20/02/2018 (Brève 1124) Djibouti : aggravation de la dictature constatée avant la parodie de législatives (Collectif de solidarité avec les luttes sociales et politiques en Afrique – dont l’ARDHD est signataire avec de nombreux partis et organisations de l’opposition)
Djibouti : aggravation de la dictature
constatée avant la parodie de législatives
Communiqué du Collectif de solidarité
avec les luttes sociales et politiques en Afrique,Paris, 19 février 2018
En organisant le 23 février des élections législatives factices, le régime djiboutien confirme son mépris de toute forme de démocratie et de libertés. La simulation ne trompe personne, elle souligne à lintérieur commeà lextérieur du pays, le contrôle militaire et la violence de la répression administrative visant à empêcher toute forme dopposition démocratique.
A partir de fin 2015, Djibouti a rejoint le haut du classement des dictatures en Afrique, sans que cela ne soulève de réprobation internationale en dehors du parlement européen1. Après quelques efforts de médiation entre 2013 et 2015, les diplomates internationaux sont restés depuis 2016 sans voix face à un pourrissement sans issue, entre perplexité et focalisation sur leurs intérêts. LUnion africaine est, elle, en avril 2016, venue
cautionner par une mission dobservation factice, une élection en dehors des règles de la démocratie.
Les flux de marchandises entre la Chine et lEthiopie3, les navires et les avions des forces armées internationales traversent le pays-hub dIsmaïl Omar Guelleh sous les yeux dune population qui perd lespoir, comme si plusieurs réalités se croisaient sans lien entre elles, dans un espace de non-droit international, dominé par des intérêts commerciaux et militaires. Les loyers de bases forment une rente qui facilite le maintien le statu quo sans exigence deffort sur lEtat de droit et pour la reprise du processus de démocratisation.
Ce refus dune démocratisation sinscrit depuis 1990 dans la durée. Sur 10 élections présidentielles ou législatives, 6 ont été boycottées par lopposition réelle. La présidentielle de 2016 ayant été partiellement boycottée, les seules élections auxquelles toute l’opposition a participé sont la présidentielle de 1999 et les législatives de 2003 et 2013. La mainmise du pouvoir sur le soi-disant parlement est flagrante puisque lors de 4 législatives entre 1992 et 2008, lancien parti unique, le Rassemblement populaire pour le Progrès (RPP) au pouvoir depuis 1979, puis, depuis 2003, la coalition Union pour la majorité présidentielle (UMP), se sont attribués 65 sièges sur 65.
A partir de 2013, lopposition sest rassemblée dans la coalition Union pour le salut national, très suivie par la population. Le pouvoir menacé na pu se maintenir quen modifiant les résultats de deux scrutins au moyen de scores et procès-verbaux inventés, une première fois en inversant totalement le résultat des législatives de 2013, une seconde fois à la présidentielle de 2016, en sattribuant un score fictif lui permettant déviter un second tour dans lequel lopposition aurait pu sunir, bien quelle ait souffert au premier tour dune absence de candidat commun consensuel.
Cela sest fait en modifiant tellement les scores réels que lopposition5, qui aurait pu mobiliser la population pour le second tour mais ne disposait daucune estimation du résultat réel, est devenue inaudible à lextérieur du pays, alors quà lintérieur la répression militaire faisait tomber une chape de plomb.
Les inversions de résultat de législatives sont rares en Afrique, car elles sont difficiles à organiser. Celle de 2013 à Djibouti a été facilitée par un mode de scrutin qui attribue 80% des sièges dune zone au parti qui atteint 50% des voix. Après invention de faux résultats, le ministère de lintérieur a attribué 10 sièges à lUSN et 55 à lUMP au lieu de linverse. Les procès-verbaux détaillés nont jamais été publiés.
Début 2013, lUnion européenne sest compromise en validant diplomatiquement cette inversion de résultat pour ne pas mettre en danger son action militaire dans la lutte contre la piraterie maritime au large des côtes somaliennes, stratégique lors du démarrage dune Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), puis a corrigé sa position suite à la vive désapprobation du parlement européen7. En dépit des corrections ultérieures visibles dans laccompagnement de lAccord-cadre du 30 décembre 2014, le soutien croisé franco-européen au pouvoir djiboutien après linversion de résultat des législatives8, sest avéré une cause profonde de détérioration de la situation politique, faute dattention suffisante au processus électoral en 2015. La politique de François Hollande et Jean-Yves Le Drian, focalisée sur les aspects militaires aux dépends de la défense de la démocratie a également affecté Djibouti, ce qui est apparu lors de la visite du ministre de la défense en juillet 20159.
Depuis 2016, les 2 inversions et modifications de résultat ont été suivies de la destruction de lopposition véritable qui allait se mobiliser suite à ces crimes électoraux. La grande majorité des processus électoraux dans les dictatures en Afrique sont détournés en amont au moyen de quelques familles de techniques de détournement : lutilisation dun mauvais fichier électoral, le contrôle des institutions et de la Commissionélectorale, la suppression des libertés permettant un débat politique et surtout la désorganisation de lopposition.
