Borrel s’effondre. Elle vivait insouciante à Djibouti, entre un mari adulé et leurs deux garçonnets. Une vraie vie de famille, après des débuts compliqués, lui, procureur à Lisieux, elle, magistrate à Caen. Et puis l’atroce nouvelle.

Le corps de Bernard vient d’être découvert à 80 kilomètres de Djibouti, aux portes du désert, au pied d’un à pic, face à la Mer Rouge et un îlot surnommé l’île du Diable. Avant même tout examen médical, on lui assène « la » vérité, celle qui le restera longtemps aux yeux des autorités françaises : Bernard Borrel s’est suicidé. Il s’est aspergé d’essence et immolé.

Repliée sur sa douleur, entourée de ses enfants, pressée de fuir Djibouti et d’oublier son malheur, elle aurait pu se soumettre à cette vérité officielle. Ce qu’elle fait dans un premier temps. « J’étais hébétée. Sous le choc. J’ai d’abord cru tout ce que l’on me disait. » À Toulouse, « la ville de Bernard » où elle retrouve son poste de magistrate, elle aurait pu faire taire ses doutes, accepter en silence l’incompréhensible suicide.

Elle aurait pu… mais c’était renier leurs dix années de vie commune, c’était se renier elle-même. Tout clochait dans cette vérité servie comme une évidence : il voulait quitter Djibouti, l’un de ses proches amis venait de se suicider en France, il n’était plus lui-même. « Mme Borrel. Soyez raisonnable ! » Elle ne l’a pas été. Se battre devient au contraire une évidente nécessité. « Sans la vérité, mes enfants et moi n’aurions pas eu d’avenir. »

La chronologie de l’affaire est celle de son combat. Première lézarde dans la théorie officielle : les légistes toulousains ne retrouvent aucune trace de suie dans les poumons du magistrat. Elle dépose une première plainte pour assassinat. Nous sommes en 1997. Le dossier monte à Paris. Deux juges sont saisis. Ils se rendent à Djibouti et confortent à leur retour la thèse du suicide.

Les rares amis qui la soutiennent dans son combat lui conseillent alors d’arrêter. « Tu n’arriveras à rien Élisabeth. » C’est mal la connaître, cette Savoyarde très catholique qui ne supporte pas l’injustice et le mensonge. « Les mêmes aujourd’hui me conseillent toujours de m’arrêter.

L’assassinat et sa mort en service ont été reconnus. Mais je veux toute la vérité : qui, comment, pourquoi ? Quelqu’un finira bien par parler. »

Elle obtient le dessaisissement des premiers juges d’instruction. On a changé de siècle, les enfants ont grandi, peu importe, elle ne baisse pas les bras. Et la vérité commence à percer. Un témoin djiboutien réfugié à Bruxelles affirme qu’il s’agit bien d’un assassinat. Un nouveau juge reprend l’enquête. Nouvelle autopsie. Elle révèle une lésion crânienne, une fracture du bras, dite de défense, la présence de deux liquides inflammables et des empreintes génétiques masculines sur le short du juge…

L’immolation ? Impossible. Le juge a été tué puis aspergé.

Après quinze années d’enquêtes, contre-enquêtes, polémiques, perquisitions, y compris à l’Élysée, la mort du juge Borrel, devenue affaire d’état, entre Paris et Djibouti, n’a toujours pas révélé ses secrets. Qu’avait-il déniché « le juge fouineur » ? Les traces d’un trafic d’uranium enrichi transitant par Djibouti ? C’est l’une des hypothèses.

À la rentrée prochaine, elle va rejoindre sa Savoie natale, et un poste au tribunal de Belley. Mais que les adeptes du silence et de la raison d’état ne se réjouissent pas trop vite : il y a peu de chance qu’Élisabeth Borrel mette un terme à sa quête de vérité et de justice. « Je veux savoir et mes enfants aussi. Lorsque l’on assassine un magistrat c’est le devoir de l’État de faire la vérité. Sommes-nous en démocratie, oui ou non ? »

Bernard LE SOLLEU.