14/03/2000 – Mort d’un juge: la veuve attaque juges et policiers Cinq ans après la découverte du cadavre à Djibouti, Élisabeth Borrel demande une enquête sur l’instruction. (Extrait de Libération)

Par BRIGITTE VITAL-DURAND
Le mardi 14 mars 2000

Il y a déjà eu un mort, deux orphelins et une veuve. Qu’est-ce qu’on veut encore?Qui est-ce que l’on protège? je ne comprends pas. Je ne comprends plus du tout. » Cinq ans et demi après la découverte du corps retrouvé carbonisé le 19 octobre 1995 à Djibouti, Élisabeth Borrel ne sait toujours pas « pourquoi et comment » son mari, le juge Bernard Borrel, est mort.

Réfutant la thèse officielle – et de plus en plus bancale – du suicide, elle a rendu publique une demande d’enquête par l’Inspection générale des services judiciaires, au moment où les juges d’instruction Roger Le Loire et Marie-Paule Moracchini rentraient précisément de Djibouti. Partialité. Adressée hier à la garde des Sceaux par ses avocats Olivier Morice et Laurent de Caunes, la demande porte sur les conditions dans lesquelles est menée l’information judiciaire.

Elle dénonce la partialité dont auraient fait preuve les juges, lors de l’audition récente d’un témoin, ancien membre de la garde présidentielle, venu accréditer la thèse du meurtre. Lors de sa conférence de presse hier à Paris, Élisabeth Borrel était entourée de Dominique Matagrin, président de l’Association professionnelle des magistrats (APM, droite ), et d’Anne Crenier, présidente du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), parties civiles au dossier aux côtés de l’Union syndicale des magistrats (USM, modéré). Multiplication.

L’instruction du dossier Borrel est menée de manière « rocambolesque », a accusé Dominique Matagrin, tandis qu’Anne Crenier dénonçait « la multiplication d’anomalies ».

Magistrate elle-même, Élisabeth Borrel a raconté hier « les investigations sur la personnalité de mon mari, sur sa pédophilie, sur sa corruption. On a essayé de lui trouver une maîtresse, on a épluché ses comptes. Là, je parle de l’action des policiers ».

Pour l’action des juges, elle a des mots aussi durs. Car ils ont été lents: quatre mois écoulés avant de réaliser l’autopsie, plus d’un an avant d’en obtenir le rapport, dix-huit mois avant le premier transport d’un juge à Djibouti, deux ans avant d’entendre un témoin (hormis elle et un aumônier), deux ans avant d’ordonner une contre-expertise médico-légale.

Au début de l’instruction, les juges sur place « ont entendu nos femmes de ménage, les enfants des rues. Mais pas le ministre de mon mari » (le juge Borrel était détaché auprès du ministre de la Justice de Djibouti).

La reconstitution? Élisabeth Borrel « ne la comprend pas »: « Mon mari aurait descendu, à pied, et couvert d’essence, un à-pic de cinq mètres ». « Avec un briquet à la main, puisqu’il était dévêtu », précise Olivier Morice. Inondation. Viennent s’ajouter des trous manifestes.

Le dossier médical de son mari « disparu » dans « une inondation bien sélective », puisqu’on a retrouvé, dans le même hôpital, le dossier de l’un des enfants du couple. Envolés aussi le poste militaire et le registre des passages dans la zone sécurisée, à 80 kilomètres au nord de Djibouti, où a été retrouvé le corps de Bernard Borrel.

Dans leur demande d’inspection, les avocats accusent les deux juges de « dialoguer davantage avec les médias qu’avec la partie civile ». ils assurent avoir appris, le 3 mars par France Soir, le départ des deux juges pour Djibouti. Ils ont vu, dimanche soir sur M6, à Capital, Roger Le Loire participer à une reconstitution, dans une autre affaire à Djibouti, en présence de journalistes.

Interrogés hier, ni la chancellerie, ni Roger Le Loire, revenu à Paris, n’ont souhaité réagir. Mais l’ambassade de Djibouti à Paris a vite tranché. Elle a assuré hier dans un communiqué que la mission des deux juges « aura eu pour principal effet de lever toute équivoque » après des « accusations infondées ».