Ismaïl Omar Guelleh, décomplexé et sans scrupules, est sans doute le chef dEtat africain qui maîtrise le mieux les techniques de désorganisation de lopposition réelle en amont dun processus électoral. Bien que lopposition ait souffert de ses divergences et ait mal explicité des choix faits sous contrainte, elle a surtout été empêchée de jouer son rôle à partir de 2013 et a été réduite par le pouvoir à un état dans lequel elle ne peut plus participer aux élections, alors que lélectorat du pouvoir est très réduit et que la population attend le changement. Depuis 2018, Ismaïl Omar Guelleh a utilisé lempêchement de la création ou de lexistence légal de partis, linterdiction des réunions et de laccès aux lieux de réunion, des attaques physiques de leaders dopposition, lemprisonnement et la torture, les interdictions de voyager, les mutations et les radiations de fonctionnaires cadres des partis, les manipulations judiciaires et les fausses accusations, le clonage des partis, la création et le financement de partis de fausse opposition pour des manipulations électorales, la fabrication dun système de fausse opposition en vue des élections.
En plus des violences et emprisonnements, les techniques principales qui ont été utilisées sont limposition de 4 statuts légaux maximum pour lopposition, lenlèvement du statut légal à des partis dont lARD et lUDJ, linterdiction de partis existants dont le MRD en 2008, le refus de la légalisation des partis Model et RADD, le clonage des partis ARD, UDJ, PND, toujours en jouant avec les 4 statuts maximum. A lapproche des
législatives, un parti ne pouvait avoir un statut légal que sil ne boycottait pas, sil parlait de laccord du 30 décembre 2014 dune manière qui ne dérangeait pas le pouvoir, et sil ne dénonçait pas la Commission électorale (Céni). Mieux que tout autre dictateur, Ismaïl Omar Guelleh sest fabriqué sur mesure un système de fausse opposition, composé de partis aux statuts volés, déconnectés de la population, pour participer à une
élection factice qui redistribuera 10 sièges de lassemblée à des politiciens neutralisés.
L’Observatoire djiboutien pour la promotion de la démocratie et des droits humains (ODDH) dénonce une élection organisée« avec les clones des partis de l’opposition et ceux ou celles qui ont fait de leur carrière l’opportunisme politique et la trahison du peuple »10. Le point positif des « 25% de femmes » sert à la promotion internationale. Le stade du boycott du « match amical », un boycott de fait, est une conséquence des attaques subies précédemment. Selon la Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH)13, « les centres des retraits des cartes délecteurs sont quasiment déserts et lon peut dire sans exagération que le taux de retraits sont infimes. Et la RTD a annoncé le 08 février 2018 que 10% des électeurs inscrits avaient retiré leurs cartes »
Lélection est basée sur lécrasement dune opposition réelle et sur le silence dune communauté internationale focalisée sur la géopolitique et les conflits du Moyen-Orient, du Sahel et de la Corne de lAfrique. En 2018, devraient se dérouler en Afrique 25 élections, 8 présidentielles et 17 législatives, 9 processus électoraux dans un cadre démocratique, 16 processus électoraux dans un cadre non-démocratique14. Cette série électorale axée sur les législatives, au niveau des régimes non-démocratiques, commence à Djibouti. Alors que samorce la négociation « post-Cotonou », la réaction de lUnion européenne et de lexécutif français sera observée à la fois par les populations, par la jeunesse africaine objet de lattention de lUa, mais aussi par les régimes qui se préparent à détourner dautres processus électoraux.
Comme le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique lindiquait déjà en 201615, « les acteurs internationaux, en particulier les pays possédant une base militaire, sont interpellés sur larrêt du processus de démocratisation. Une vision conservatrice de Djibouti, associé au Moyen-Orient sans démocratie, dans les compromis avec la dictature, soppose à la volonté de la population djiboutienne. Dans la Corne de lAfrique, aussi la paix ne sinstallera durablement quen sappuyant sur la démocratie et lEtat de droit. Un clivage entre militaires et diplomates français et européens, et population, risquerait de pousser une partie de cette population, si ce nest pas vers le désespoir, vers dautres voies, en pratique et intellectuellement. »
A loccasion de la parodie délection du 23 février 2018, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique demande à lUnion européenne et au gouvernement français de dénoncer labsence de démocratie et dEtat de droit à Djibouti et de soutenir dans ce pays lexpression démocratique et la liberté dorganisation des partis politiques.
Collectif de Solidarité
avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique,
Paris, le 19 février 2018
9 signataires :
- + Alliance Républicaine pour le Développement (ARD, Djibouti),
- + Mouvement pour le Renouveau démocratique et le développement (MRD, Djibouti),
- + Association pour le Respect des Droits de l’Homme à Djibouti (ARDHD),
- + Alliance Nationale pour le Changement Ile-de-France (ANC-IDF, Togo), Union des Populations du Cameroun Manidem (UPC-MANIDem),
- + Coalition dOpposition pour la Restauration dun Etat Démocratique (CORED, Guinée Equatoriale),
- + Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD, Congo Brazzaville),
- + Amicale panafricaine, Parti de Gauche.