18/06/2017 (Brève 1007) La plaidoirie interdite pour un opposant à Djibouti (Paris Match signé Jacque Dibona)
Lien avec l’article original : http://www.parismatch.com/Actu/International/La-plaidoirie-interdite-pour-un-opposant-a-Djibouti-1286804
Dimanche 18 juin 2017 commence à Djibouti le procèsMohamed Ahmed Edou, dit « Jabha », opposant au régime en place. Interdit d’accès au tribunal, son défenseur français nous confie des éléments de la plaidoirie qu’il sera empêché de prononcer.
Depuis 7 ans son avocat parisien Bérenger Tourné se bat pour faire connaitre ce qu’il qualifie de « forfaiture » et espère que les magistrats du siège, qui ont déjà rendu des décisions favorables au prévenu, sauront les confirmer. M. Mohamed Ahmed Edou, dit « Jabha », a été arrêté le 3 mai 2010 par les militaires du Régiment Inter Armée de Tadjourah, « alors qu’il essayait de défendre une femme enceinte que des soldats tentaient de violer, près de Moussa Ali, ville située au nord-ouest du district de Tadjourah ».Ce fait est établi par l’Organisation Mondiale Contre la Torture.
Dans ce procès inique la Défense de Mohamed Ahmed Edou, dit « Jabha » ne se leurre pas. Il ne suffit pas de proclamer, comme il est fait depuis désormais sept ans, que « Jabha » appartiendrait à une organisation terroriste, le FRUD, qu’il serait à la solde de l’Erythrée voisine ou qu’il aurait ourdi le projet de commettre des attentats sur le sol djiboutien, sans en apporter la moindre preuve.
« Jabha » a été arrêté le 3 mai 2010 par les militaires du Régiment Inter Armée de Tadjourah. Il restera alors détenu, aussi arbitrairement qu’illégalement, dans différents lieux d’enfermement militaire, et demeurera placé au secret pendant 58 jours. La garde à vue lui sera finalement notifiée par un officier de police judiciaire de la Gendarmerie Nationale le 26 juin 2010, à 11 heures. Mais, le 28 juin, sans que le procureur se soit prononcé, cette monstrueuse garde à vue sera encore prolongée de 48 heures. Répétons qu’aucun interprète n’a assisté M. Mohamed Ahmed Edou lors de ces interrogatoires. A l’issue de sa garde à vue, le 30 juin 2010, il a été déféré devant le procureur de la République.
Suivant un réquisitoire introductif, il sera inculpé des chefs criminels d’intelligence avec une puissance étrangère, d’attentat et d’organisation d’une formation paramilitaire, faits prévus et réprimés par les articles 135, 143 et 153 du Code Pénal et sera placé sous mandat de dépôt à la Prison Centrale de Gabode.
++ La défense de « Jabha » n’a eu de cesse durant les sept dernières années, où il est resté écroué à Gabode, de dénoncer la nullité de la procédure.
Elle a cru obtenir gain de cause quand la Cour suprême d’abord, puis de la Cour d’appel ensuite, ont courageusement prononcé « la nullité de la procédure diligentée à l’encontre de Mohamed Ahmed Edou [et ordonné sa] mise en liberté d’office ».
On sait cependant la suite, ce sont les propos tenus par le Premier Ministre de l’Etat de Djibouti lors des débats parlementaires à l’Assemblée nationale de Djibouti du 20 octobre 2016, qui a cru pouvoir impunément déclarer :
++ Tant que je serai aux affaires, je ne laisserai pas [« Jabha »] sortir de prison
« Après tout, qu’on le tue ou pas ce fameux Edou ou Jabha, qui va pleurer dans ce pays pour lui ? Qu’on le mette en prison qui va pleurer ? Personne il le connait, vous-même qui le défendez, vous le connaissez pas ».
Nous vous demandons donc solennellement, de vous arracher à la pression et de vous armer du plus grand courage, pour dire la vérité.
Et voilà ce qui dit « Jabha » sur ce qu’il a vécu : « J’ai été arrêté le 03 mai 2010 par l’armée Djiboutienne et je fus conduis à Margoeta, dans un camp militaire. J’y suis resté 24 heures. J’ai été transféré à Assa Gueyla et un hélicoptère m’a conduit vers Djibouti au siège du service de documentation et de la sécurité pendant cinquante-sept (57) jours.
Par la suite, je fus conduit à la gendarmerie pour une enquête et j’ai été placé en garde à vue pendant onze jours. Les gendarmes lisaient des documents et par la suite ils m’ont fait signer lesdits documents sans la présence d’un interprète en afar. L’interrogatoire devant les gendarmes s’est tenu en langue arabe et je ne comprenais pas tous parce que ce jour-là j’avais faim et j’étais malade. Ma santé était fragile. Au service de communication et de la sécurité, j’ai subi des tortures. »
Rien d’autre dans ce dossier ou aucune investigation matérielle n’a été entreprise, aucun témoin entendu, aucune victime ne s’est signalée. Et Il n’y a aucune charge tangible dans ce dossier.
De sorte que l’acquittement de M. Mohamed Ahmed Edou alias « Jabha » s’impose.
Alors qu’il ne m’a pas été permis de venir en personne plaider sa cause, lui que je défends depuis sept ans à des milliers de kilomètres de distance, depuis Paris, je voudrais vous dire, Mesdames et Messieurs les jurés et juges de la Cour d’assises de Djibouti, combien cela fut et demeure un honneur de le défendre.
Car il est toujours honorable de défendre un innocent.